En France, l’artisanat retrouve ses lettres de noblesse. Alors que les métiers manuels ont longtemps été perçus comme une voie de second choix, les jeunes sont de plus en plus nombreux à choisir cet horizon professionnel, tandis que leurs aînés n’hésitent plus à franchir le cap de la reconversion.

En France, 65% des 16-29 ans estiment que l’artisanat propose « des métiers passionnants et créatifs qui permettent de s‘épanouir professionnellement » et 62% que « ce sont des métiers valorisants qui demandent un savoir-faire unique », selon une enquête OpinionWay pour 20 Minutes menée fin 2024.

De là à se lancer, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent. 50% se disent prêts à se reconvertir vers un métier manuel un jour, quand 8% ont déjà choisi cette voie. Dans la Région Sud, le nombre de créateurs d’entreprises artisanales de moins de 25 ans a doublé entre 2015 et 2022 selon la Chambre de Métiers et de l‘Artisanat.

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Du covid au désir de reconnexion

En quelques années seulement, l’apprentissage, qui était jugé au point mort, connaît un regain de dynamisme avec plus d’un million d’apprentis recensés l’année dernière en France contre seulement 429 000 en 2017. Si tous n‘ont pas choisi la filière de l’artisanat, les chiffres témoignent indéniablement d’un intérêt retrouvé pour les métiers techniques et manuels.

Ce virage est le fruit d’une politique visant à «  faire de l’apprentissage une voie d’excellence et de réussite ». Dans le cadre du plan national « 1 jeune, 1 solution », qui a mobilisé un budget de près de 10 milliards d‘euros sur la période 2020-2022, les entreprises ont bénéficié d‘aides conséquentes pour accueillir des apprentis.

« Ça a clairement enlevé un frein, estime Carine Amphoux, conseillère en formation professionnelle au GRETA-CFA Marseille-Méditerranée. Depuis six ou sept ans, on constate une augmentation du nombre de parcours en apprentissage et du taux d’embauche, notamment dans le secteur de la bijouterie et de l’horlogerie. Aujourd’hui, il y a une rencontre entre l’aspiration des jeunes à créer, fabriquer, et le désir des entreprises de valoriser à nouveau le savoir-faire français ».

La dynamique semble également avoir été renforcée par les bouleversements sociétaux. La crise du Covid et ses confinements successifs ont mis en lumière les soignants mais aussi les artisans, des professions indispensables qui tirent leur épingle du jeu par rapport à d’autres métiers, jugés plus « désincarnés ».

Pendant la période du covid, on a vu beaucoup de gens qui, comme nous, voulaient se reconvertir.Vincent Biron, cofondateur de Pain Pan

Le boom des néo-artisans en ville

Les métiers manuels gagnent aussi du terrain chez les actifs de plus de 30 ans. À Marseille, comme dans de nombreuses villes, le boom des néo-artisans est manifeste. Vincent Biron, graphiste, et Rémi Ceresola, prof à la faculté de droit d’Aix-en-Provence, font partie des nouveaux convertis. Ils ont lancé en 2019 la boulangerie Pain Pan à Notre-Dame du Mont.

« On avait besoin de faire quelque chose d’utile, de travailler de la matière vivante », raconte Vincent qui ne reviendra derrière un bureau pour rien au monde.

« Pendant la période du covid, on a vu beaucoup de gens qui, comme nous, voulaient se reconvertir, témoigne le quarantenaire. Des personnes qui venaient du marketing, des arts, de la communication. Mais il y a eu des désillusions car notre métier nécessite beaucoup de travail. Certains ont eu le sentiment que la paye ne reflétait pas leurs efforts ».

artisanat, L’artisanat, de voie de garage à voie royale, Made in Marseille
Vincent Biron, cofondateur de Pain Pan

« Quand tu te lances dans une activité artisanale, il faut rompre le lien entre ton activité et ton revenu », prévient également Lauréline Saintemarie, qui a ouvert à 40 ans la Cidrerie marseillaise dans le quartier de la Plaine, la première micro-cidrerie urbaine de la ville.

« J’avais travaillé toute ma vie dans le secteur culturel, dans l‘accompagnement d‘artistes, mais je commençais à m‘essouffler. Quand on commence à râler au boulot, il faut changer d’activité ». Fille d’agriculteur et petite-fille de fromagers, Lauréline a ressenti le besoin « d’embrasser complètement une activité, du petit écrou sur la cuve à la responsabilité financière de l’entreprise ». Mais sans renoncer à sa nouvelle vie urbaine.

« Il y a plein de gens autour de moi qui m’ont prouvé que c’était possible d’avoir une activité artisanale en ville. Ils produisent du vin, des champignons… Alors je me suis lancée. J’aime bien l’idée qu’on vende dans une rue quelque chose qui a été fabriqué dans la rue d’à côté, que le bassin de distribution soit dans un rayon de deux kilomètres ».

À Aubagne, Nadège Arniaud s’est également lancée, après avoir travaillé plusieurs années dans l’hôtellerie de luxe. Fidèle cliente de la poterie Barbotine, la jeune femme apprend en 2017 que le patron n’a pas trouvé de repreneur. « C’est un morceau du patrimoine de la ville qui allait disparaître. J’ai tout quitté pour reprendre son affaire », se remémore-t-elle.

artisanat, L’artisanat, de voie de garage à voie royale, Made in Marseille
L’artisanat à l’honneur pour la finale nationale des Worldskills, l’olympiade des métiers © Vincent Delesvaux -Worldskills

« J’ai troqué mes talons pour des baskets »

« Quand on est jeune, on écoute moins ses envies. J’avais suivi un certain schéma. Mais à l’approche de la quarantaine, mon travail ne m’animait plus. Alors j’ai saisi cette opportunité et j’ai troqué mes talons et mes tailleurs pour des jeans et des baskets », sourit Nadège.

Auprès des salariés qu’elle a gardés, elle a dû tout apprendre, « geste par geste ». Elle a aussi « bravé des tempêtes » : les Gilets Jaunes, le Brexit, le covid, la guerre en Ukraine, la crise énergétique…

« J’ai pris zéro vacances pendant quatre ans. Maintenant, je m’autorise deux semaines par an. Il faut apprendre à déléguer ». Sa motivation, c’est avant tout « de développer le made in France » avant de développer sa propre activité. « Il faut savoir se fixer des limites ».

Comme Vincent, Rémi, Lauréline et Nadège, plus d’un million de Français envisagent de se réorienter vers l’artisanat, selon une étude d’Asterès (2023). Si la filière jouit désormais d’une bonne image, seulement 36% de la population considère qu’elle paye bien. La dernière pierre d’achoppement avant, peut-être, le grand basculement.

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