Sur les hauteurs de Cannes, l’agriculteur et agronome Christian Carnavalet a lancé une école de maraîchage pour apprendre à cultiver une grande variété de légumes 100 % biologiques sur de petites surfaces.
Quand on pense à Cannes, ce sont d’abord son festival et sa Croisette qui viennent à l’esprit. Pourtant, loin des projecteurs, sur les hauteurs de la cité azuréenne, la basse vallée de la Siagne possède un riche passé agricole. C’est sur cette plaine fertile, durant la crise sanitaire, que Christian Carnavalet a fait le pari d’installer la première école de maraîchage urbain biologique de France.
L’homme, âgé de 66 ans, possède de nombreuses années d’expérience derrière lui en tant qu’architecte-paysagiste, agriculteur et agronome. Il est notamment l’auteur du livre Le maraîchage sur petite surface (ed. de Terran, 2020). L’envie de partager ses connaissances sur l’agriculture bio-intensive et de favoriser son développement l’ont amené à fonder l’institut de recherches Moreau-Daverne et la coopérative des Petites fermes d’Azur en 2020.
Situé à l’entrée des jardins familiaux du chemin de la Plaine de Laval à Cannes-La Bocca, un terrain de 14 000 m² est mis à disposition de la coopérative par la municipalité. Dans cette ferme à quelques dizaines de mètres de l’autoroute A8, Christian enseigne aux futurs paysans à travailler et avoir une activité rentable sur des petites parcelles allant de 1 000 à 1 500 m², « sans y passer 15 heures par jour et 360 jours par an ».
Quatre apprentis maraîchers en reconversion
En plein mois de juillet, alors que les légumes d’été sont prêts à être récoltés et que les thermomètres explosent sous l’effet d’une chaleur caniculaire, les quatre futurs maraîchers préparent en serre les semis d’automne et d’hiver. D’ici à la fin de l’été, Simone, Virgile, Romane et Fabien seront rejoints par deux nouveaux apprentis.
S’ils viennent d’horizons différents, tous suivent un parcours de reconversion professionnelle financé grâce à des aides de l’État et avec l’argent de leurs récoltes. D’ici trois ans, Christian Carnavalet espère réussir à placer 25 maraîchers sur la ferme, qui pourraient « gagner leur vie avec un salaire de 2000 à 2500 euros ».
Mais comment arriver à être rentable sur des parcelles aussi restreintes ? Pour Christian, la solution se trouve dans la « French Method ». Celui qu’on surnomme le « gourou des marais » prône le retour de cette technique traditionnelle française bio-intensive comme une alternative efficace au maraîchage sur de grandes surfaces, de plus en plus difficiles à trouver pour les jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer.
La French Method, qu’es aquò ?
C’est en 2015, alors président du Groupement des agriculteurs biologiques du département des Alpes-Maritimes, que Christian apprend l’existence de cette « méthode française ». Les collectivités lui proposent alors des parcelles de tailles restreintes de 1 000 à 2000 m² afin d’installer de nouveaux maraîchers.
« À force de fouiller pour trouver une solution, je vois que la French Method, c’est ce que j’ai appris quand j’étais gamin », se souvient-il. Il décide alors de remettre au goût du jour cette façon de faire, théorisée il y a 170 ans par les maraîchers parisiens Jean-Jacques Daverne et Jean-Guy Moreau dans leur Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris, paru en 1843. Bien que très étudiée à l’étranger, notamment aux États-Unis par ceux qui pratiquent la permaculture, la French Method reste paradoxalement mal connue dans son pays d’origine.
Sur les parcelles des Petites fermes d’Azur sont cultivées une soixantaine de variétés de légumes, plantées en roulement continu selon un calendrier précis. Il s’agit d’« associer par petites rangées les cultures basses et celles poussant en hauteur » afin d’obtenir un rendement important sur des surfaces restreintes. « Le but est d’occuper la place et de mélanger les cultures au maximum, résume Christian Carnavalet. Et il faut que ça aille vite ».
« Rapporter de la vie au sol » grâce à la microbiologie
L’un de ses secrets ? L’apport de fumier en grande quantité dans le but de « relancer l’activité microbienne » et de « rapporter de la vie au sol », le seul « entrant » utilisé à la ferme. Car selon Christian, pour comprendre la terre, il faut la regarder de tout près.
« La microbiologie, c’est la base de la vie, estime-t-il. Ces micro-organismes et cellules ont abouti à la diversité des espèces : les plantes ont appris depuis 4 millions d’années à gérer ces bactéries pour manger et se protéger. Plus on met de matière organique, plus les plantes seront saines et pousseront comme il faut ».
L’agriculture biologique, c’est bête comme chou.Christian Carnavalet, fondateur du collectif des Petites fermes d'Azur
Avant d’ajouter : « l’agriculture biologique, c’est bête comme chou. Une fois que l’on a un terrain propice, il n’y a plus qu’à planter, semer et gérer l’eau. Quand on pratique bien cette façon de cultiver, on a des rendements meilleurs et moins de frais à assumer ».
Le passionné d’horticulture se targue d’avoir écumé des « dizaines de milliers de publications scientifiques » et ouvrages sur le sujet. « Cela fait soixante ans que je m’intéresse aux plantes, et je n’arrête pas d’apprendre, de lire et d’écrire sur comment ça marche », affirme-t-il en souriant.
Alimenter 1500 familles et les cantines du secteur
Si la French Method peut rappeler la permaculture par certains de ses aspects, elle en est en fait un précurseur. Mais plus qu’une philosophie de vie qui vise l’autonomie complète, la méthode française est davantage « tournée vers l’extérieur ».
« Le maraîchage urbain, c’est produire le « panier de la ménagère » à l’année. Avoir une diversité de légumes à raison de 8 à 10 kg par personne chaque semaine. Ici, on veut former des gens qui produisent en quantité, pour pouvoir en vivre, mais surtout pour nourrir les populations », explique Christian Carnavalet. Car en plus de la formation, la coopérative vise à « alimenter 1500 familles » grâce aux récoltes effectuées, mais également à approvisionner les cantines municipales et la Faculté des métiers de Cannes en produits bio et locaux.
Les Petites fermes d’Azur ont commencé à vendre leur production dans une Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) et à un grossiste. « Tous les chefs de la Croisette veulent du bio et du local, mais il n’y a pas assez de producteurs ici pour fournir suffisamment », soutient Christian.
Il espère, « une fois que tout sera mis en place », pouvoir récolter 20 à 25 tonnes de légumes par an sur chacun des quinze marais qu’il est possible de mettre en place sur la ferme.
D’ingénieur informatique à maraîcher
Simone, d’origine piémontaise, est l’un des maraîchers en formation à la ferme. Selon lui, la French Method est un « bon outil de base, même s’il est ancien et peut être amélioré ». Contrairement à Christian, il évite au maximum de travailler la terre sur son marais, le n°4. « Le deal avec lui, c’est que je peux faire ce que je veux », indique cet ancien ingénieur informatique, tout en retirant les herbes folles qui ont poussé autour de ses plants de tomates.
Il a commencé sa formation en avril dernier, après avoir préparé sa reconversion pendant quatre ans. « Je ne trouvais plus beaucoup de sens dans ce que je faisais, au niveau de ce que j’amène aux gens », reconnaît Simone. J’en avais marre d’être enfermé devant un écran, des dynamiques de cette industrie, des grosses équipes… »
« Ce qui m’intéresse ici, c’est d’apprendre la pratique et me mesurer avec le métier, voir si ça me plaît vraiment, et si je tiens le coup physiquement, ajoute-t-il. C’est aussi intéressant, car Christian me propose de garder le terrain. La vie ici est très chère et cela décourage les gens qui voudraient se reconvertir, car ils se disent qu’on ne gagne rien en faisant de l’agriculture. On espère aussi pouvoir montrer que l’on peut arriver à toucher plus que le Smic avec ce métier ».
Le défi du foncier agricole sur la Côte d’Azur
Car trouver du foncier agricole dans la région n’est pas une mince affaire. « Sur la Côte d’Azur, on préfère faire pousser des centres commerciaux », ironise Simone, faisant référence à la construction du projet de méga-centre commercial de la Compagnie de Phalsbourg au parc naturel de la Valmasque à Valbonne, ou encore au magasin Ikéa de 22 000 m² récemment inauguré sur la plaine du Var à Nice, l’ancien « grenier des Alpes-Maritimes ».
En dix ans, 33 % de la surface agricole du département aurait disparu face au développement croissant de zones industrielles, d’activités touristiques ou autres résidences secondaires. Pourtant, le besoin de nourrir la population locale avec des produits bio et de qualité ne cesse d’augmenter.
Pour faire à nouveau rimer « Côte d’Azur » et « agriculture », certains élus font le choix de sanctuariser des terres. À Cannes, un grand chantier d’aménagement de la basse vallée de la Siagne, lancé en 2012, a permis à cinq agriculteurs de s’installer en agriculture bio et raisonnée sur trois hectares de terrain. Le PLUi (Plan Local d’Urbanisme) local interdit la construction sur les 75 hectares de cet espace naturel, l’une des dernières enclaves vertes de la ville.
Le collectif des Petites fermes d’Azur pourrait ainsi devenir un modèle d’agriculture adapté aux zones où le foncier agricole est soumis à de fortes tensions. La création de cette nouvelle école de maraîchage s’inscrit dans cette volonté de la municipalité de favoriser les circuits courts dans le cadre de son Projet Alimentaire Territorial. Le maire de Cannes, David Lisnard (LR), était lui-même présent lors de l’inauguration de la ferme le 6 janvier dernier.
« Aller au champ comme on va au bureau »
Deux des anciens élèves de Christian, Pascal Grac et Nicolas Riveil, ont déjà monté leurs propres exploitations quelques kilomètres plus loin, à Grasse. « Mon objectif est de montrer qu’avec la French Method, on peut travailler sur des petites surfaces. Et que ces paysans-là, à priori, auront une clientèle et ne se casseront pas la figure ».
« De plus, il n’y a pas beaucoup d’argent à investir. Avec 15 ou 20 000 euros, on peut s’installer sur 1 000 m2, ce qui est impossible sur 3 hectares ». Christian a lui-même placé 150 000 euros de ses économies dans ce projet. « Cela intéresse les élus, qui peuvent proposer des petits terrains, mais aussi les gens qui souhaitent se reconvertir dans l’agriculture sans dépenser des milliards… c’est adapté à tout le monde », assure-t-il.
Loin de la vision du paysan coupé du reste du monde, la plupart des jeunes maraîchers souhaitent aussi pouvoir mener une vie « normale » en-dehors de leur activité. Les stagiaires travaillent à la ferme 35 heures par semaine et se relaient le week-end si besoin. « On est des urbains, on va au champ comme on va au bureau, affirme Christian. L’autoroute, je n’y fais plus attention : maintenant, on entend les cigales et les oiseaux. Le soir, on s’en va, on coupe et on rentre chez soi. C’est un rythme très plaisant ».
Une boutique de producteurs régionaux
Mais « être un nouveau maraîcher tout seul dans son coin, c’est compliqué, concède Christian Carnavalet. C’est pourquoi, à l’avenir, la coopérative des Petites fermes d’Azur a vocation à fédérer un réseau de petits producteurs de la région afin de proposer des paniers de produits frais, locaux et de saison tout au long de l’année.
Avec également l’ouverture d’une boutique, « d’ici deux ans », afin que « les gens puissent venir déguster sur place des bonnes choses, des choses simples : un melon glacé avec une tranche de jambon des éleveurs de l’arrière-pays, une salade de mesclun, un rosé frais du Var… », suggère le gourou des marais.
Avant de conclure : « On me demande toujours, « pourquoi vous faites ça ? ». Parce que je suis fou, tout simplement. Je n’en sais rien, par besoin, pour vivre. Parce que ça m’amuse, parce que c’est ma vie, parce que j’aime bien voir pousser les plantes et que je veux donner aux autres la possibilité de faire pareil. Et parce que les gens en ont besoin ».