Sans surprise, la présentation du budget a déclenché de vifs débats lors du conseil municipal. La majorité marseillaise a voté ce matin une augmentation de 14 % de la taxe foncière. Une hausse de la fiscalité qualifiée de « racket » par l’opposition qui dénonce une « trahison », quand le Printemps marseillais défend sa décision pour anticiper l’inflation et continuer de reconstruire la ville.
« Gouverner c’est prévoir. Des nuages s’amoncellent sur notre ciel budgétaire, et en bon gestionnaire, on ne saurait attendre que l’orage arrive pour s’enquérir de l’achat de parapluies. Oui, nous augmentons d’un peu plus de 5 points la taxe foncière ». Lors de la présentation du budget primitif ce matin en conseil municipal, Joël Canicave persiste et signe. « C’est une décision que nous devons prendre face à l’état délétère des finances que nous avons trouvé, mais aussi face à des services municipaux souvent démunis ».
La majorité municipale a voté, ce vendredi 8 avril, une augmentation de la taxe foncière de 14 %, alors même que dans le programme de campagne du Printemps marseillais était inscrit qu’aucune hausse d’impôt n’interviendrait sous sa mandature. « Nous n’aimons pas les augmentations de taxe, mais nous assumons collectivement celle-ci », assure l’adjoint aux finances. Soit un supplément à payer sur l’avis d’imposition de 100 à 300 euros en fonction des quartiers, pour les quelque 173 000 contribuables propriétaires.
« Investir davantage »
La Ville justifie cette décision en évoquant une anticipation des dépenses liées à l’inflation, notamment le coût de l’énergie. « Deux nouvelles vont fondamentalement marquer l’année qui arrive avec le retour des dépenses que la crise avait gelées, mais aussi des hausses à craindre dans les achats, poursuit l’élu. On estime à 12 millions d’euros nos dépenses supplémentaires en énergie en année pleine », dit-il, faisant également état de ses craintes quant aux dépenses supplémentaires liées à la future répartition des compétences de la Métropole, désormais inscrite dans le cadre de la loi 3DS.
Cette hausse prend également en compte une augmentation du point d’indice des fonctionnaires promise par l’État et évaluée à « 20 millions d’euros » de dépenses pour la Ville, à laquelle s’ajoute une perte de 14 millions d’euros de revenus due à la suppression de la taxe d’habitation.
Endettée à hauteur de 1,45 milliard d’euros, la Ville doit rembourser « cette année encore 190 millions d’euros de dette (160 en capital et 30 en intérêts). C’est énorme et cela témoigne de la situation dont nous avons hérité », déclare Joël Canicave. Outre le fait de continuer à aller chercher « partout où cela est possible des dépenses à ne pas faire », la Ville attend ainsi avec cette hausse de la fiscalité foncière, 75 millions d’euros de recettes supplémentaires pour boucler un plan d’investissement de 1,7 milliard prévu sur la durée du mandat, avec pour objectif « d’investir davantage avec la mise en place de politiques qui vont améliorer le visage de Marseille dans les prochaines années comme le plan école [avec 108 opérations prévues cette année] ou la rénovation urbaine par exemple » et « notamment dans les quartiers qui en ont le plus besoin ».
Les ressources humaines, premier poste de dépense de fonctionnement
Pour 2022, les dépenses d’investissement représentent plus de 270 millions d’euros, « somme encore jamais atteinte », annonce le rapporteur général du budget, qui présente pour la première fois une « vision pluriannuelle ». École, sécurité, tranquillité publique, amélioration du cadre de vie et ville plus verte, solidarité… « Oui, nous sommes fiers de dire aux Marseillais(es) que nous allons continuer à transformer notre ville et leur apporter enfin les services publics dignes de la seconde ville de France ».
Sur ce budget primitif, le volet ressources humaines reste le plus conséquent avec 641 millions d’euros, soit 70 % des dépenses de fonctionnement, pour « rebâtir une maison commune », souligne Olivia Fortin, adjointe en charge de la modernisation des services de la Ville. « Le plus important dans une administration comme la nôtre reste l’humain ». Volet qui comporte notamment des revalorisations de salaire ou encore « recruter les compétences nécessaires » avec 350 embauches prévues pour remplacer les départs à la retraite [la Ville emploie 12 000 agents].
En chiffres : un plan d’investissement de 1,7 milliard jusqu’en 2026
Le premier plan pluriannuel d’investissement de la Ville de Marseille a été annoncé lors du conseil municipal par Joël Canicave et Mathilde Chaboche pour 1,7 milliard d’euros jusqu’en 2026 dont voici les quatre budgets principaux :
- Transition écologique : 343 millions d’euros, dont 97 pour les plages et 62 pour les squares
- École et jeunesse : 265 millions d’euros dont 205 pour le Plan école
- Action sociale : 257 millions d’euros, dont 107 pour les équipements sociaux
- Sport : 182 millions d’euros, dont 66 pour les piscines
Dépenses d’investissement en 2022 : 270 millions d’euros
En 2022, les dépenses d’investissement atteignent plus de 270 millions d’euros. Un niveau « jamais atteint », selon l’adjoint aux finances. 42 millions d’euros sont dédiés aux écoles et aux crèches (et une enveloppe supplémentaire de 3 millions d’euros pour les écoles), notamment pour le Plan écoles avec 108 opérations programmées cette année.
Le deuxième poste de dépense est la « Ville verte » avec 39,2 millions d’euros, avec le projet d’un éclairage public moins énergivore. Le troisième budget est celui du sport avec 35 millions d’euros, soit une hausse de 37 %.
À noter une enveloppe d’investissement de 8 millions d’euros dédiés à l’accessibilité dans la ville et le début du plan de rénovation pour les marins pompiers de Marseille pour 20 millions d’euros.
Mensonges, illusions et trahisons, quand l’opposition accuse le coût
Depuis quelques jours, l’opposition de droite fustige la décision de la majorité, dénonçant un « racket » ou encore un « matraquage », dans une période bien mal choisie. « Qu’est-ce qui vous a pris d’augmenter les impôts dans cette proportion en ce moment avec une crise sociale, une crise du pouvoir d’achat et de la faire voter à deux jours de l’élection présidentielle ? » interroge avec véhémence, Lionel Royer-Perreaut. Le maire des 9e et 10e arrondissements (qui a rejoint la majorité présidentielle), qualifie ce budget 2022 de « celui des illusions perdues », voire celui « des occasions manquées ».
Dans son propos contestataire, Pierre Robin, élu d’Une Volonté pour Marseille, lui, n’a pas raté l’occasion de ressortir ses formules de « super menteur », à l’encontre de Benoît Payan, accusant le Printemps marseillais de « mentir », ou encore de faire « semblant d’investir ».
À « petit papa Joël », qu’il accuse de « faire les poches des Marseillais » et qui un peu plus tôt rappelait aux bons souvenirs de la droite qu’elle avait voté 27 hausses d’impôts, Pierre Robin rétorque « c’est exact ». Puis précise que sous l’ère Gaudin, la taxe foncière avait augmenté « de 3,03% entre 2008 à 2020 », soit sur 12 ans, quand celle annoncée par le Printemps marseillais est « 5,47 points sur une année. Je n’ai vu ça dans aucune ville de France. C’est un véritable coup de massue », dit-il, appelant « sans trop d’espoir » le maire à « revenir à la raison » en retirant ou amendant ce rapport. « À défaut, nous nous y opposerons lors du vote et aussi si nécessaire, devant les tribunaux ».
Vote du budget 2022 de la Ville de Marseille avec la proposition d’une grande réforme de la fiscalité pour une plus juste répartition des richesses pour nos concitoyens, pour les Collectivités locales et les services publics pic.twitter.com/Ywvk9ossKM
— Jean-Marc Coppola (@JeanMarcCoppola) April 8, 2022
En attendant, c’est dans l’hémicycle municipal que les plaidoiries s’enchaînent, rythmées par des « flash-back » incessants à l’ère Gaudin. Les élus aux commandes aujourd’hui reprochent à ceux d’hier les incuries d’antan, les « arguments fallacieux » et même « la soirée mondaine pince-fesse » au soir du drame de la rue d’Aubagne, ose Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture.
Ceux d’avant accusent le Printemps marseillais d’exceller dans l’art de « l’illusionnisme », et tels des « prestidigitateurs », d’escamoter leurs promesses de campagne. Pointant le « switch » entre Michèle Rubirola et Benoît Payan, Sabine Bernasconi (LR), en lice pour les législatives, évoque une crise de confiance : « On a toujours l’impression d’être dans la tromperie. Cette manière de faire de la politique, les citoyens ne peuvent plus le supporter ».
🗯️Sabine Bernasconi : « Au moment où le contexte est lourd avec des difficultés au niveau du #pouvoirdachat, vous décidez d’augmenter les #impôts de manière conséquente. Vous êtes en train d’accroître une véritable #injustice fiscale, mais également sociale ! »#ConseilDeMarseille pic.twitter.com/3k6MRT6HlB
— Une Volonté Pour Marseille (@UVPMarseille) April 8, 2022
« Préparer l’avenir ensemble » ?
Sophie Camard (PM), maire des 1-7, lui oppose une liste de différentes actions promises et réalisées dans son secteur, et dans cette perspective annonce « que l’argent des impôts sera bien utilisé et c’est bien ce qui va changer avec le Printemps marseillais », parce que « nous assumons nos choix politiques avec un mot d’ordre : l’équité des territoires et l’égalité entre les Marseillais(es), déclare la maire-adjointe, Samia Ghali. Nous sommes conscients de l’effort que nous demandons aux Marseillais, mais il est de notre devoir de ne pas être dans le déni. Ce premier budget de la majorité est là pour corriger les erreurs du passé et préparer l’avenir ensemble ».
« Pour nous, il n’y a pas de petites économies il y a revanche la volonté de rendre aux marseillais un budget à leur service
Ce premier vrai budget est là pour corriger les erreurs du passé
Nous assumons un mot d’ordre : équité des territoires et égalité entre les marseillais » pic.twitter.com/wh7J8t5glw
— Samia GHALI (@SamiaGhali) April 8, 2022
« Ensemble ». Un mot qui résonne étrangement tant il se fait rare au milieu des attaques, des noms d’oiseaux et des « débats stériles » en convient volontiers Laure-Agnès Caradec (UVPM), invitant toutefois les élus de la majorité à plus de « modération. Cette posture ne pourra pas durer six ans. Vous ne pouvez pas dire qu’en 25 ans rien n’a été fait. C’est faux. Archi-faux. L’heure de votre bilan arrivera aussi », dit-elle, égrenant quelques réalisations des précédents mandats. Son propos aurait – presque – pu mettre tout le monde d’accord, lorsqu’elle évoque la nécessité de travailler « ensemble, Ville de Marseille, Métropole, Département, Région, pour avancer de façon constructive sur une voie qui paraît étroite entre votre idéologie et notre pragmatisme ».
De l’aide plus que les anathèmes
Un petit pic qui ne semble pas empêcher le Maire de Marseille d’emprunter le chemin de la coopération, et ce même s’il réitère que sa « majorité n’est pas à l’origine de la situation de la ville, des écoles, des logements…. Une drôle de situation qu’aucun maire ne pourrait envier ». Loin des « anathèmes » en tous genres « c’est de votre aide dont j’ai besoin, plaide-t-il. Que vous veniez nous aider à trouver des solutions, car des idées on en a plein ».
Il a trouvé la Métropole à ses côtés pour aller décrocher les crédits de l’État engagés dans le plan « Marseille en grand ». « Et je sais que je trouverai le Département. Il va falloir qu’on s’en sorte, il n’y a pas 40 solutions, c’était la plus difficile, mais il n’y en avait pas d’autres, poursuit-il. Cette ville on va continuer à la reconstruire ».
L’augmentation de la taxe foncière entérinée, le budget a été adopté par 55 voix [+ deux élues DVD qui siègent en non-inscrits], les élus de l’opposition ayant voté contre. Mais cette question fiscale a ressurgi au détour du rapport concernant le plan d’investissement de 1,7 milliard jusqu’à 2026. La présidente du Département, Martine Vassal, a réaffirmé son soutien. « Ce qui serait dramatique ce serait d’alourdir encore cette pression fiscale, et j’espère que l’aide du Département vous permettra de ne plus augmenter les impôts ».
Avec un budget d’aide aux communes de 100 millions d’euros, Benoît Payan, lui, espère le doublement des aides de l’institution à la deuxième ville de France « parce qu’on en a besoin », promettant de proposer « des projets forts parce que le conseil départemental n’est pas une banque ».