À Marseille, le taux de commerces vacants se situe autour de 11,7% dans l’hypercentre et 20% pour l’ensemble du centre-ville. Pour contrer ce phénomène, des solutions existent. Tour d’horizon avec plusieurs spécialistes.
Le document était très attendu par les collectivités locales. La CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence a livré il y a quelques jours une étude économique sur l’état du commerce, de l’artisanat et des services dans le centre-ville de Marseille dans un périmètre délimité entre l’avenue de la Corse, Castellane, Cours Julien, Réformés, Saint-Charles et la Joliette. Une étude cofinancée par la Région Sud, la Métropole Aix-Marseille-Provence et la Ville de Marseille.
Le document révèle sans surprise que le centre-ville abrite un emploi sur dix à Marseille, avec une forte concentration sur le quartier d’affaires de la Joliette. Un secteur prisé donc, mais aussi particulièrement touché par la vacance commerciale au niveau de la rue de la République et des rues adjacentes : rues de l’Évêché, Félix Éboué et Vincent Leblanc.
Sur toute la zone du grand centre-ville, l’étude présente un taux de vacance commerciale de 20%, un chiffre nettement supérieur à la moyenne nationale (11%). Mais lorsque l’on zoome sur l’hypercentre (abords du Vieux-Port, cours d’Estienne d’Orves, Canebière, Belsunce), ce taux tombe à 11,7%.
Le centre-ville face aux changements des modes de consommation
Cette proportion est du même acabit que dans d’autres centres villes comme à Bordeaux (10%) ou Montpellier (11%). Pour Bernard Marty, élu à la CCIAMP, « les chiffres ne sont pas si alarmants ». Mais « on pourrait encore redynamiser le centre pour que Marseille vive un peu mieux », estime-t-il.
« Si vous avez trois rideaux fermés en face de chez vous, c’est moins attrayant, il y a moins de passage et donc moins de recettes. C’est la hantise des commerçants », souligne de son côté Guillaume Sicard, président de Marseille Centre, association des commerçants du centre-ville. « Ça renforce aussi le sentiment d’insécurité », ajoute Bernard Marty.
Pour ce restaurateur, également président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) des Bouches-du-Rhône, les loyers commerciaux sont aussi « très élevés ». Le député Laurent Lhardit (PS), conseiller municipal à l’économie, a récemment déposé une proposition de loi dans ce sens pour encadrer les loyers commerciaux.
« Il y a aussi trop d’offre en centre-ville » alors que « les modes de consommation changent », concède Guillaume Sicard. Un constat partagé depuis plusieurs mois par le couple Ferjani, aux manettes du magasin de décoration de la rue de la République, « beaucoup de clients entrent dans la boutique, regardent les meubles pour ensuite acheter sur internet ».
Transformer le commerce en expérience
Selon Raphaël Besson, socio-économiste qui a réalisé une étude sur les centres-villes en 2020 pour l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (Agam) : « les consommateurs cherchent moins l’accès à un produit qu’une expérience sociale et sensorielle ».
Les commerces peuvent ainsi subsister en devenant des lieux de vie. « Les gens viennent en centre-ville pour se regarder les uns les autres » donc « il faut créer des espaces où ils se rencontrent », assure Jean Viard. Le sociologue propose par exemple de multiplier les cafés pour les travailleurs et d’installer des fauteuils dans les librairies comme cela se fait à New-York.
Trois chercheurs en sciences de gestion, Pierre Lescoat, Aurélien Rouquet et Jean-Baptiste Suquet analysent, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, que les boutiques éphémères représentent aussi « une manière efficace de développer le commerce de centre-ville, tout en offrant aux consommateurs de nouvelles expériences ».
Ces commerces trouvent leur succès à Marseille avec de multiples initiatives comme les ventes de plantes à petits prix sur la rue de la République. Le 25 octobre dernier, la veille de la course Marseille-Cassis, la boutique éphémère de New balance a également fait carton plein en bas de la Canebière.
Recréer du flux grâce aux étudiants
Mais faut-il forcément créer des lieux marchands pour redynamiser le centre-ville ? Pour Jean Viard, la priorité est d’abord de ramener du flux. « Il faut bourrer le centre-ville d’étudiants » car « l’activité amène l’activité » malgré un pouvoir d’achat contraint. « Les tours Labourdette à Belsunce pourraient être transformées en résidence étudiante », lance-t-il.
Ces dernières années, le retour de la vie étudiante en ville est déjà en marche. Un pôle étudiant important se structure vers la Porte d’Aix avec l’ouverture en 2023 de l’IMVT qui a regroupé les écoles d’architecture, d’urbanisme et de paysage (auparavant à Luminy et Aix-en-Provence) dans un même bâtiment, et plus récemment avec l’arrivée du groupe Omnes. Castellane entame également sa mue étudiante avec la future école de la Croix Rouge en 2026.
L’installation d’une université ou d’une formation dans les 22 000 m2 du Centre Bourse à Belsunce, bientôt laissés vides par le départ des Galeries Lafayette le 15 novembre, est une hypothèse sur laquelle planchent la Ville, la Métropole, la Région et la CCIAMP, pour revitaliser le quartier.
Artisanat, bureaux… développer d’autres usages que le commerce ?
Remplacer les Galeries Lafayette par une autre enseigne commerciale n’est donc pas la seule option sur la table pour les acteurs publics. Leurs réflexions démontrent qu’un autre avenir peut se dessiner pour dynamiser le centre-ville, en mixant les commerces à d’autres usages.
« L’artisanat a sa place dans le centre-ville, mais il est quasiment absent. On aimerait que des moyens soient créés avec des heures de livraison et tout ce qu’il faut pour pouvoir travailler l’artisanat de la petite production, transformation ou réparation », insiste Bernard Marty.
Selon lui, « des locaux de bureaux pourraient remplacer quelques baux commerciaux » car « la demande est forte ». En effet, l’étude révèle que les entreprises et les artisans peinent à trouver des locaux neufs pour leurs activités.
Malgré toutes ses difficultés, la cité phocéenne peut se targuer de surfer ces dernières années sur une certaine notoriété retrouvée. Depuis 2013, année Capitale européenne de la culture, la ville a le vent en poupe. Et les touristes débarquent par milliers pour fouler les pavés du centre-ville. La piétonnisation des rues commerçantes est d’ailleurs un atout indéniable pour attirer le chaland, selon Jean Viard qui a travaillé sur la piétonnisation du Vieux-Port en 2013, lorsqu’il était conseiller métropolitain (socialiste).
« À l’origine, Marseille n’était pas une ville touristique. Tout le monde s’est battu pour que ça le devienne. Il faut que ça le reste, insiste Bernard Marty. Le tourisme ça ramène du flux qui est bon pour les commerçants et les restaurateurs ».