Parmi les six chefs étoilés que compte Marseille, l’un d’entre eux se distingue par sa jeunesse. Ludovic Turac n’a pas 30 ans et fait déjà partie de l’élite marseillaise en termes de gastronomie. Malgré le succès et une certaine médiatisation – il a participé à la saison 2 de l’émission Top Chef – il a su rester simple et fidèle à sa ville natale. Reportage.
C’est dans son restaurant « Une table, au Sud » situé sur le Vieux-Port avec vue imprenable sur la Bonne Mère que Ludovic Turac officie en tant que chef depuis maintenant deux ans. Malgré ses 27 ans, il a su relever avec brio le challenge de succéder à Lionel Levy, l’un des grands noms de la gastronomie marseillaise. Pour preuve : il a été récompensé l’année dernière d’une étoile au célèbre Guide Michelin, avec la mention spéciale « Plus jeune chef étoilé de France 2015 ».
Made in Marseille – Bonjour Ludovic. Vous êtes né à Marseille et vous avez grandi dans le 9ème arrondissement. Quels souvenirs particuliers gardez-vous de votre enfance ?
Ludovic Turac – Quand je descendais sur le port avec mon père et qu’on allait au marché aux poissons. À l’époque je me rappelle il y avait même un marché au thon où les thons étaient débarqués et pesés directement. Des fois il y avait des pièces de plus de 120 kg ! Les souvenirs de mon enfance c’est aussi la Corniche, les Calanques, Luminy, le Parc Pastré, le Parc Borély et toutes les odeurs de Marseille.
MIM – Quel regard portez-vous sur les changements qu’a connu Marseille depuis votre enfance ?
LT – Je n’ai pas envie de dire changement parce que Marseille n’a pas changé, elle a évolué et c’est ça qui est bien ! Elle garde le même esprit un peu village à l’ancienne, les pêcheurs sont toujours fidèles à eux-mêmes et c’est vraiment super même si je m’aperçois qu’il y a eu de nouvelles infrastructures et que le Vieux-Port n’est plus du tout le même qu’avant par exemple. Aujourd’hui il se passe vraiment plein de choses à Marseille.
MIM – Vous avez commencé le métier de cuisinier à 17 ans en contrat d’apprentissage. C’était un peu un « rêve de gosse » pour vous ?
LT – J’ai toujours aimé la cuisine depuis tout petit. Mais j’avoue que quand j’étais gamin, je ne m’étais jamais dit que je serais cuisinier car je n’avais pas réalisé que c’était un métier. La cuisine c’était un plaisir pour moi comme quand je voyais ma grand-mère qui cuisinait pour ma famille. C’est à 17 ans, quand j’ai vraiment commencé à me renseigner et à m’intéresser au fait de cuisiner, que j’ai réalisé qu’on pouvait gagner sa vie en cuisinant. Quand j’ai réalisé ça, j’ai eu le déclic et une semaine après je signais mon contrat d’apprentissage chez « Une table, au Sud » (qui avait été créé et appartenait toujours à Lionel Levy, ndlr)
MIM – Après votre apprentissage, vous êtes parti à Paris pour travailler dans de grandes maisons – deux restaurants 3 étoiles au Guide Michelin. Mais vous êtes finalement rentré à Marseille…
LT – Au bout de deux ans à Paris, je suis effectivement rentré à Marseille parce que j’avais un peu le mal du pays : la mer, les bateaux, le soleil… Tout ça me manquait beaucoup. J’ai alors travaillé avec Christophe Bacquié à l’Hôtel du Castelet et ensuite Lionel Levy, chez qui j’avais été en apprentissage pendant deux ans, m’a rappelé pour être sous-chef de son restaurant car son second partait et qu’il savait que j’étais de retour dans la région.
MIM – Quelle relation aviez-vous avec Lionel Levy pour qu’il vous propose un tel poste ?
LT – Lorsque j’ai fait mon apprentissage à « Une table, au Sud » entre 2007 à 2009, ça c’était super bien passé. Je dois dire qu’on avait une relation particulière avec Lionel Levy et à la fin de cette période d’apprentissage, avant que je parte à Paris, il m’avait dit qu’il aimerait bien qu’on retravaille éventuellement ensemble. Évidemment j’en mourrais d’envie alors il m’a dit : « On sait jamais, peut-être qu’on se rappellera et que tu seras second ici ». Quand l’occasion s’est présentée, j’ai accepté avec grand plaisir.
MIM – En 2011, alors que vous venez tout juste de prendre votre poste de second chez « Une table, au Sud », vous participez à la deuxième saison de l’émission Top Chef. Qu’est-ce qui vous a amené à tenter cette aventure ?
LT – J’ai commencé à « Une table, au Sud » sans savoir si j’avais été pris à Top Chef car j’avais passé les castings quand j’étais à l’Hôtel du Castelet. C’est ma femme qui m’a monté le dossier et qui m’a inscrit sans me le dire, du coup j’ai eu une belle surprise quand ils m’ont appelé ! À l’époque, Top Chef c’était nouveau et je me souviens que quand j’étais à Paris dans ma chambre de bonne et que je regardais l’émission le lundi soir, je rêvais, je me disais que c’était trop bien d’avoir des challenges et des défis et je me posais la question à savoir ce que je ferais à leur place etc.
MIM – Ce que l’on voit à l’écran est-il vraiment conforme à ce qu’il se passe pendant le tournage ?
LT – Je vous assure que ça se passe vraiment comme ça ! D’ailleurs c’est pour ça qu’il y en a qui pleurent, qui jettent des casseroles, qui n’ont pas le temps de mettre la sauce… On aimerait bien que ce soit plus facile, avoir les recettes avant, mais ce n’est pas possible. On est vraiment livré à nous-même c’est pour ça que c’est difficile et qu’on fait facilement des bêtises dans ce genre de concours, qu’on est sous tension et à fleur de peau. Mais c’est aussi ça qui est bien.
MIM – Présentez-vous aujourd’hui à votre carte des plats que vous aviez faits lors de Top Chef ?
LT – Non pour la simple et bonne raison que lorsque j’ai fait Top Chef j’avais 21 ans. J’étais jeune, même si je ne suis pas vieux maintenant, mais je n’avais pas encore la pâte du cuisinier que j’ai maintenant. Je n’avais pas encore la maturité pour construire un plat quand j’ai fait cette émission. C’est d’ailleurs pour ça que je ne suis pas allé jusqu’au bout de l’aventure : j’étais encore jeune, je manquais de technique et j’avais encore des choses à apprendre.
MIM – Justement, qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
LT – La première chose que j’ai apprise c’est de me dépasser et de dépasser mes limites. Ma vie a été complètement différente le jour où j’ai fini Top Chef, vraiment. Aujourd’hui par exemple, j’arrive à me sortir de n’importe quelle situation. S’il nous manque une garniture en plein service, avant je me serais peut-être affolé, j’aurais peut-être choisi une mauvaise solution. Là maintenant je me dis : « Ok tout va bien on va trouver une autre solution ». J’ai retiré de Top Chef beaucoup de positif.
MIM – Deux ans plus tard, vous prenez la succession de Lionel Levy chez « Une table, au Sud » quand lui part officier à l’Intercontinental – Hôtel Dieu. Pourquoi ne pas l’avoir suivi ?
LT – Tout simplement parce que j’avais envie de prendre les choses en main. J’avais envie de devenir chef, de devenir numéro 1, de prendre des risques, d’être à mon compte, de prendre des décisions, de faire ma cuisine et de m’exprimer. La dernière année que Lionel Levy était au restaurant, il me laissait beaucoup la cuisine seul. J’ai donc joué au numéro 1 et en jouant à ce jeu j’ai voulu prendre la place du numéro 1.
MIM – Vous n’avez pas changé le nom du restaurant lorsque vous l’avez repris. Pour quelle raison ?
LT – Car j’ai une histoire dans ce restaurant : j’ai commencé la cuisine ici, j’ai rencontré ma femme ici, je suis passé d’apprenti à chef ici. Aussi parce que ce Monsieur Levy y a passé 15 ans de sa vie à y mettre toute son énergie et tout son temps personnel donc j’avais envie de rendre hommage à ce lieu. Mon but n’était pas de tout changer mais d’imposer le style Turac et ma cuisine mais je ne voulais pas tout révolutionner car j’aime ce lieu, j’ai appris à l’approprier tel qu’il est et je trouvais ça dommage de tout casser pour tout recommencer.
MIM – Vous étiez en quelque sorte attendu au tournant en prenant la tête de cet établissement. Comment avez-vous orienté votre cuisine pour vous différencier de l’ancien chef tout en gardant et en attirant la clientèle ?
LT – J’ai adopté une stratégie : la sincérité. C’est vrai aussi que l’inconscience m’a beaucoup aidé à reprendre le restaurant car au début je ne savais pas ce que c’était. J’ai toujours appris sur le tas et eu des responsabilités au-dessus de mes capacités, du moins c’est ce que je pensais. Ca été un bel exercice de se retrouver du jour au lendemain patron car comme on dit « On ne naît pas patron, on le devient ». Et j’ai choisi d’être sincère et de rester moi-même pour le faire.
MIM – Seulement deux ans après, vous recevez une première étoile au Guide Michelin et devenez « Plus jeune chef étoilé de France 2015 ». Pari réussi en quelque sorte ?
LT – Ca n’a pas été facile au début parce qu’on me jugeait vachement du fait que j’avais 24 ans, que le restaurant n’avait plus l’étoile… Il a fallu s’accrocher et « serrer les fesses » comme on dit dans le métier ! J’ai agi avec sincérité, je ne me suis pas mis de pression négative. J’ai eu la chance d’avoir une équipe qui m’a fait confiance, les clients aussi m’ont fait confiance et j’ai réussi à attirer une autre clientèle en épurant et en rajeunissant le restaurant. Donc quand l’étoile est arrivée, ça a fait du bien !
MIM – Après avoir obtenu cette étoile, quels sont vos objectifs aujourd’hui ?
LT – Ça fait 10 ans que je fais de la cuisine et chaque année depuis 10 ans je me dis « c’est mon année » parce que chaque fois il se passait quelque chose : soit j’ai changé de poste, soit j’ai gagné un concours, soit j’ai été promu, soit j’ai repris le restaurant, soit j’ai eu l’étoile. Donc je souhaite que les 10 prochaines années de ma vie ressemblent aux 10 dernières !
MIM – Toujours à Marseille ou vous rêvez à d’autres grandes villes de France voire du monde ?
LT – J’aime vraiment trop Marseille, je suis né ici, c’est ma ville ! J’y ai construit quelque chose et je veux le terminer donc c’est hors de question que je parte ailleurs, je n’en ai pas du tout envie. Je suis très attaché à Marseille et je compte bien y rester !
Par Agathe Perrier