De l’artificialisation des terres aux changements de mentalités, la bergère Christelle Gomez a trouvé un refuge pour élever son troupeau au camp militaire de Carpiagne.
« Ce qui me plaît, c’est cette vie de bohème, toujours dehors, à naviguer au fil de l’herbe », lance poétiquement Christelle Gomez. La bergère décrit ainsi sa vie depuis plus de 20 ans. « Les marins vont de port en port et nous de pré en pré. D’ailleurs, certains de mes collègues sont d’anciens matelots ».
Toutefois, depuis deux ans, l’éleveuse a trouvé un port d’attache : le camp militaire de Carpiagne à Marseille. Au pied du massif de Saint-Cyr, à cheval sur le Parc national des Calanques, le 1er Régiment étranger de cavalerie (REC) jouit d’un site naturel unique.
L’armée a engagé une série d’actions pour préserver ce joyau de la nature. Parmi elles, l’éco-pâturage. Ce débroussaillage naturel vise plusieurs objectifs : la prévention des incendies, mais aussi le maintien de milieux ouverts pour favoriser la biodiversité riche mais fragile du site.
Christelle a vu dans ce projet une opportunité. Après avoir élevé ses brebis durant des décennies, elle s’est tournée vers la race locale des chèvres du Rove, et délaissé « la recherche constante de pâturages » pour ce « havre ».
« C’est devenu un casse-tête de trouver un coin d’herbe »
« Il y a dix ans, je n’aurais pas fait comme ça. Je me serais battue pour des morceaux d’herbe dans les collines » raconte la bergère. « Mais c’est devenu de plus en plus difficile. On perd des prés chaque année. Mon quotidien c’était : chercher de l’herbe, chercher de l’herbe, chercher de l’herbe… », se remémore la bergère.
Une perte de pâturages qu’elle explique autant par le réchauffement climatique et les sécheresses successives, que par l’artificialisation ou la privatisation des terres agricoles. Des nouvelles surfaces commerciales au petit propriétaire qui rachète une parcelle pour vivre au vert, « c’est devenu un casse-tête de trouver un coin d’herbe pour les bêtes ».
Dans son recensement agricole 2020, l’État indique que les exploitations « d’ovins, caprins et autres herbivores » ont diminué de 20 % entre 2010 et 2020 dans les Bouches-du-Rhône. Dans la même période, le département a perdu 2 858 hectares de surfaces agricoles utiles (SAU). Si on zoome sur la métropole Aix-Marseille-Provence, c’est 4 436 hectares en moins sur la décennie, soit 17 %.
Malgré des mesures de la Ville, de la Métropole ou du Département pour sanctuariser des terres cultivables, l’association France nature environnement estime que 2 247 hectares sont encore menacés d’artificialisation dans les Bouches-du-Rhône.
La paix des militaires
En plus de la disparition des pâturages, la bergère note la difficulté grandissante de composer avec le grand public sur les herbages qui restent.
Car « il y a de plus en plus de monde qui veut s’oxygéner dans la nature, les collines et les montagnes, et c’est bien normal. Mais c’est parfois difficile de concilier les randonneurs avec les troupeaux et les chiens de protection ».
« Il y a aussi des changements de mentalités, poursuit Christelle. Il y a une prise de conscience pour la nature, mais parfois combinée avec de la méconnaissance », estime l’éleveuse bio.
Elle se souvient par exemple de plaintes pour maltraitance alors qu’elle abreuvait ses bêtes, un midi, entre deux pâturages, sur un point d’eau sans herbe à force de l’utiliser. « Mon propre vétérinaire a dû expliquer que c’était normal et que mes bêtes étaient en pleine forme ».
Pas de quoi fâcher la bergère avec la race humaine, « au contraire ! C’est bien que la société s’intéresse aux animaux et ce métier m’a procuré de magnifiques rencontres. Il y a quelques excès, dus notamment à l’emballement des réseaux sociaux. C’est pas tous les jours simple d’avoir à se justifier auprès de gens qui portent jugement sans forcément connaître le sujet ».
Gare aux loups
Des tracas qu’elle a laissé derrière elle en s’implantant sur le camp militaire de Carpiagne où ses chèvres jouissent de vastes espaces pour brouter dans un périmètre protégé de la fréquentation humaine. Mais une autre espèce s’est installée ici en même temps qu’elle : les loups.
Une meute a élu domicile dans ces collines et déjà causé la perte de 5 ou 6 bêtes. « Là, il me manque un gros bouc de 60 kilos depuis trois semaines. Il est pas perdu pour tout le monde… »
Une situation qu’elle prend avec philosophie, pour le moment, « tant qu’il n’y a pas de grosse attaque qui décime le troupeau. Le loup, c’est un sujet complexe, il faut vivre avec, sinon j’arrête le pastoralisme ».
Mais « l’épée de Damoclès » est bien présente malgré la surveillance de ses quatre « patous », les chiens protecteurs. De là à remettre en cause le « sacerdoce » qu’est le métier de bergère ? « Tant que j’aurai la santé pour faire ça, je continuerai ».