Il n’y a pas que les athlètes qui se préparent pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024. En cuisine aussi, il va y avoir du sport. Deux chefs marseillais sont dans les starting-blocks pour un marathon culinaire. Alexandre Mazzia va faire briller la gastronomie française dans la capitale, Adel Dakkar la fera rayonner sur le littoral phocéen. Rencontres.

Durant 70 jours, le restaurant éphémère du village olympique, logé dans la nef de la Cité du cinéma en Seine-Saint-Denis, accueillera 206 délégations de sportifs représentant 32 disciplines. Au plus fort des Jeux, 40 000 repas seront servis chaque jour, de 5 heures à 1 heure du matin. Pour la France, c’est l’opportunité de montrer son savoir-faire sur toute la chaîne, de la production à la gestion des déchets en passant par la logistique, la préparation et le service.

Parmi les objectifs ambitieux, s’approvisionner à 80% en produits d’origine française pour réduire l’empreinte carbone, diviser par deux la quantité de plastique à usage unique ou encore valoriser 100% des ressources non consommées. Au menu aussi, deux fois plus de plats végétaux que lors des éditions précédentes et une part importante de produits bio, de 20 à 30%.

Certains des plus grands chefs français ont été choisis pour concrétiser cette vision, à l’instar de Thierry Marx, qui siège au comité pour la transformation écologique des Jeux de Paris 2024. Mais ce challenge en cache un autre : participer à la performance des athlètes, en respectant leurs habitudes alimentaires, leurs cultures et leurs goûts. “L’alimentation dans la préparation physique et mentale d’un athlète est essentielle. C’est indissociable de la performance. 70% de la réussite, c’est la nutrition”, avance le triplement étoilé Alexandre Mazzia, qui sait de quoi il parle.

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Alexandre Mazzia. © Olivia Chaber

Alexandre Mazzia, le haut du panier !

L’ancien basketteur professionnel est l’un des trois chefs tricolores sélectionnés par Sodexo Live !, filiale dédiée au sport du géant de la restauration collective Sodexo, pour faire briller la gastronomie française dans les assiettes des athlètes. “C’est une fierté et un honneur d’avoir été choisi pour cuisiner dans le plus grand restaurant du monde avec autant de propositions culinaires. La symbolique est forte car c’est en France et c’est la première fois qu’on fait appel à des chefs. On est là pour apporter une teinte particulière. On est un peu la part ludique et légère des Jeux”, sourit-il, attablé dans son restaurant AM, non loin du Prado et du stade Vélodrome (8ème).

Derrière cette devanture sobre, un décor minimaliste avec une cuisine ouverte sur une petite salle de 24 couverts. Ici, le chef propose un voyage à la découverte d’accords inattendus. Des créations aussi personnelles que déroutantes, mêlant les saveurs provençales aux influences africaines de son enfance. Alexandre Mazzia a vécu au Congo (aujourd’hui République Démocratique du Congo). À 15 ans, il quitte la plage de Pointe-Noire pour la pension chez les Jésuites, à Igny, en banlieue parisienne. À cette époque, le basket lui permet “socialement de sortir de cette rupture entre l’Afrique et la France.”

Des dunks aux fourneaux, il n’y a qu’un panier, car l’apprenti de Jean-Paul Jeunet (Jura), où il fait ses débuts, a toujours concilié ses deux passions : “À l’école hôtelière, j’étais en équipe de France cadet. Quand j’ai fait la mention complémentaire pâtisserie-chocolaterie- confiserie, j’étais en catégorie espoir, j’appartenais à un club professionnel et j’ai demandé à être prêté. Là où j’allais pour la cuisine, je jouais au basket”, raconte-t-il, du haut de son mètre quatre-vingt-quinze.

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© David Girard.

Un entraînement quotidien

À 27 ans, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi, il troque définitivement le short et le maillot pour la blouse et la toque. Alain Passard, Pierre Hermé, Michel Bras, Pierre Gagnaire… Mazzia se forme auprès de pointures avant de faire le tour du monde en tant que chef privé, puis s’ancre à Marseille fin 2009, où il contente le Ventre de l’Architecte, à la Cité Radieuse du Corbusier.

L’ouverture de son restaurant AM, en 2014, marque le début d’une ascension fulgurante pour ce Marseillais d’adoption, auréolé de multiples distinctions : “Grand de Demain”, Gault&Millau d’or, “Cuisinier de l’année” en 2018 et 2023.

L’alimentation dans la préparation physique et mentale d’un athlète est essentielle.Alexandre Mazzia

Deux ans plus tôt, en 2021, il entre dans le prestigieux cercle des triples étoilés au Michelin. Des récompenses que ce chef atypique et audacieux doit à ses créations uniques qui bouleversent les papilles et sa maîtrise d’associations improbables, comme l’anguille fumée au chocolat ou encore son dessert glacé chocolat-navet-bacon. Le chef se fournit exclusivement auprès des pêcheurs, des maraîchers et des producteurs locaux pour élaborer une cuisine qui évolue au gré des saisons.

S’il excelle dans l’assiette, Alexandre Mazzia se distingue aussi grâce à sa discipline de travail : “Quand on répète de manière profonde, on peut atteindre le niveau d’excellence.” Un entraînement quotidien et un goût de la performance qui font de lui un athlète de haut niveau derrière les fourneaux. D’ailleurs, Alexandre Mazzia considère la cuisine comme un sport collectif. Il est l’entraîneur-joueur d’une équipe tournée vers un objectif ultime : faire plaisir !

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En 2023, Alexandre Mazzia a créé à Marseille, l’AM Academy. L’ambition est de proposer un lieu de performance centralisant des espaces sportifs de qualité et un pôle santé / bien-être, grâce à l’intervention du comptoir “IN” qui propose des recettes saines et ludiques réalisées par le chef. © Olivia Chaber

Plus de 500 recettes originales

Cela fait bientôt trois ans que le chef travaille avec des médecins du sport sur des plats et saveurs qui procureront aux athlètes de l’émotion, tout en respectant les apports nutritionnels, les besoins énergétiques et les process de récupération. “Un sportif qui fait de la voile ne se nourrit pas de la même manière qu’un athlète qui fait le 100 mètres ou du skate. Il y a aussi des différences culturelles. Les Japonais ne s’entraînent pas comme les Anglais et n’ont pas la même manière d’aborder les compétitions, et des finales de ce niveau-là ne s’appréhendent pas non plus comme des finales d’autres compétitions”, poursuit-il.

Plus de 500 recettes originales ont été mises au point, imaginées lors de collaborations entre chefs, athlètes et nutritionnistes. Une soixantaine ont été testées par la commission des athlètes. Elles seront ensuite cuisinées par des chefs de Sodexo Live ! Parmi elles, l’une des recettes Mazzia à base de pois chiches, petits pois et lait de poisson fumé… servie sous des “anneaux de pain olympiques”.

Mais le chef joue sur tous les tableaux, et a également imaginé de la street-food correspondant aux attentes des sportifs. Il installera “Michel”, son food-truck, dans la capitale, où il espère bien fêter la victoire de l’équipe de France… de basket !

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L’une des recettes du chef d’Alexandre Mazzia pour les Jeux olympiques : pommade de pois chiches herbacés, petits pois, lait de poissons fumé. © David Girard.

Adel Dakkar, l’enfance d’un chef

Lui aussi espère voir briller les Bleus, mais sur la pelouse du Vélodrome. Adel Dakkar nourrit aujourd’hui une vraie passion pour le ballon rond, et depuis tout petit pour la cuisine. Généreux, solaire et créatif, le jeune chef sublime depuis quatre ans les produits du terroir méditerranéen au nhow Marseille, sur la Corniche Kennedy.

Avec sa vue imprenable sur la rade, l’hôtel aux couleurs franches et joyeuses va se transformer en village olympique. “Une occasion rare d’accueillir les délégations internationales de voile chez moi”, rit-il, assis sur l’un des fauteuils du pétillant Tunnel Bar. “Quand on m’a proposé en 2020 de devenir le chef du nh Marseille, j’ai accepté parce que je trouvais que l’établissement avait beaucoup de potentiel et que la marque nh était aussi décalée que moi, se souvient-il. Cet hôtel est devenu ma maison. Il est à mon image. J’ai toujours aimé recevoir à la maison autour de grandes tables et de plats à partager. Quand je viens travailler, j’ai l’impression d’être dans mon salon, dans ma cuisine où je reçois ma famille et mes amis. C’est une chance.” 

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Adel Dakkar, che au nh. © Olivia Chaber

C’est en Auvergne aux côtés de sa mère, Houria, qu’Adel Dakkar s’initie à la cuisine française. “J’ai toujours adoré cuisiner avec elle. Elle m’a donné ce goût des plats mijotés comme la blanquette, le pot-au-feu et son bœuf bourguignon, je te promets que tu peux te déplacer pour le manger, tellement qu’il est bon.” À 13 ans, Adel envisage de faire de la cuisine son métier. Coïncidence ou signe du destin, Houria est alors employée d’une société spécialisée dans le nettoyage de bâtiments neufs, prêts à être livrés.

En 1999, alors que le lycée hôtelier Valery Larbaud (Vichy) s’apprête à ouvrir ses portes, elle imagine son fils dans les cuisines et parvient à convaincre son directeur Gilles Magnan d’une visite des lieux. L’année suivante, il intègre l’établissement. “La première fois que j’ai mis ma veste de cuisine, qu’on m’a donné ma mallette de couteaux, je me suis senti tout de suite à ma place. Depuis ce jour-là, à 15 ans, je n’ai jamais eu de doute, c’est ma vocation.”

Je suis heureux de revivre un moment sportif planétaire cet été et fier de cuisiner pour les athlètes. C’est une fois dans une vie.”Adel Dakkar

Son diplôme en poche, Adel commence comme commis et parfait ses compétences pendant plusieurs années dans de belles maisons françaises. D’abord à l’Hôtel du Cap-Eden Roc (Antibes), puis au Cheval-Blanc (Courchevel), aux côtés du chef Yannick Alléno, l’année où il s’est vu attribuer ses deux étoiles au Michelin. Ensuite à Mougins, chez Denis Fétisson où il collabore à l’ouverture de deux de ses restaurants, avant que son désir de voyager ne le rattrape.

“J’avais envie de travailler avec le chef Arnaud Lallement [de l’Assiette Champenoise à Reims, ndlr], mais il n’y avait pas de place dans son établissement. En revanche, il signait une carte sur un bateau de croisière.” Direction les États-Unis, où il embarque sur le navire Disney. À chaque escale, il goûte et s’inspire des plats et des cultures du monde pour magnifier ses assiettes.

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Les Jeux sont faits

Après son voyage en mer, où il gagne ses galons de chef, il retourne à Courchevel, cette fois pour seconder Yannick Alléno. En 2015, il passe dans la célèbre émission culinaire Top Chef, qu’il marque de sa personnalité drôle et attachante, puis débarque dans la cité phocéenne. “Marseille m’a toujours appelé”, confie l’ancien candidat de la team d’Hélène Darroze, sorti aux portes des quarts de finale.

À peine a-t-il posé ses valises qu’il est appelé pour être chef référent de la fan zone à Paris, à l’occasion de l’Euro 2016. “J’ai vécu un grand moment de sport, même si on perd contre le Portugal. Je suis heureux de revivre un moment sportif planétaire cet été et fier de cuisiner pour les athlètes. C’est une fois dans une vie.”

Dans les cuisines du futur village olympique de voile, en respectant strictement le cahier des charges du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et malgré les gros volumes, Adel et son équipe ont élaboré des recettes pour répondre aux habitudes alimentaires des sportifs en conservant l’identité culinaire du chef.

“Tous les jours, au petit-déjeuner et au dîner, nous aurons entre 200 et 300 personnes et le midi près de 450. Nous aurons un grand buffet avec petit-déjeuner américain, de grandes variétés de sources de protéines, de féculents, beaucoup de fruits frais de saison, un bar à salades qui changera chaque jour avec des produits locaux”, détaille le chef qui travaille en circuit court.

Il proposera également ses “plats du monde” comme il les appelle, pour faire voyager les papilles. Au menu : aïoli, soupe de poisson, couscous, moussaka, noodle…, sans oublier son clin d’œil à l’Auvergne avec les carottes Vichy ou des plateaux de fromages. “C’était obligatoire”, rit-il, cette fois sur la terrasse du Skybar, avec vue sur la Marina olympique et la rade où se dérouleront les épreuves de voile. “Quand je suis arrivé à Marseille, je suis venu boire un verre ici au nhow. Il y a moyen que je sois encore là dans dix ans”, dit-il, rêveur, avec l’ambition d’y écrire son histoire. “Et ça commence avec les Jeux !”

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Adel Dakkar et son équipe © Olivia Chaber

DANS LA CUISINE D’ADEL…
Une odeur : le jus de viande qui mijote au
coin du fourneau
Une herbe fétiche : la coriandre
Un ustensile : la cuillère
Une épice : le cumin
Une image : le coucher de soleil du nhow
Un livre de cuisine : la Cuisine de Référence de Maincent-Morel
Un maître à penser : Boris Campanella Sucré ou salé : salé
Un plat préféré : linguini alle vongole Un légume : le fenouil
Une viande : l’agneau
Une cuisson : braisé
Un dessert : la mousse au chocolat L’aliment que je déteste : les câpres


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