C’est un mets à six pattes qui pourrait bien débarquer en nombre dans vos placards. Pâtes, farines, produits d’apéritifs… La jeune start-up Temebryo basée à Gap (Hautes-Alpes) transforme et commercialise des produits à base d’insectes. Les fondateurs, Antonin Bourgeois et Kévin Oddon, projettent d’installer leur propre élevage de vers de farine et de développer une gamme sportive.
À l’heure de l’apéro, Kévin et Antonin ont pris l’habitude de croquer des insectes relevés au curry Madras, à la place des chips traditionnelles. Un petit plaisir qu’ils espèrent que bon nombre de personnes partageront très bientôt. Il y a deux ans, les deux amis d’enfance se sont lancés dans la transformation et la commercialisation de produits à base d’insectes. « Il y a quelque temps, nous sommes tombés sur un rapport de l’OMS [Organisation mondiale de la santé] qui mettait en évidence les insectes comestibles comme une solution d’avenir face aux problématiques écologiques et pour nourrir une population grandissante », expliquent Antonin Bourgeois et Kévin Oddon.
En effet, au rythme actuel de la croissance démographique, les scientifiques prévoient une augmentation constante de la population mondiale jusqu’aux 9 milliards de personnes à l’horizon 2050. Alors que la production alimentaire mondiale représente une grave pression sur l’environnement, les insectes constituent une piste écologique sérieuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Sans compter, que l’adoption de nouveaux régimes alimentaires (flexitarisme, véganisme, végétarisme) met aussi en évidence l’intérêt que pourrait revêtir l’entomophagie (consommation d’insectes par les hommes).
Gap, un écosystème favorable au développement
Au fil de leur lecture, les deux amis d’enfance sont convaincus que les denrées alimentaires à base d’insectes constituent un marché d’avenir. Portés par le désir d’entreprendre, « tout en donnant du sens à leur vie », à 26 ans, ils créent Temebryo.
Originaires de la Drôme, ils s’installent à Gap, dans les Hautes-Alpes, pour profiter d’un écosystème local dynamique dans une ville sportive. « Le bon endroit », pour développer leur projet, estiment-ils. Depuis novembre 2020, la jeune start-up Temebryo évolue au sein de l’incubateur d’entreprises et de coworking GAAAP.
À cette époque, le pari est osé, en raison du flou juridique entourant la consommation et la vente d’insectes sur le sol français et plus largement européen, même si certaines boutiques en ligne s’affranchissaient de cette réglementation, proposant déjà à la vente insectes comestibles et autres produits fabriqués à base d’insectes. Début 2021, les 27 pays de l’Union européenne ouvrent finalement la voie à la consommation d’insectes en autorisant leur mise sur le marché en tant qu’aliment.
Une production presque 100 % locale mais entièrement bio
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a donné un avis favorable à la consommation des vers de farine « soit sous forme d’insectes entiers séchés, soit sous forme de poudre », comme ingrédient d’un certain nombre de produits alimentaires comme des biscuits, des pâtes ou encore des produits protéiques, notamment destinés aux sportifs. Le ténébrion meunier est le premier insecte à intégrer la liste des nouveaux aliments dit « Novel Food », la base de la première gamme de produits de Temebryo.
La start-up commercialise en ligne et dans quelques points de vente du 05 des insectes d’apéritifs aromatisés au curry Madras, des sucettes aux insectes ainsi que des fusillis à la farine d’insectes. Pour faire leurs pâtes, l’entreprise fait appel à Mademoiselle de Provence, productrice basée dans les Alpes-de-Haute-Provence. « L’assemblage des pâtes est fait à partir de seulement deux ingrédients, et rien n’est ajouté en plus : de la semoule de blé dur complet, certifié bio et de la farine de ténébrions meuniers élevés en France. Il n’existe pas encore de certification bio pour les insectes comestibles, mais nos insectes sont nourris exclusivement avec du bio et tous les ingrédients utilisés pour composer nos produits sont certifiés issus de l’agriculture biologique ».
Pour l’heure, Temebryo travaille avec une ferme spécialisée de l’élevage de vers de farine basée dans le Nord de la France. « Ce qui comptait vraiment pour nous, c’était d’avoir des insectes made in France pour des questions de traçabilité et comme l’argument écologique est aussi mis en avant quand on parle de consommation d’insectes, il fallait bien sûr être cohérent ».
Une alternative protéique crédible
En effet, les insectes s’imposent, peu à peu, comme une alternative protéinée crédible à la viande, d’abord en raison du faible poids environnemental que pèse leur élevage : seuls 2 kg de végétaux sont nécessaires pour la production d’un kilo de protéines, contre 20 kg dans l’élevage bovin. « La production nécessite également peu de moyens, peu d’eau et peu de surface au sol ».
Les insectes représentent également d’importantes qualités nutritionnelles. « Par exemple, 57 grammes de protéines pour 100 grammes. À masse égale, un steak de bœuf c’est 20 à 25 grammes de protéine », poursuit Antonin. C’est sur cet aspect que veulent miser Kévin et Antonin pour toucher le secteur sportif, avec une gamme de barres de céréales énergétiques et de la protéine en poudre entre autres, pour améliorer les performances et aider à la récupération. « 100 grammes de ténébrions meuniers, c’est : 59,6 grammes de protéines, des oméga 3 et 6, des vitamines B12, autant de fibres à masse égale que dans du brocoli… »
Les financements octroyés par BPI France dans le cadre du French Tech Tremplin, « vont nous permettre de travailler sur cette évolution et d’élargir notre gamme avec également des insectes prêts à être cuisinés, mais nature. On aimerait travailler sur le grillon domestique qui a d’autres valeurs nutritionnelles qui peuvent être intéressantes pour nous ». La Commission européenne a donné son feu vert à la commercialisation de cette nouvelle espèce d’insecte en février dernier.
L’acceptabilité des consommateurs
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, un millier d’espèces comestibles existe dans le monde, dont plus de 500 au Mexique, 428 dans le bassin amazonien, 250 en Afrique ou encore 170 en Chine. Dans la culture occidentale, l’acceptabilité des consommateurs est encore faible. « Même si ça reste difficile, car il faut convaincre les consommateurs, c’est dans l’ère du temps, ajoute Antonin. En Europe, nous ne sommes pas habitués à manger des insectes, mais il y a 2,5 milliards de personnes dans le monde qui en consomment déjà. Il faut juste habituer les palais. C’est pour ça qu’on veut démocratiser la consommation d’insectes au quotidien ».
Si le goût varie en fonction des insectes, les vers de farine sont généralement neutres, avec une légère saveur noisette. Ce qui leur permet de s’accorder facilement avec des assaisonnements sucrés ou salés. De là à convaincre les plus réticents…
Kévin et Antonin ont déjà participé à des salons et des foires pour faire connaître leur marque sur le territoire. Selon eux, personne ne reste indifférent à leurs produits. « Les réactions sont très variées, mais nous n’avons jamais eu de retours négatifs. Certaines personnes sont carrément dégoûtées. Il y a ceux qui se lancent volontiers. D’autres sont intrigués, mais avouent pouvoir consommer des insectes que s’ils sont transformés. 70 % sont prêts à les manger s’ils ne les voient pas dans les produits, d’où les produits transformés ». D’ailleurs, Temebryo teste actuellement une farine d’insectes avec des chefs cuisiniers. Elle devrait être commercialisée dès la fin du mois.