Les Grandes Halles du Vieux-Port ouvriront au printemps 2022 sur le cours d’Estienne-d’Orves avec un marché paysan, des commerces de bouche et des restaurateurs locaux. Un projet mené par des entrepreneurs marseillais alors que les institutions publiques planchent également sur un établissement de ce type dans la ville.
Un restaurateur, un communicant et un promoteur. Trois fondateurs avec un point commun : « nous sommes tous Marseillais », insiste Laurent Battisti. Lui, c’est l’expert local « bars et restauration ». En témoigne la longue liste des établissements qu’il a lancés autour des futures Grandes Halles du Vieux-Port : « le Pointu, l’Horloge, le Caribou, le Bar Bû, le Bar des pêcheurs… Je n’ai fait que ça durant les 25 dernières années. Puis j’ai décidé de tout vendre pour me mettre au vert ».
Il se dirigeait donc vers une forme de pré-retraite après une vie intense dans ce secteur. « Mais au cours d’un apéro, on s’est mis à discuter de l’idée de créer des halles à Marseille avec mon ami Julien Fabre ». Lui, c’est « Monsieur communication ». Dans son domaine, le CV est aussi bien garni. Sunmade, l’agence qu’il dirige, dispose d’un carnet de clients éloquent : Région, Métropole, Olympique de Marseille, grands groupes privés… Il est également le directeur de publication du magazine culturel destiné aux jeunes, Magma.
Une expertise qui peut expliquer le storytelling séduisant déroulé par les deux entrepreneurs : « On a eu cette idée autour d’un verre, et nous voilà », explique Julien. « On est comme des enfants », reprend Laurent. « C’est une prise de risque totale. On n’a pas besoin de ça dans nos carrières ». Il annonce que les Grandes Halles du Vieux-Port ouvriront au printemps 2022, cours d’Estienne-d’Orves, sur 2 000 m².
« Tout sera axé sur la cuisine méditerranéenne »
Un concept global qui s’installe de part et d’autre de la place. D’un côté, l’ancienne Maison de l’artisanat sera dédiée aux commerces. De l’autre, les 900 m² de l’ex-Buffalo Grill accueilleront « food court » et « finger food ». Une cuisine à déguster en comptoir et mange-debout. « Nous créons des halles par des Marseillais, pour les Marseillais », lance le communicant, qui tient déjà son slogan. Les « 13 ou 14 échoppes » seront toutes tenues « par des personnes légitimes ici, qui ont des gueules et des personnalités », décrit Julien Fabre.
Parmi les restaurateurs attendus, Maheva, de l’incontournable pizzeria de la Bonne mère, tiendra une « trattoria italienne » alors qu’un champion du monde local de la pizza y installera son four. L’enseigne du Panier Entre terre & mer proposera un comptoir d’écaillers-poissonniers. Liban, Israël, Espagne, Grèce, Italie… « tout sera axé sur la cuisine méditerranéenne ».
Le jeune et prestigieux chef marseillais Ludovic Turac aura également sa place. Il mettra son talent au service de plats régionaux en bocaux à consommer sur place ou à emporter : « Daube de poulpe, pieds paquets, alouettes sans tête… », liste Laurent Battisti.
Enfin, un « Grand bar central » proposera une immense terrasse qui pourrait atteindre 500 places environ. Un détail qui a son importance car il s’agit de marquer une continuité avec le bâtiment d’en face, l’ancienne maison de l’artisanat, qui accueillera des producteurs et justifiera le titre de « halles ».
Un marché paysan dans l’Arsenal de galères
Cet édifice historique, « sublime, témoignage de l’ancien Arsenal des galères », accueillera des commerçants sur plus de 1 000 m². Là encore, ils ont fait l’objet d’une sélection pointue. Les cinq commerces sédentaires à l’entrée du bâtiment concerneront une boucherie traditionnelle marseillaise plus que centenaire, une épicerie fine corse de prestige, une fromagerie locale de renommée ou un boulanger bio.
Plus au fond, un grand marché couvert prendra place. Toujours dans l’idée « de promouvoir la qualité et les producteurs locaux », Julien Fabre annonce qu’il sera tenu par le marché paysan du Cours Julien. « Nous louons l’espace à l’association qui fera tourner ses producteurs. Produits maraîchers, miel, olives… Tout sera local et de saison ».
Un marché qui pourrait « déborder sur l’extérieur de temps en temps », rêvent les deux associés. Et marquer un peu plus la continuité des deux espaces. « La place est très minérale et manque d’âme et d’animation. Un marché provençal ici ça donnerait un élan au quartier ». Mais pour l’heure, la Ville étudie seulement un petit débordement des étals commerçants.
Les Grandes Halles du Vieux-Port : une « licorne » marseillaise
Pour y avoir consacré plusieurs sujets, les projets de création de halles suscitent toujours un grand nombre de réactions, tant cette réalisation est attendue. Contrairement à d’autres grandes villes françaises et européennes, Marseille est dépourvue d’un tel site, couvert, mixant marché de producteurs et restauration. Un vide sur lequel le monde économique a planché. La CCI Aix-Marseille a mené une étude sur le sujet.
La municipalité y travaille aussi. C’est « le leitmotiv du mandat » de l’adjointe en charge du commerce, Rebecca Bernardi, comme celui de son homologue à l’alimentation durable, Aïcha Sif. C’est pourtant au privé que reviendra la primeur de réaliser un tel projet, avec le soutien des élus. « Des halles à Marseille ? Ça a toujours été une licorne pour moi », confie Laurent Battisti, évoquant cet animal fantastique que personne n’a jamais vu.
Et si les pouvoirs publics construisent leurs réflexions en se penchant sur la réalisation de halles dans d’autres grandes villes comme Lisbonne, Nice, Barcelone ou Paris, les entrepreneurs locaux livrent leur propre analyse basée sur un constat : « Un grand bâtiment unique couvert et fermé, ce n’est pas forcément dans la culture des Marseillais. Ici, on aime l’air libre et le soleil, les terrasses, les marchés en extérieur comme la criée », estime l’ancien gérant de bars.
« Toutes les belles affaires échappent aux locaux »
« Je pense que c’est une erreur de vouloir dupliquer ici le même modèle que celui d’autres villes », reprend son associé Julien Fabre. Il pointe les tentatives d’implantation de franchises à succès qui se sont cassées les dents autour du Vieux-Port, Hard rock café en tête. « Il faut adapter ça à la culture marseillaise, en prenant en considération les particularismes locaux », estime-t-il, fier d’avoir « repris un bastion aux grands groupes », le Buffalo Grill, pour y implanter des enseignes locales.
Aujourd’hui, « toutes les belles affaires échappent aux locaux », déplore-t-il. Les projets « souvent hors-sol reviennent à des grands groupes ». Car pour les entrepreneurs, la vision politique de l’attractivité et du tourisme ne correspond pas à la réalité du territoire. « Marseille n’est pas une destination anodine. Les touristes sont attirés par ses différences, notamment sa réputation sulfureuse ».
« Le Vélodrome est tout beau, tout neuf, mais ce n’est pas son architecture qui attire, ce sont les supporters Marseillais », poursuit le communicant. Loin de vouloir se priver d’une clientèle touristique, il estime que « là où les Marseillais iront, les touristes aussi ». C’est en tout cas la stratégie adoptée. Rendez-vous au printemps pour voir si les Grandes Halles du Vieux-Port séduiront les locaux, pour viser plus large et faire le plein durant la saison estivale.