Encore largement masculins, les métiers de l’industrie et du BTP peinent à attirer les femmes depuis dix ans malgré des besoins massifs en recrutement. Mais des initiatives innovantes émergent pour assurer l‘avenir du secteur qui vise désormais 40% de femmes d’ici 2040.
Kelly Cruz montre son quotidien de maçon dans des vidéos postées sur TikTok. On la voit poser du carrelage, truelle à la main, ou fabriquer une lampe avec du bois flotté. Et ça marche ! L’influenceuse cumule près de trois millions d’abonnés sur sa chaîne. Mais la jeune femme pimpante fait encore figure d’exception. Le secteur du bâtiment et des travaux publics ne compte que 12% de femmes, selon la Fédération française du BTP.
Ce constat s’applique également à l’industrie, de la métallurgie à l’électronique, où les femmes occupent seulement 28% des postes. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce chiffre remonte très légèrement pour atteindre 29%. “Le problème ce n’est pas tant que les femmes occupent un tiers des postes… C’est que ça stagne depuis dix ans”, pointe Christine Baze, cadre chez EDF depuis 25 ans et présidente du groupement Industries Méditerranée, qui chapeaute 13 fédérations et associations inter-industries dans le Sud Est.
Retrouvez cet article en intégralité dans notre magazine « spécial Jeunesse et emploi »
Des freins persistants
Aujourd’hui directrice de la stratégie et des filières industrielles, elle suppose que ces freins émanent en partie de “la mauvaise image” qui colle au corps de l’industrie. Celle d’un monde dangereux et polluant. “Dans les livres d’Histoire, on voit encore les fumées noires qui sortent des usines avec des conditions de travail difficiles à la Zola”, explique Serge Bornarel. Pour le président de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM). “Cette image est imprégnée dans la tête des enfants”. Or, les industriels s’évertuent à prouver son évolution technologique.
“Aujourd’hui l’industrie est digitale et robotisée. On retrouve beaucoup de femmes ingénieurs, notamment dans l’électronique comme à Rousset chez STMicroelectronics, où elles pilotent des salles blanches ultramodernes”. Autre préjugé qui a la dent dure : la faible diversité de ce milieu qui peut paraître machiste. “En classe prépa, j’étais la seule fille, puis à Polytechnique on était 20 parmi les 300 élèves”, se souvient Christine Baze. Rebelote au début de sa carrière dans la production d’électricité. En revanche, “il n’y a jamais eu de problème”, affirme l’ingénieure. “À part, peut-être, quand j’ai commencé à prendre des responsabilités, on a pu questionner mes capacités”, nuance-t-elle.
Pour ces deux représentants, la réponse se situerait aussi du côté de l’éducation. Les parents joueraient un rôle crucial dans le choix du parcours scolaire post-bac. “Beaucoup de filles en terminale sont très bonnes en maths. Mais elles s’inscrivent peu en prépa scientifique…”, regrette Christine Baze. Mais ces chiffres s’améliorent au fil des années. Selon une enquête du ministère de l’enseignement supérieur, la filière scientifique est la plus plébiscitée avec 62% des étudiants inscrits en CPGE dont 30% sont des femmes. En 2024, les effectifs féminins se sont étoffés de 5,1% même si les filles restent beaucoup plus nombreuses en prépa littéraire, représentant 7 étudiants sur 10.
Un enjeu de recrutement
Les industriels sont conscients que la féminisation de leurs équipes assurera leur pérennité. La première raison, très pragmatique, est le recrutement. “L’industrie est pourvoyeuse d’emplois à tous les niveaux de qualification. Mais elle a du mal à recruter. On ne peut donc pas se priver de la moitié de la population”, affirme Christine Baze. Selon France Travail, il reste en effet 153 000 emplois à pourvoir dans l’industrie. Si les jeunes diplômées Bac+4 et Bac+5 sont, sans surprise, courtisées, l’industrie recherche aussi des électromécaniciens (CAP et BEP), responsables de maintenance (BTS, DUT, Master), chaudronniers (CAP, Bac Pro, BTS), et des soudeurs (CAP, Bac Pro).
Autre argument : la complémentarité. “Les femmes apportent une vision différente, autant dans la stratégie d’entreprise, que dans les relations aux autres”. Une entreprise valorisant la diversité est aussi perçue de manière plus positive par ses clients et les jeunes recrues. Dans le recrutement, “cela peut être un atout pour se démarquer de la concurrence”, assure le site de l’entreprise Bibus France, fournisseur de solutions pour les industriels. La féminisation peut également “améliorer les conditions de tous les employés en termes d’évolution de carrière et de conciliation entre vie professionnelle et familiale”, estime l’entreprise.
40% des femmes d’ici 2040
Comment donc réussir à attirer les femmes dès le plus jeune âge ? Industries Méditerranée a inventé une réponse, en créant le jeu vidéo Forindustrie, l’Univers extraordinaire : un outil pédagogique et innovant pour présenter les métiers de l’industrie aux jeunes en quête d’orientation et d’avenir. Cette année, la compétition entre les élèves se tiendra du 17 novembre au 5 décembre. “On y montre la modernité des métiers pour gommer la mauvaise image de l’industrie”, explique Christine Baze. Le joueur se retrouve ainsi à bord d’une soucoupe volante, projeté dans un monde du futur, dont le design coloré et la musique d’aventure, inspirée de Pirates des Caraïbes, fait rêver. “On a volontairement choisi une équipe mixte pour la conception du jeu. La moitié des intervenants sont aussi des femmes pour que les filles puissent s’identifier”, ajoute la présidente.
D’autres initiatives ont vu le jour pour enrayer cette surreprésentation masculine. Depuis 2006, le réseau Elles Bougent, association qui vise à faire découvrir “les métiers passionnants d’ingénieures et techniciennes”, veille au grain pour attirer les femmes dans l’industrie grâce à un système de mentorat. L’association a rassemblé 12 680 marraines et 12 730 étudiantes dans 2 148 collèges et lycées dont 48 à l’international en 20 ans d’existence. Le 8 mars 2023, pour la journée internationale des droits des femmes, l’ancienne ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait relancé le groupe Industri’elles. Son but ? Recruter des porte-paroles inspirantes pour pousser la féminisation de l’industrie dans les médias.
En mars dernier, Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, Marc Ferracci, ancien ministre de l’Industrie et de l’Énergie, et Alexandre Saubot, président de France Industrie, ont publié une Tribune afin de prendre au sérieux ce besoin de féminisation et alerter sur “la réindustrialisation de la France qui ne pourra réussir sans une plus grande participation des femmes”.
Sur le territoire de Fos-Berre, la décarbonation et l’installation de nouvelles industries vertes pourraient aussi accélérer le mouvement. Objectif annoncé par l’industrie : atteindre 40% de femmes d’ici 2040.