Le tribunal judiciaire de Marseille a rendu sa décision dans le procès hors norme des effondrements de la rue d’Aubagne. Avec des nombreuses condamnations, notamment à de la détention, les peines sont en-deçà de ce qu’espéraient les parties civiles.
Plus de six ans après le terrible effondrement de deux immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille, qui a coûté la vie à huit personnes, le procès hors norme de l’habitat indigne aura duré six semaines fin 2024. Il aura fallu plus de six mois aux juges du tribunal judiciaire pour délibérer.
Ce lundi 7 juillet 2025, le juge Pascal Gand et ses deux assesseurs, Lola Vandermaesen et Margaux Kennedy, ont rendu leur décision, très attendue, dans une salle d’audience de la caserne du Muy emplie de centaines de personnes.
Les familles de victimes, les journalistes ainsi que les citoyens et associatifs, dont la mobilisation aura également été hors-norme, ont pris place sur les bancs pour écouter les peines prononcées.
Marseille Habitat et deux petits propriétaires relaxés
Un murmure de déception s’est fait entendre dès le début, lorsque le magistrat a relaxé le bailleur social Marseille Habitat, propriétaire de l’immeuble N°63. Le juge a pointé « des fautes d’imprudence et de négligence ». Mais il a aussi reconnu une « réactivité » et une volonté « d’intervention rapide » suite aux alertes. Au final, il retient des « éléments insuffisants pour constituer une faute caractérisée ».
L’auditoire a également exprimé son mécontentement à la relaxe de Michèle Bonetto, propriétaire de Julien Lalonde, décédé. La propriétaire Sylvie Coëllier, dont l’appartement était vide au moment du drame, a joui de la même décision. Dans ces deux cas, Pascal Gand a retenu le caractère « rassurant » des expertises qui avaient conduit à autoriser les locataires à revenir dans leur logement.
Le juge note également le comportement de ces deux propriétaires. Elles ont participé aux assemblées générales, communiqué avec leurs locataires. Il ne leur reconnaît pas une « volonté de violer délibérément les règles de sécurité ».
Amendes et détention pour la famille Ardilly
Le magistrat s’est montré plus sévère avec les prévenus suivants. À commencer par Gilbert et Martine Ardilly, leur SCI Amsa, et leur fils Sébastien. Ce dernier, seul présent, a perdu connaissance lorsque le juge a prononcé leur « condamnation sur l’ensemble des infractions ». Le tribunal a insisté sur leur « indifférence totale et abstention constante aux mesures exigées ».
Il n’a pas manqué de relever en détails l’état particulièrement indigne et dégradé du logement qu’ils louaient à Ouloume Said Hassani, décédée. Ils sont ainsi reconnus coupables du « délit d’homicide involontaire aggravé » et de celui de « soumission de personne vulnérable à l’habitat indigne ».
Le tribunal condamne la mère à trois ans de prison avec sursis et une amende de 20 000 euros. Son mari, à quatre ans d’emprisonnement, dont deux à domicile sous bracelet électronique et deux en sursis, assorti de 40 000 euros d’amende. Ce sera 30 000 pour le fils qui fera également un an à domicile sous bracelet (et deux ans de sursis). Ils ont tous l’interdiction définitive de louer un logement. Comme leur société immobilière, qui devra verser 10 000 euros d’amende.
Du ferme pour Xavier Cachard
La décision judiciaire concernant Xavier Cachard, propriétaire et avocat du syndic, était très attendue. Avec son fils Yohann, et leur SARL, l’ancien conseiller régional (LR) a « élaboré et mis en œuvre une stratégie pour retarder et éviter les travaux structurels. Et pour ne pas débourser d’argent », estime le juge. Pascal Gand note « une attitude coupable […] Un mépris assumé pour le sort des locataires […] des fautes commises et délibérées, les plus graves des prévenus ».
Il les juge coupables « de délit d’homicide involontaire » concernant Taher qui a perdu la vie. Et de « soumission de personne vulnérable à l’habitat indigne » pour Rachid, le locataire, absent le jour du drame.
Leur condamnation comporte quatre ans d’emprisonnement, deux en sursis et deux fermes à domicile sous surveillance électronique. Ainsi que 100 000 euros d’amende (50 000 pour la SARL) avec une peine d’interdiction d’achat immobilier, et d’interdiction définitive d’activité de location.
Le cabinet Liautard jugé coupable
Également au centre du viseur, le cabinet Liautard, syndic de copropriété du N°65, et son gestionnaire pour l’immeuble, Jean-François Valentin, ont également été reconnus coupables. Le magistrat a détaillé une longue liste de manquements, « d’imprudences et de négligences » qui n’ont pas permis d’éviter le drame et ont causé le décès de huit personnes et les blessures de nombreuses autres.
« Incurie, déshérence… stratégie avec Cachard pour retarder les travaux, indifférence déplorable… Mépris assumé pour le sort des occupants… ». Le cabinet Liautard est jugé coupable d’homicides involontaires et de soumission de personnes vulnérables à l’habitat indigne. Il écope de 100 000 euros d’amende et d’interdiction définitive de profession de gestionnaire de biens immobiliers.
Jean-François Valentin n’aura plus le droit d’exercer sa profession. Le magistrat le condamne aussi à trois ans de prison avec sursis, et environ 9 000 euros d’amendes.
L’expert Richard Carta a également commis une série de « fautes et négligences ». La plus notable étant d’autoriser les occupants à retourner dans leurs logements. Le tribunal note, entre autres, qu’il a « agi dans la précipitation » pour partir en congés. Il écope de deux ans de prison avec sursis et d’une interdiction définitive d’expertise architecturale.
Seul représentant politique, Julien Ruas écope de sursis
Restait le cas de Julien Ruas, seul élu à comparaître. Son rôle en tant qu’ancien adjoint au maire de Jean-Claude Gaudin, chargé de la prévention des risques au moment du drame, engage sa responsabilité pénale. Poursuivi pour « homicides involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence », il est reconnu coupable.
Le juge a d’abord nuancé, rappelant le manque d’effectifs de ses services, face auquel « vous n’êtes pas resté passif » en le signalant au maire. Le magistrat a retenu qu’il était « novice en politique à l’époque. Avec peu de maitrise des rouages institutionnels et des rouages de pouvoirs internes ».
Toutefois, il souligne sa réaction « lacunaire », ainsi que « l’absence d’utilisation du budget » dédié à l’habitat dangereux et « l’absence de stratégie politique » qui « démontrent que vous avez ignoré les enjeux ». Ces manquement ont « causé de façon indirecte mais certaine le décès des huit personnes présentes et les blessures d’autres victimes », pose le juge. Avant de condamner Julien Ruas à deux ans de prison avec sursis, près de 10 000 euros d’amendes et une interdiction d’exercer une fonction politique durant cinq ans.
Déceptions et espoirs dans la lutte contre l’habitat indigne
Concernant les 102 victimes et parties civiles, les prévenus leur verseront au total 1,44 million d’euros d’indemnisations. Avec des montants allant de 70 000 à 246 000 euros pour les familles de disparus.
Pas de quoi apaiser les esprits. « Cachard, Ruas, Valentin… Assassins ! » scandent une partie du public à la sortie de la salle d’audience. Preuve que les condamnations, en-deçà des réquisitions du procureur, sont jugées peu sévères pour ceux qui attendaient le grand procès de l’habitat indigne.
« C’est un message faible envoyé aux propriétaires qui oublient leurs responsabilités », estime le directeur régional de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex Abbé Pierre), Francis Vernède. « En particulier les petits propriétaires peu regardants », lance-t-il, concernant les deux relaxes. « On leur dit que ça peut passer d’être un marchand de sommeil ».
D’autres, également déçus par la légèreté des peines, se consolent : « Si de nombreux points posent problème et nous indignent dans le jugement, celui-ci entérine également des victoires importantes qui condamnent le système Gaudin et le système de l’habitat indigne », note Kévin Vacher du très actif collectif du 5 Novembre. « On va pouvoir attaquer d’autres propriétaires », espère-t-il.
Brice Grazzini, avocat d’une trentaine de parties civiles, se dit « relativement satisfait que la faute de gourmandise et de paresse soit sanctionnée en France ». Et espère « une prise de conscience des propriétaires, élus et experts sur cette problématique de l’habitat indigne ».
Pour l’heure, ni les condamnés, ni les parties civiles n’ont décidé si elles feront appel de la décision. Ils ont 10 jours pour lancer une telle procédure.