Dominique Massad a créé des roses pour des célébrités telles que Claudia Cardinale, Sonia Rykiel ou encore Paul Bocuse. Ce véritable passionné fait éclore des roses depuis plus de 40 ans.
C’est une très vieille dame. Dans les années 1980, elle avait fière allure, vêtue de ses grandes robes de pétales colorées qu’elle ressortait chaque printemps. Une hôtesse au parfum singulier qui savait recevoir avec délicatesse dans son vaste jardin « à la française ». Aujourd’hui, elle a 100 ans ! Certes, elle a connu les affres du temps, mais pour célébrer cet anniversaire, madame s’est offert une cure de jouvence, histoire de retrouver de sa superbe et d’accueillir ses convives, pour une grande fête au mois de mai.
C’est dans un nouvel écrin, entièrement réhabilité, qu’en ce printemps 2023, plus de 240 variétés de roses reprennent doucement vie. « Aujourd’hui, on a plutôt de grands massifs avec du gazon, de grandes promenades à l’anglaise, c’est bien d’avoir gardé ce dessin classique, car c’est de plus en plus rare », explique Dominique Massad, attentif au moindre détail, en arpentant les allées de la roseraie du parc Borély, désormais centenaire.
L’ingénieur agronome ne saurait expliquer ce qui le fascine dans l’univers des plantes. Dès l’âge de 8 ans, il cultivait déjà son jardin avec l’idée d’en faire un métier. « C’est bête, mais pour moi, c’est la source de la vie ». Faut-il y trouver la raison qui l’a poussé à vouloir donner naissance à de multiples variétés de roses ? Ce qui est sûr, c’est qu’entre les roses et lui, c’est une histoire de longue date, « presque génétique », plaisante-t-il. « Les rosiers, c’est par atavisme ».
Au nom de la rose depuis 1829
Dominique Massad appartient en effet à la sixième génération de la famille Guillot, célèbre créateur de roses de la région lyonnaise. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la famille Guillot était l’une des plus réputées, avec les Pernet-Ducher. C’est dans le quartier, bien nommé, La Guillotière que sa grand-mère entretenait la roseraie et s’occupait de toute l’exportation des rosiers vers l’Angleterre. « À la mort de mon grand-père, la maison a quelque peu périclité, mais on a repris avec mes cousins dans les années 1990. Eux du côté de Lyon, moi à Marseille ».
Et c’est ainsi que, depuis plus de 40 ans, il crée de nouveaux rosiers, premier maillon de la filière rose. Dans le jargon, on parle d’obtenteur, « car la création sous-entend qu’on maîtrise ce qu’on va faire, or il y a beaucoup de hasard dans le geste que l’on fait, parce que l’on mélange des patrimoines génétiques et donc on ne sait pas ce qui va ressortir forcément. On peut avoir de la chance, on peut avoir de l’intuition… On s’appelle donc obtenteur : d’obtenir ».
Le maître en botanique se démarque de ses homologues. Sur la quinzaine de sélectionneurs français, il est l’un des rares, voire le seul, à “hybrider” par passion. Il a occupé, sous l’ère Vigouroux, puis Gaudin, la fonction de directeur adjoint au service des espaces verts de la Ville de Marseille, pendant dix ans, avant de passer au tourisme et au service architecture. Dominique Massad, désormais retraité, dit ne jamais avoir mélangé sa passion avec son travail. « C’est pourquoi je ne me suis jamais occupé de la roseraie », même si quelques-unes de ses créations y poussent forcément.
Chaque rose a une histoire à raconter
Il a fait éclore 200 variétés à lui seul, dépassant de loin les 150 éditées par ses ancêtres. Nombreuses ont été commercialisées dans le monde entier et plusieurs ont été primées. Belle de Sardaigne, un élégant grimpant, composé de 26 à 40 pétales, a reçu le Grand Prix de la Rose, en 2011, de la Société nationale d’horticulture de France.
Ses membres viennent régulièrement voir le travail réalisé au sein de la roseraie marseillaise, par la municipalité. Elle sera officiellement inaugurée ce mois-ci, à l’occasion du grand concours national de la rose. Et pour le centenaire, Dominique Massad devait créer une variété spéciale. Sa 201e. Une idée finalement abandonnée par la Ville de Marseille.
Reste que pour lui, chaque rose a une histoire à raconter. Il recherche dans ces croisements des caractères toujours plus surprenants, dans une démarche se rapprochant plus de l’œuvre d’art que de la plante. Ce qui l’intéresse quand il crée dans son atelier-jardin à Allauch, c’est avant tout apporter de la nouveauté. « Il faut que ce soit différent de ce qui existe. J’ai beaucoup travaillé sur des choses qui sortent de l’ordinaire, ça ne marche pas toujours, car les gens ont l’habitude d’acheter des roses qu’ils connaissent. Alors quand je propose des roses différentes, c’est plus compliqué ».
Une quête de l’innovation tout en nourrissant une affection particulière pour les roses anciennes, dont il a contribué à la renaissance en France. « Dans les années 1960-1970, on n’avait qu’un type de rose, qu’on appelle la rose des fleuristes à grande tige avec une forme très moderne que je n’aimais pas. Les roses évoluent beaucoup, et dans les années 80 ça a changé, on est revenu à quelque chose de plus diversifié qui correspondait plus à mon goût personnel. Avec mes cousins, on a commencé à rechercher toutes les vieilles variétés qui pouvaient exister dans la famille, alors que peu de rosiéristes s’y intéressaient ».
« La rose est l’aboutissement de quelque chose »
La patience est l’un des ingrédients clés du processus, car après l’hybridation, « il faut compter 3 ou 4 ans pour savoir si on a quelque chose d’intéressant. On jette en moyenne 90 à 95% de ce qu’on sème. C’est parfois décevant, parce que la première année, ça peut être très bien, la deuxième aussi et la troisième on ne sait pas vraiment pourquoi, ça ne marche plus. C’est tout le mystère de la chose ».
Au bout de cette période déterminée, si tout va bien, le rosiériste qui l’accueille va la multiplier en plus grand nombre : « par 25 d’abord, et on va continuer la sélection sur plusieurs années pour voir si ce que j’avais distingué au départ se confirme ou s’infirme ». Mais avant, il faut lui trouver un nom sous lequel elle sera ensuite commercialisée. « Soit, c’est moi qui le donne parce que je veux honorer quelqu’un, soit c’est une demande pour une collectivité, une association, une personne qui veut faire un cadeau… ».
Il a ainsi signé des roses pour des personnalités telles de Sonia Rykiel (1991), Paul Bocuse (1992) ou encore Claudia Cardinale (1997), dont il garde un souvenir vibrant. Il lui avait sélectionné une rose rouge, « mais elle m’a fait dire qu’elle préférait les roses jaunes qui lui rappelaient le soleil de sa Tunisie natale », raconte le botaniste, qui a choisi une rose jaune avec un cœur abricot.
Les créations de Dominique Massad respirent la poésie, parfois la nostalgie. « Thelma » est une rose du nom d’une fillette de 8 ans qui a succombé à un cancer. Une demande de sa grand-mère pour laquelle il a mis tout son cœur. « Il y a des gens que j’aime beaucoup à qui je n’ai jamais pu faire de rose, parce que je n’ai jamais trouvé celle qui correspondait », confie-t-il, un brin ému.
Marseille voit la vie en rose
Une rose très banale peut avoir beaucoup de succès, juste grâce à son appellation. « Cuisse de Nymphe Émue » a suffi à déclencher les fantasmes les plus fous, « et on continue à la cultiver depuis quatre siècles », s’amuse-t-il. Pour autant, le spécialiste estime que « la rose se pérennise davantage par ses qualités que par son nom ». D’ailleurs, la première rose de Marseille, baptisée “Marseille en fleurs”, née en 2012, défie le temps.
Celle qui avait été sélectionnée pour le centenaire de la roseraie, avant que le projet n’avorte, est « belle au niveau de la végétation, fleurit bien et surtout supporte très bien la chaleur ». Dans les fichiers de l’obtenteur, en petit clin d’œil à la cité phocéenne, elle est enregistrée au nom de « Canebière », pour être rapidement identifiée. “Nessim” de son nom d’étude. « Avec un numéro, il n’y a rien de pire pour qu’on se plante », plaisante Dominique Massad, pour qui « la rose est l’aboutissement de quelque chose ».
L’ingénieur agronome a désormais tout le temps pour cultiver sa passion. Son expertise est très prisée. Il est régulièrement invité en France et à l’étranger (Allemagne, Japon…) pour y donner des conférences sur sa fleur de prédilection. Il en profite pour semer quelques graines sur la culture du rosier dans le respect de la nature. « C’est un monde particulier, il faut être un peu fou pour être dedans, parce qu’on ne peut pas appliquer des règles, il faut s’adapter à la plante », sourit-il. Un brin de folie pour voir la vie en rose.