Le pastis de Cristal Limiñana, l’herboristerie du Père Blaize ou encore la quincaillerie Maison Empereur… Ces entreprises centenaires ont traversé les décennies sans perdre de leur éclat. Leur image est authentique, sans être poussiéreuse. Mais alors, quelle est donc la recette de leur longévité exceptionnelle ?
À Marseille, certaines entreprises centenaires semblent avoir trouvé le secret de l’éternité. Toutes partagent un point commun : une fidélité farouche à leur savoir-faire artisanal, transmis de génération en génération, tout en démontrant une capacité à s’inscrire dans l’air du temps.
Cet équilibre délicat entre mémoire et modernité les érige en gardiennes du patrimoine local. Le pastis en est le parfait exemple. Si une célèbre marque bleue et jaune vient spontanément à l’esprit quand on évoque la boisson anisée, la maison Cristal Limiñana n’a rien à lui envier.
Fondée en 1884 à Alger par deux frères, elle s’installe à Marseille en 1962, après la guerre d’indépendance de l’Algérie. Depuis, quatre générations perpétuent la fabrication du précieux breuvage dans l’usine du boulevard Jeanne d’Arc, d’où sortent plus de 700 000 bouteilles chaque année.

Autre emblème marseillais : la Boule Bleue. Cette fabrique de boules de pétanque haut-de-gamme est prisée par les champions du monde entier. Son usine tourne à plein régime depuis 1904 avec une production de 15 000 triplettes par an.
Et comment ne pas citer le savon de Marseille ? Malgré une industrie en déclin depuis les années 1950 – machines à laver et grande distribution obligent – quatre savonneries détiennent encore les secrets de sa fabrication artisanale : le Fer à Cheval, le Sérail, la Savonnerie du Midi et Marius Fabre. Toutes centenaires, elles continuent à faire bouillir dans leurs chaudrons le fameux savon extra pur, composé à 72% d’huile d’olive.
L’art de se réinventer sans se renier
Leur longévité repose aussi sur une intelligence d’adaptation, une capacité à lire les attentes de la société sans trahir leur identité. Ainsi, les savonneries perpétuent la tradition du cube emblématique. Mais elles proposent désormais une palette de produits enrichis : des crèmes, des savons et des eaux parfumées.
Ce vent de modernité souffle aussi sur Cristal Limiñana. Il y a quelques années, Maristella Vasserot, actuelle dirigeante et petite-fille du fondateur, a lancé une gamme sans alcool pour les jeunes, les personnes diabétiques et les femmes enceintes. « Comme ça tout le monde peut boire l’apéro sans modération ! », sourit la cheffe d’entreprise.
Chez La Boule Bleue, chaque génération a aussi apporté sa pierre à l’édifice. Du bois au cuivre, puis au bronze jusqu’à l’acier trempé aux reflets bleus. « Nous nous sommes tous adaptés aux évolutions techniques, en conservant nos méthodes artisanales », explique Hervé Rofritsch.
Et ce mouvement ne s’arrête pas là. Le Père Blaize et la Maison Empereur, deux institutions du centre-ville, ont su élargir leur ancrage historique. Fondée en 1815 par un savant guérisseur des Hautes-Alpes, la pharmacie-herboristerie a développé des remèdes à base de plantes en complément d’un suivi médicamenteux.
Pour une fidèle cliente, le Père Blaize tient sa longévité « des précieux conseils du personnel et du temps consacré à chacun ». En 2018, l’enseigne s’est également étendue en face de l’herboristerie, avec un espace tisanerie dont les recettes sont signées par le mixologue Eliot Vincent, ancien barman du Petit Nice Passedat.
Même dynamisme chez Maison Empereur, plus vieille quincaillerie de France fondée en 1827. À sa tête, Laurence Renaux-Empereur, septième génération, a doublé la surface du magasin avec un étage consacré à l’art de vivre. Vaisselle, bougies, linge de maison… sont minutieusement sélectionnés parmi les 50 000 références.
L’appel du grand large des entreprises centenaires
Si leur ancrage local est solide, ces entreprises se sont tournées vers l’international pour rester compétitives. La Boule Bleue exporte aujourd’hui 10% de sa production dans 50 pays, principalement vers les pays frontaliers comme l’Italie et l’Espagne, mais aussi le Japon. « Les Japonais ont une vraie appétence pour tous les produits provençaux comme le savon ou les chapeaux traditionnels », confie la famille Empereur.
Un engouement que confirment les chiffres : les savonneries marseillaises vendent 30% de leur production à l’étranger, dont une majeure partie au Japon et en Corée du Sud. Récompensée en 2024 par le Global Innovation Awards (GIA), la quincaillerie a vu ses ventes exploser à l’étranger.
La vente en ligne représente désormais 25% de son activité, contre 10% auparavant, avec une forte percée sur les marchés américain et asiatique.
Le cercle vertueux des Centaures
Un ingrédient indéniable de la longévité des entreprises centenaires demeure le réseau. Fin 2023, 82 entreprises se sont fédérées au sein des Centaures, un club initié par la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence. Ensemble, elles pèsent plus de 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires et génèrent plus de 10 000 emplois.
Son directeur, Jacques Moia, organise régulièrement des visites pour développer les liens entre les patrons, soucieux de perdurer. « Ce réseau est une grande force, même si ce n’est que le début », souligne Hervé Rofritsch.
Un avis partagé par Laurence Renaux-Empereur, qui espère que les Centaures « inspireront les nouvelles générations pour perpétuer la transmission, de plus en plus rare dans notre monde ».