À l’occasion d’une table ronde organisée par le Crédit Agricole Alpes Provence sur le thème « Talents et Territoires : regards croisés sur le travail de demain », des dirigeants, enseignants, DRH et étudiants ont partagé leur vision d’un monde du travail en pleine mutation, où les jeunes générations bousculent les codes et obligent les entreprises à se réinventer.
« On est dans une société de plus en plus polarisée, tentée par le repli sur soi. Notre job, c’est la proximité et la solidarité », a posé d’emblée Laurent Fromageau, directeur du Crédit Agricole Alpes Provence. Il présentait le projet stratégique Nouvelles Proximités, lancé en mars dernier, qui entend développer de nouvelles expertises et de nouveaux métiers tout en misant sur la force du collectif.
Pour lui, le travail « continue à occuper une place centrale dans nos vies », contrairement aux discours annonçant « la grande démission ». Les jeunes sont bel et bien là, « au travail », mais il faudra « collectivement repenser la façon dont nous travaillons ».
La quête de sens et de bien-être
Cette évolution, le professeur Arnaud Lacan (Kedge, AMU, CNRS, AMSE) la résume en quelques mots : « On assiste aujourd’hui à une transformation du monde du travail. Les générations Y et Z revendiquent l’importance du bien-être. On observe une rupture : davantage de flexibilité, mener plusieurs activités en même temps qu’on appelle le slashing, et un rapport plus horizontal à la hiérarchie ».
Une aspiration confirmée par les étudiants présents. Pour Léonie Bousquet, de l’Institut de droit des affaires d’Aix Marseille Université, « l’enseignement reste très théorique. C’est en entreprise, via l’alternance ou les stages, qu’on apprend le plus. Les jeunes doivent trouver leur place sans se sentir illégitimes. Ils ont besoin d’un espace de dialogue avec leur hiérarchie ».
Des entreprises à l’écoute
Certaines entreprises l’ont bien compris. Annie Mendella, DRH adjointe du groupe Ortec, évoque les trois valeurs qui guident sa maison : « Audace, bienveillance et exigence ». Avec des dispositifs comme le Lab, où « on donne la parole aux jeunes qui viennent nous titiller », ou encore des concours internes dont les idées lauréates sont appliquées concrètement, Ortec cherche à stimuler la créativité. La bienveillance passe, elle, par « l’écoute des collaborateurs et des différences », tandis que l’exigence « s’exprime dans la culture du métier ».
Au Crédit Agricole Alpes Provence, Emmanuel Célérier, DRH, insiste lui aussi sur « le rôle central de l’intelligence humaine ». Le projet Nouvelles Proximités intègre trois dimensions : « nouveaux métiers, nouveaux leaderships et nouveaux collectifs ». L’enjeu est clair : former les collaborateurs, donner aux managers les moyens de réussir l’intégration des jeunes, et surtout « embarquer la dimension du mieux-être ».
Soft skills, salaires et fidélisation
Reste la question de la fidélisation. « On parle beaucoup de valeurs dans les entretiens, mais les jeunes ont du mal à trouver un CDI », fait remarquer Christian, étudiant à Kedge, ouvrant le débat sur le rôle des soft skills.
« Ce sont les plus dures à acquérir », répond Emmanuel Célérier. « Le goût pour la relation client, la passion, sont plus rares que l’apprentissage du métier ». Un postulat partagé par Arnaud Lacan : « On ne sait pas si les hard skills auront un avenir avec les mutations en cours. Mais les soft skills resteront essentielles. Un collaborateur engagé, c’est 30% de productivité en plus ».
La question de la rémunération a également été évoquée. « La rémunération est un élément important, mais pas le seul », souligne Annie Mendella. Du côté du Crédit Agricole, la réponse passe par « des accords d’intéressement collectif et des trajectoires d’évolution », selon Emmanuel Célérier. Mais, rappelle Arnaud Lacan, « les jeunes ne veulent pas travailler gratuitement. La rémunération reste le premier critère, mais comme une base, un plancher, sur lequel viennent ensuite s’ajouter bien-être et autonomie ».
Télétravail : du modèle subi au pacte choisi
La crise sanitaire a bouleversé les pratiques et ouvert une brèche durable dans l’organisation du travail. Pour Arnaud Lacan, « on est passé dans un télétravail de crise, subi avec le Covid, à un télétravail choisi ». Une transformation qui redéfinit la relation entre employeurs et salariés : « Il faut que ce soit un pacte, un deal, entre l’entreprise et le collaborateur. Les collaborateurs qui veulent 100% de télétravail sont rares. Est-ce souhaitable ? Je ne pense pas. Il y a aussi des gens qui ne veulent pas du tout de télétravail. Est-ce qu’il faut leur imposer ? Probablement pas. C’est du cas par cas, en fonction des besoins et des aspirations ».
Cette approche mesurée est également défendue par Annie Mendella, pour qui l’équilibre est la clé : « Chez Ortec, on peut faire du télétravail raisonné, un jour ou deux par semaine. Ce qu’on cherche, c’est de la flexibilité ».
Du côté du Crédit Agricole Alpes Provence, l’expérience se veut pragmatique. « Le 100% télétravail met des freins à l’intelligence collective. On voit d’ailleurs que les start-ups de la Silicon Valley en reviennent », observe Emmanuel Célérier. « Il faut faire un pacte avec le collaborateur. Chez nous, c’est deux jours par semaine sur les fonctions supports. Mais ce qui est intéressant, c’est la manière dont ce télétravail est consommé : tous ceux qui habitent à moins de 30 km du bureau viennent finalement assez souvent, tandis que ceux qui vivent plus loin restent davantage en télétravail ».
Pour les jeunes générations qui découvrent le monde professionnel, la question est sensible. « Quand on débute dans une entreprise, la communauté, c’est important », rappelle Léonie Bousquet. « Mais il faut que le jeune ait l’impression d’avoir le choix, qu’il puisse travailler dans le cadre d’un pacte avec son employeur ».
En filigrane, un constat partagé : le télétravail n’est ni un droit absolu, ni une contrainte imposée. Il devient un outil modulable, négocié au cas par cas, qui doit répondre à la fois aux exigences de performance collective et aux aspirations individuelles des collaborateurs.