Le jardin des Fadas Bucoliques a été créé en 2015 entre deux copropriétés au pied des Calanques, dans le quartier de la Pointe-Rouge à Marseille. Après 7 années de travail collaboratif, le terrain de 2 500 m2 est devenu une oasis de biodiversité qui tisse des liens entre voisins.
C’est l’histoire d’une ancienne friche, transformée en jardin d’Eden suite à une rencontre entre trois voisins. En mars 2015, Benoît, Eric et Pablo ne se connaissent « pas plus que ça », mais décident de raviver le terrain au sol sec et sablonneux de 8 000 m2 qui sépare leurs deux copropriétés dans le quartier de la Pointe-Rouge. Vouée à la spéculation immobilière, la parcelle est menacée de construction, et les trois hommes souhaitent trouver un moyen de la préserver.
Aucun d’entre eux n’a jamais fait de jardinage. Ils découvrent alors la permaculture sur Youtube et, au fil des vidéos, une prise de conscience opère. « En nous renseignant, nous avons appris que 80 % des sols agricoles français étaient biologiquement morts, explique Benoît Chauveau, l’un des fondateurs du jardin. Ça nous a réveillés. On s’est dit qu’il existait des solutions durables pour cultiver la terre et qu’on ne pouvait pas rester les bras croisés, alors on a commencé à expérimenter ».
Benoît et ses voisins décident de se lancer dans la culture de légumes en suivant les principes de la permaculture qui consiste à enrichir le sol par des apports d’engrais naturels en surface et a créer l’abondance, le tout avec un faible apport en eau.
Une biodiversité restaurée
Sept ans plus tard, le jardin des Fadas Bucoliques constitue un oasis de biodiversité sur 2 500 m2, au pied du Parc des Calanques. Les jardiniers y cultivent en agroécologie des fruits et légumes sur trois potagers différents, mais aussi des centaines d’espèces de plantes et une cinquantaine d’arbres fruitiers : pêchers, plaqueminiers, amandiers, abricotiers, figuiers, néfliers…
Chacun fait monter ses semis à la maison avec les graines récupérées des récoltes précédentes, puis vient les repiquer en pleine terre dans le jardin. Une végétation foisonnante, à la fois maitrisée et abondante, profite des apports en compost produit sur place par Bernard Dejean, l’un des jardiniers fadas, qui récolte les « déchets » alimentaires de restaurants et commerces alentours pour en faire de l’engrais naturel.
Les insectes sont revenus avec les plantes, et avec eux, les oiseaux, ramenant la biodiversité sur cette ancienne friche. « C’est super de se dire que ça ne met pas si longtemps que ça pour restaurer un écosystème, se félicite Benoît Chauveau. On se rend compte que la vie est très forte. C’est un effet que l’on n’avait pas anticipé au début ». Le jardin a même reçu la visite du « pape de la permaculture », l’activiste et écrivain britannique Rob Hopkins, en 2019.
Des débuts difficiles
En plus d’avoir restauré tout un écosystème, le jardin a aussi rétabli les relations entre voisins. Au fil du temps, il est devenu un endroit de rencontre et de partage pour les habitants des copropriétés qui l’entourent. Au-delà de ceux qui y cultivent, les voisins de tous âges s’y retrouvent et viennent s’y promener, y organisent des apéros, pique-niques, anniversaires…
Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. Le projet n’a pas fait l’unanimité à ses débuts, et s’est heurté à l’incompréhension de certains. Mais en mars 2016, les trois « Fadas » obtiennent l’autorisation de la copropriété pour cultiver sur une surface de 2 500 m2. De plus en plus de curieux se sont intéressés au jardin et ont rejoint l’association. Aujourd’hui, ils sont une centaine d’adhérents à en faire partie, avec un « noyau dur » d’une vingtaine de jardiniers réguliers.
« Avant, les gens ne parlaient pas vraiment entre eux, témoigne Bernard Dejean, qui habite l’un des immeubles depuis 40 ans. Ceux qui ont créé ce jardin ont réussi à faire naître une petite communauté. Pour Benoît Chauveau, l’espace a « restauré la paix entre les deux copropriétés. Tous les matins, notre voisine Michelle, qui est aussi la doyenne des Fadas, nous bénit ! Elle nous dit que pendant des années elle a vécu dans cet immeuble en disant à peine bonjour aux voisins qu’elle croisait ».
Permaculture, partage et transmission
Grâce aux efforts de tous ces Fadas, le terrain a été placé en zone verte inconstructible dans le nouveau PLUi. « Tout ce que l’on veut, c’est faire pousser des légumes de qualité, sans intrants dans la terre ni pesticides, pour se nourrir sainement, explique Benoît Chauveau. Le jardin n’est pas un lieu où la productivité est le phare, il n’y a pas d’argent au milieu de tout cela ».
Au paradis des Fadas Bucoliques, le partage n’est pas qu’une idée, c’est une logique au cœur du fonctionnement du jardin. Ici, on ne pèse jamais les récoltes avec une balance. « Les buttes n’appartiennent à personne, donc elles appartiennent à tout le monde, résume Bernard Dejean. Chacun prend ce dont il a besoin ».
« Ça nous arrive de ne pas être d’accord entre nous, mais c’est normal, sinon on n’avancerait pas, continue le jardinier. Ce n’est jamais un conflit mais une confrontation d’idées. En me formant à la permaculture, j’ai plus appris une façon de penser que de cultiver ».
« On aimerait que chacun se dise, à son niveau, »moi aussi je peux faire quelque chose », conclut Benoît Chauveau. C’est peut-être utopique, mais c’est cette force du collectif qui s’autorégule sans hiérarchie, sans contraintes, et avec une vraie dynamique portée par le plaisir qui fait notre force ». Une dynamique qui se prolonge depuis sept ans maintenant, et qui ne semble pas prête de flétrir. Les Fadas Bucoliques sont donc des fadas… pas si fous que ça.