À Marseille, des entrepreneurs mettent la technologie au service de l’environnement en inventant de nouvelles solutions de dépollution marine. Petit tour des innovations locales qui ont vocation à préserver l’écosystème fragile du littoral.
V2O Marine : la voile anti-déchets
Si un jour, en vous baladant sur la Corniche, vous apercevez au large une grande voile en forme d‘entonnoir tractée par un bateau, vous saurez qu’il s’agit du MPS, Marine Pollution Solution, un dispositif de dépollution maritime développé par la start-up V2O Marine. Testé pour la première fois l’automne dernier dans le port de Marseille-Fos, ce mécanisme breveté permet de rassembler les déchets afin qu’ils soient plus faciles à collecter par les navires antipollution naviguant sur la mer Méditerranée. Hydrocarbures, déchets chimiques, algues toxiques, micro-plastiques, macrodéchets… cette voile géante récupère “tout ce qui flotte, et peut même se déployer en cas de marée noire”, assure son créateur Rémi Allain, ingénieur en architecture navale et Marseillais d’adoption.
La forme hydrodynamique du MPS lui permet de tracter les déchets à une vitesse de 4 nœuds (7,5 km/h) en position de ramassage, et jusqu’à 8 nœuds (15 km/h) en position fermée. Soit, selon la start-up, deux fois et demi plus rapidement que quatre navires similaires non-équipés de la voile. V2O Marine propose ces solutions à différents types de clients, comme les ports et les collectivités qui souhaitent réduire le nombre de macrodéchets et algues toxiques sur leurs plans d’eau, ou encore les sociétés pétrolières en ce qui concerne les hydrocarbures. Après un premier prototype de 15 mètres de long et 11 mètres d’envergure, le MPS11, la start-up prévoit de concevoir différents formats de voiles afin de s’adapter à la taille des bateaux tracteurs. Elle développe actuellement des voiles de 30 mètres et de 60 mètres d’envergure.
Ecofhair : des cheveux pour capter les hydrocarbures
L’idée semble folle, mais elle est loin d’être tirée par les cheveux ! Les boudins flottants Capisorb, développés par Ecofhair en partenariat avec les Coiffeurs Justes, captent les hydrocarbures dans l’eau grâce au pouvoir adsorbant d’une ressource inépuisable : la fibre capillaire. Le Vieux-Port de Marseille a été le premier à s’équiper de ce dispositif innovant de “microdépollution” en mars dernier, avec une ligne de trente mètres attachée aux abords de la station d’avitaillement Nouvelle Aire. Celle-ci empêche les substances polluantes de se propager dans l’eau en créant un barrage flottant autour des zones à risques.
Les boudins sont conçus à partir des cheveux recyclés, collectés par l’association Coiffeurs Justes. Depuis sa création en 2015 par le coiffeur varois Thierry Gras, elle a permis d’en collecter plus de 350 tonnes, envoyées par 5 580 salons adhérents, en France mais aussi en Allemagne, au Portugal ou en Italie. “Chaque modèle d’un mètre peut absorber jusqu’à cinq litres de carburant”, explique le coiffeur engagé. Quatre salariés en insertion professionnelle fabriquent les boudins Capisorb dans un atelier à Draguignan. Après Marseille, les boudins s’apprêtent à conquérir les ports de la Côte d’Azur : ils se déploieront prochainement dans la zone d’avitaillement de Juan-les-Pins.
Jellyfishbot : la dépollution à distance
Déchets, plastiques et hydrocarbures : aucune pollution n‘échappe au Jellyfishbot, un robot compact et agile conçu par la start-up Iadys. Doté de deux caméras, il est capable de se faufiler entre les bateaux pour collecter tout ce qui flotte à la surface de l’eau des ports avant leur dispersion en mer. Le Jellyfishbot peut être piloté à distance, jusqu’à 500 mètres de portée, à l’aide d‘une télécommande. Mais l’utilisateur a aussi la possibilité de définir, via une application smartphone dédiée, une zone de nettoyage dont le robot s’occupera de façon entièrement autonome. Le dernier modèle du Jellyfishbot, développé en septembre 2022, possède une nouvelle fonctionnalité de bathymétrie : grâce à une sonde, il peut cartographier les fonds marins, permettant ainsi d’évaluer la profondeur d’une zone donnée en temps réel.
Son créateur, Nicolas Carlesi, est passionné de plongée sous-marine. Titulaire d’un doctorat en robotique, il a décidé de mettre ses compétences au service de la protection de l’environnement marin. Depuis sa conception en 2018 à Roquefort-la-Bédoule, Iadys a commercialisé plus de 90 bots dans le monde entier : le Jellyfishbot a été adopté par des ports de plaisance, des ports de commerce et des chantiers navals en Inde, au Japon ou en Australie. Plus près de chez nous, les ports de Cassis, Saint-Tropez ou Cannes, et récemment le Parc national des Calanques, s’en sont équipés.
DPOL : l’aspirateur des mers
Proposer une solution de nettoyage de déchets maniable, efficace et peu coûteuse aux ports et aux collectivités, c’est l’objectif du DPOL, créé par l’entreprise marseillaise Ekkopol. Amarré sur des points stratégiques, ce “skimmer marin” aspire tout ce qui flotte autour de lui : une pompe électrique crée un courant qui conduit directement les déchets jusque dans le filet récupérateur, d’une capacité de 150 litres. Avec une puissance de 440 watts, le DPOL est capable de récupérer 5 kilos de déchets à la minute et de traiter 26 000 litres d’eau par heure, soit l’équivalent de la moitié d’une piscine résidentielle. Il peut également être muni de boudins en polypropylène pour absorber les hydrocarbures. Fabriqué en aluminium et sans aucun consommable électronique, ce dispositif “low-tech” nécessite très peu d’entretien.
Le DPOL a été mis au point par Geoffroy de Kersauson et Éric Dupont, deux anciens de la Marine Nationale. Conscients des effets catastrophiques des pollutions marines, ils ont souhaité mettre à disposition des ports un outil “clé en main”, avec une installation et une formation rapides pour assurer la propreté du littoral et des rivières. Après une première démonstration publique du DPOL sur le Vieux-Port en mars dernier, Ekkopol y a installé un robot près de l’aire d’avitaillement Nouvelle Aire. En trois semaines, ses équipes ont récupéré huit sacs remplis, soit l’équivalent de 400 litres de déchets, et deux boudins d’hydrocarbures saturés. Une solution efficace amenée à se développer bien au-delà de Marseille…
5 000 avaloirs connectés
À Marseille, 5 000 avaloirs, plus communément appelés “bouches d’égouts”, sont équipés de capteurs à ultrasons. Grâce à une application, ils permettent aux opérateurs du Seramm (Service d’Assainissement Marseille Métropole) d’être informés en continu du niveau de remplissage de déchets des avaloirs pour optimiser leur entretien, prévenir les déversements par temps de pluie et protéger l’environnement. Le dispositif a également permis d’optimiser les déplacements motorisés, contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Depuis début 2023, les équipes du Seramm ont extrait en moyenne 100 m3/mois de déchets des avaloirs.
“L’idée est de récupérer les déchets en amont, avant qu’ils ne se retrouvent dans notre rade marseillaise”, explique Grégory Ostacchini, coordinateur opérationnel des avaloirs connectés du Seramm. En effet, “la majorité des avaloirs sont connectés à la mer ou à un ruisseau urbain, qui va s’y jeter”. Cette technologie unique en France a été développée par le Seramm et la Métropole Aix-Marseille-Provence, avec la start-up marseillaise GreenCityZen, pour un montant d’environ 1,5 million d’euros sur trois ans cofinancé par Suez et la Métropole, avec le soutien de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Elle fait partie des projets qui ont permis à la Métropole de décrocher le label de Capitale européenne de l’innovation 2023.