Les designers s’emparent des déchets navals. Amarres, bouées, coques… Pour le collectif Laissez Passer, dans le port de Marseille, rien ne se perd, tout se crée.

Depuis le 19e siècle, la digue du Large longe le littoral Nord de Marseille. Une presqu’île linéaire de plus de sept kilomètres, avec d’un côté la Méditerranée, et de l’autre les immenses bassins du port de Marseille. Sur cette grande voie rectiligne, des semi-remorques chargés de conteneurs roulent sur des pavés d’un autre temps.

On parcourt la digue comme on remonte l’histoire industrielle du port, au rythme d’immenses numéros qui défilent. Poste 105, poste 106, poste 107. Ici, le bâtiment administratif de l’ancienne compagnie Paquet date du début du 20e siècle. Plus loin, la vigie Sainte-Marie, construite dans la foulée. Entre les deux s’élèvent « les élégantes », d’immenses grues métalliques des années 1960. Juste en face, la modernité s’écrit tout en verticalité avec les tours de la skyline d’Arenc.

Poste 108, poste 109, poste 110 : sur cette bâtisse, un ancien écriteau indique « Douanes ». Une plaque plus récente prolonge d’un malicieux « Laissez Passer ». C‘est le nom du collectif de jeunes artisans, designers, architectes et autres créateurs qui ont reconverti le local en atelier de réemploi de déchets portuaires.

designers, Les designers font main basse sur les déchets du port de Marseille, Made in Marseille

Des amarres aux bouées, un gisement pour les designers

Ce lundi, alors que le mistral siffle sur la digue, Victor martèle un anneau de métal sur une bouée marine jaune. Elle deviendra bientôt un lampadaire. Un des nombreux qui prendront place dans le parc Longchamp cet été, pour guider le public du festival Jazz des Cinq Continents.

Entre deux concerts, les mélomanes pourront aussi se rafraîchir au radôme-bar, imaginé par les mêmes créateurs. Radôme ? Vous avez sûrement déjà aperçu cette immense sphère blanche qui abrite les radars à la cime des navires. Scindée en deux, elle s’ouvre désormais grâce à un treuil central pour révéler un bar circulaire aux allures d’œuf géant. Avec son design unique, la buvette a séduit d’autres festivals de la région.

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Le radôme-bar au Jazz des 5 continents

Le travail de Laissez Passer s’adresse aussi aux particuliers. Comme Blanche et Philippe, dont la chambre a pris des airs de cabine de voilier avec un lit taillé dans du bois d’azobé issu de la construction navale.

Car les créations du collectif sont aussi diverses que les matériaux qu’ils dénichent.  « De la déchetterie du port aux compagnies de ferries en passant par les chantiers navals, on récupère toute notre matière première auprès des acteurs portuaires  », raconte Guillaume Boutrolle, le graphiste de l’équipe.

David face au Goliath des déchets

Assis sur un fauteuil d’amarres, face à la rade, Guillaume observe un ferry de Corsica Linea déchargeant des conteneurs. « C’est le site où on évolue qui fait notre activité, et pas l’inverse », commente-t-il. Un processus de création « très organique ».

Certes, face au gisement de déchets du plus grand port industriel de France en marchandises, l’impact de ce réemploi artisanal peut paraître dérisoire. Mais Laissez Passer revendique cette approche, loin du recyclage à grande échelle qui produit parfois « des futurs déchets à partir d’anciens ».

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L’architecte du collectif, Raphaël Mougel, préfère « créer une valeur ajoutée à ces matériaux chargés d’histoire, en réalisant des pièces uniques ». Des créations qui, selon lui, « questionnent surtout, de manière poétique et inspirante, la source du problème : notre mode de consommation ».

« Ou plutôt de surconsommation, rebondit Guillaume. La maladie de notre monde, face à laquelle il propose une production artisanale raisonnée ».

Cap vers une grande “matériauthèque” portuaire

Malgré ce positionnement, le collectif souhaite passer à l’échelle supérieure face aux déchets portuaires, pour leur donner une seconde vie. « Le volume, on va aller le chercher en développant notre « matériauthèque » et en l’ouvrant à d’autres acteurs du réemploi », poursuit le graphiste.

Un modèle inspiré d‘initiatives similaires dans la ville. Comme la Réserve des arts, qui récupère du matériel d’occasion destiné aux professionnels du spectacle et du cinéma. Laissez Passer aimerait en faire autant avec les matériaux maritimes pour les proposer à divers artisans et créateurs.

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La matériauthèque de Laissez Passer

L’idée fait son chemin, car en nouant des partenariats avec les acteurs du port, le collectif est parvenu à constituer de véritables gisements de matières premières. Amarres, boisages, métaux… son site de stockage ne cesse de s’emplir. On y trouve des échelles d’abordage comme des bâches pneumatiques ou des caisses de gilets de sauvetage.

« Aujourd’hui, on a un réseau, un savoir-faire, une expertise et une légitimité pour développer cette filière », estime Raphaël. D’autant que le Grand port maritime de Marseille vient de reconduire le bail de l’association pour cinq ans et envisage de lui allouer plus d’espace. De quoi garder le cap sur le développement d’un design durable.

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