Emmanuel Macron s’est offert son premier bain de foule aux Campanules (11e), un exercice que le chef de l’État affectionne particulièrement, avant de rencontrer des mères de victimes d’assassinats sur fond de trafic de drogue. Une tout autre atmosphère.
« C’est Marseille Bb », « Marseille avec Macron », « Ici, c’est Marseille »… Pancartes à la main, c’est dans une ambiance chaleureuse que le Président de la République a été accueilli dans l’après-midi dans la cité des Campanules, où quelque 200 personnes sont venues l’attendre.
Une banderole « Bienvenue aux Campanules, monsieur le Président », signée “nouvelle ère pour nos quartiers” aux couleurs de l’Olympique de Marseille, club cher au cœur du Président, a été déployée à l’entrée de cette résidence de 420 logements située dans le 11e arrondissement de Marseille, qui a failli être transformée en point de deal il y a quelques mois. Des jeunes dealers venus d’une autre cité marseillaise ont tenté d’y installer leur réseau. C’était sans compter sur la mobilisation des familles qui se sont courageusement dressées contre le trafic de drogue en effectuant notamment des rondes.
Poignées de main et selfies
Entre poignées de main, selfies de rigueur et félicitations pour les moyens financiers mis en œuvre pour « changer Marseille », c’est aussi leur réalité que les habitants ont mise en exergue, au premier rang desquels l’insécurité et l’emploi.
À l’instar de cette maman dont le fils peine à trouver un travail, bien qu’il soit prêt à occuper n’importe quel poste. « Quand j’étais plus jeune, je disais qu’il fallait traverser la rue », plaisante le Président, en référence à une petite phrase très controversée à l’époque où il l’avait prononcée [en septembre 2018 dans les Jardins de l’Élysée, ndlr]. Le Président qui s’étonne de la situation s’est fendu d’une proposition : « Je fais le tour du Vieux-Port ce soir avec vous, je suis sûr qu’il y a dix offres d’emploi », qui n’a pas manqué d’être largement commentée.
C’est néanmoins dans la bienveillance que le Président de la République a pris le temps d’échanger, de répondre aux questions… Un exercice qu’il affectionne. Surtout à Marseille, où les bains de foule semblent avoir plus de saveur qu’ailleurs. « J’ai souvent vu des bains de foule du Président de la République en France, c’est en général positif, mais il faut reconnaître que Marseille, c’est particulier. Et il adore y aller même quand on lui déconseille », souffle Gérald Darmanin, un peu plus tard dans la journée, dans le quartier de La Busserine, où le chef de l’État a été un peu plus chahuté.
« Il y a juste des victimes, pas de bonnes ou de mauvaises victimes »
Mais avant cette dernière séquence de la journée, très attendue, Emmanuel Macron, s’est isolé un moment avec des familles endeuillées par les règlements de compte, alors que deux adolescents ont trouvé la mort dimanche, victimes d’une fusillade près d’un point de deal des quartiers Nord. 23 personnes ont été tuées dans la cité phocéenne depuis le début de l’année sur fond de trafic de drogue.
Le chef de l’État a pu échanger avec six mamans ayant perdu leurs proches, en présence de la députée (Renaissance) de la circonscription Sabrina Agresti-Roubache, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin ainsi que le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, la préfète de police Frédérique Camilleri, Martine Vassal, présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, le maire de Marseille Benoît Payan… L’ambiance est radicalement différente. Malgré les douceurs orientales et le café, la douleur est vive. Les mots poignants. « Je vous remercie de ne plus dire règlements de compte, mais assassinat. Mon fils a été assassiné », déplore une mère très émue. Il s’agit pour ces familles d’être reconnues dans le statut de victimes.
« Il y a juste des victimes, pas de bonnes ou de mauvaises victimes », ajoute Karima Mezienne, représentante du “Collectif de familles des victimes” Alehan. Cette avocate au Barreau de Marseille fait état des difficultés à avoir accès au dossier de l’instruction, après que Zaïr Meziene a perdu la vie le 4 avril 2016, à la cité de la Paternelle à Marseille. Il avait 48 ans. Depuis ce jour, sa sœur Karima Meziene n’a de cesse d’interpeller la justice pour que l’enquête avance. Sept ans qu’elle se bat. « J’ai enfin réussi à voir un juge d’instruction en 2022, mais trois mois après j’ai reçu une ordonnance de non-lieu. On a le droit à la vérité, à avoir accès à l’instruction ».
Comme elle, ce sont des dizaines de familles endeuillées à Marseille. Des enfants, des maris, des frères ou cousins morts sous les balles. « Je vais vous raconter les larmes de sang qu’on pleure. Ma mère a Alzheimer et tous les jours je dois lui dire que son fils a été assassiné », poursuit-elle, tandis que le Président de la République prend des notes. Avec l’association Alehan, Karima milite pour que ces meurtres ne restent plus sans réponse : « On n’a pas le droit d’être sacrifiés, c’est un vrai fardeau de ne pas avoir de réponse pénale ».
« Tatie, ça a tiré quand on jouait au foot »
Avec des sanglots dans la voix, ces femmes racontent leur quotidien, disent côtoyer tous les jours les assassins qui ont pris la vie d’un proche, qui “viennent faire les malins avec leurs motos”, déplorent l’utilisation des réseaux sociaux qui ajoutent à la douleur de l’impuissance. « Sur internet le droit à l’image n’existe pas. Les images des assassinats tournent en boucle”. Toutes ont été menacées et ont entendu : ‘tu vas mourir toi et tes enfants’.
Laetitia, la tante de Rayane, qui a perdu la vie en août 2021 à l’âge de 14 ans, dans la cité des Maronniers, « n’y croit plus. Malheureusement, ça arrivera encore. J’ai encore reçu des vidéos cette nuit de petits de 10 ans et 17 ans : ‘Tatie, ça a tiré quand on jouait au foot' », raconte-t-elle.
En serrant fort son éventail dans la main gauche, elle a été peinée par les propos tenus par le Président de la République, 15 jours seulement après le décès de l’adolescent. « Je comprends que vous l’ayez ressenti pour vous, je n’ai jamais parlé de Rayanne. Je ne le connaissais pas. Je n’ai pas répondu à une question sur Rayanne et je vous mets au défi d’écouter le discours du Pharo », répond avec calme Emmanuel Macron, qui continue d’écouter la souffrance et la colère sourde : « Monsieur le Président, je suis en face de vous, mais je ne suis pas là. Je suis morte à l’intérieur, je n’existe plus », livre celle qui se fait appeler Anita, pour éviter d’utiliser son véritable prénom par peur.
« Cet été, vous verrez la différence dans les quartiers Nord »
Les tensions se font jour, lorsqu’une dame au foulard rose évoque Le Castellas, en proie à des fusillades, la dernière en date survenue début juin. L’intervention ne concernant pas ce sujet si bien que quelques femmes ont vite élevé le ton : « Vous ne pouvez pas parler, vous n’avez perdu personne », lui rétorque-t-on, tant le déchirement est considérable.
« Les situations sont très différentes, mais ce que vous avez vécu justifie les réactions, excuse Emmanuel Macron. Sur la justice, ce que vous avez dit, ce sont des paroles de raison. On va mettre des moyens particuliers sur Marseille pour que vous soyez mieux accompagnés. Le rapport aux justiciables et en particulier aux victimes n’est pas toujours celui qu’on voudrait avoir, on va demander un meilleur accompagnement des victimes », annonce le chef de l’État, qui fait état du renfort de moyens déployés contre la lutte de trafic de stupéfiants.
« 80% des morts sont liés à la drogue, c’est quand même assez rare de vendre un truc qui n’a pas de clients. Il faut responsabiliser tout le monde, faire baisser la consommation », parlant une fois encore du pilonnage sur les points de deals, comme plus tôt sur le chantier des Baumettes III. « 70 points de deal ont été supprimés en deux ans, ce qui est une baisse de 43%, par une stratégie de pilonnage ».
Au bilan, 2 commandos de tueurs interpellés ; 600 armes saisies, dont 50 kalachnikovs pour la seule année 2023 ; 6 000 consommateurs de stupéfiants verbalisés à Marseille en 2023 ; 29 millions d’avoirs criminels saisis en 2022, ce qui est une augmentation de 45% par rapport à 2021.
Et pourtant, « on ne voit pas la différence », rétorquent les dames en cœur. « Jamais, jamais, on n’a mis autant de moyens. Cet été, vous verrez la différence dans les quartiers Nord » promet le Président de la République. « Si vous ne le faites pas, je viendrai à l’Élysée. Je suis une guerrière », prévient une mère.