En créant l’Union Sportive du Panier de la Victoire, Nadji Nehari rend accessible le basket-ball à des jeunes filles issues de tous les quartiers de la ville, tout en valorisant le sport féminin.
C’est la fête dans ce quartier historique de Marseille. Organisée chaque année par l’association Le Panier, ce rendez-vous marque traditionnellement le début des vacances estivales. Entre les dribbles et les rires, sur la place du Refuge, six joueuses de basket s’affrontent dans des petits matchs. Nom de code : Les Panthères.
Ces jeunes filles issues des différents quartiers de la ville font partie de l’Union Sportive du Panier de la Victoire (USPV), dont la vocation première est de rendre accessible le sport à la gente féminine, dès l’âge de 10 ans. « C’est une réalité, aujourd’hui la mixité s’arrête à partir de la catégorie U13, c’est-à-dire les filles en dessous de 13 ans. Elles se retrouvent à devoir partir des équipes mixtes, et comme il y a moins de filles, il y a moins de sections féminines », explique Nadji Nehari, fondateur de l’USPV et coordinateur sport, bien-être et santé dans des centres de santé.
Son objectif est d’ancrer un club qui « avantage les femmes. Notre charte est de pouvoir créer deux équipes féminines pour ouvrir une équipe masculine. On essaye de renverser le rapport de force ».
De 3 à 64 licenciés en 2 ans, dont 44 jeunes filles
Créé il y a deux ans, le club a commencé avec trois licenciés pour atteindre 64 adhésions en 2023, 44 filles et 20 garçons. Une croissance qui s’explique selon Nadji par le bouche-à-oreille principalement, et le développement du sport féminin en général. L’Union Sportive du Panier de la Victoire compte désormais quatre équipes féminines : trois équipes qui jouent en cinq contre cinq et une équipe qui évolue en trois contre trois. Le club dispose de plusieurs sections comme U13, U15, U18 et Senior.
Issu du quartier populaire de la Cayolle (9e), Nadji a toujours été entouré de femmes. « J’ai vu comment ça se passait à l’intérieur du quartier pour les femmes et la force qu’elles avaient. Ce sont souvent les piliers des foyers, glisse-t-il. Quand j’ai commencé à travailler dans le social, ce que j’ai vu, c’est leur avenir. Je voulais qu’on leur donne des armes qu’on n’avait pas données à nos parents. Pour qu’elles puissent s’imposer dans la société telles qu’elles sont », révèle le Marseillais, aîné de trois frères.
« J’y vais et je m’impose »
Travailler sur l’occupation de l’espace public par les femmes est donc un fort enjeu pour le club, y compris sur les city-stades souvent pris d’assaut par les hommes. C’est sans compter sur ces jeunes « panthères » qui n’hésitent pas à rugir si nécessaire. « On s’embrouille toujours avec eux », rigole Assia, 16 ans, soutenue par Anaïs, 15 ans. « Quand je vais au city et que je vois que les mecs ne veulent pas me laisser la place, je m’impose », assume fièrement l’ailière forte de l’équipe.
C’est « grâce à Nadji » que Jouhaina, 15 ans et pivot lors des matchs s’est mise au basket. « Avec les garçons, c’est compliqué, ils nous regardent différemment, ils nous font des réflexions. Cela ne me blesse pas mais ça m’énerve, donc je suis fière de montrer ce que je sais faire », confie la jeune fille.
Le fondateur du club participe d’ailleurs régulièrement à des actions dans ces lieux pour visibiliser ces jeunes femmes et « tout se passe très bien. On a expérimenté dans le secteur des 2e et 3e arrondissements, dans le city-stade des Carmes et de la Major. Les garçons ont bien compris que les filles ont leur place sur le terrain, et aujourd’hui il y a de plus en plus de filles qui occupent cet espace », complète Nadji Nehari.
Ces joueuses âgées de 14 à 17 ans s’accordent toutes pour dire que le club leur a permis d’évoluer sur le plan sportif, mais aussi sur leur évolution personnelle, avec beaucoup d’entraide. « On se rend compte que ça avance et que ça devient professionnel. Et puis c’est nous qui l’avons créé », reprend Anaïs.
Une évolution des mentalités sur le sport féminin
En voyant jouer ces « guerrières », Nadji Nehari ne cache pas son sentiment de fierté. « On vit dans une société dans laquelle on dit aux filles que rien n’est possible, qu’il faut qu’elles restent dans leur zone. Moi, je suis juste venu leur dire : les filles, tout est possible », poursuit le coach en les regardant jouer. « Dans ce combat, il n’y a pas de distinction de genre, on doit tous mettre la main à la pâte. On a envie de montrer notre reconnaissance envers ces femmes-là ».
Si le développement du sport féminin est le but premier du club, Nadji constate une évolution des mentalités, même s’il reste encore du chemin à parcourir. « Certains parents ne s’intéressaient pas à l’activité sportive de leur fille. Le père regarde le plus petit jouer au foot, mais maintenant ça change. Les familles viennent assister aux matchs et il y a des résultats en plus ».
Vers un club « dirigé par des femmes »
Pour la première fois, durant la saison 2022-2023, le club s’est affilié à la Fédération française de basket-ball (FFBB), lui conférant une légitimité dans le paysage sportif et un gage de qualité. Un coup de pouce qui a boosté les filles au point d’accéder à la finale du championnat départemental en mai. Et un exploit pour une équipe aussi jeune.
Le président a pour projet de léguer progressivement les tâches administratives à toutes les filles du club. « On essaye de leur donner des clés, je leur donne tout ce que je peux, et dans quatre à cinq ans elles le reprendront entièrement, concède-t-il. Dans environ 15 ans, je veux que le club soit celui qui représente Marseille chez les professionnelles et qu’il soit dirigé par des femmes ».