Entre les calanques de la Côte Bleue et le Vieux-Port de Marseille, le Train Inc Café et le Café Joyeux conjuguent restauration et inclusion des personnes porteuses de handicaps mentaux. Leur recette : du professionnalisme, une cuisine maison à base de produits frais et une bonne humeur communicative.

Voilà deux ans et demi que la gare de Niolon, sur la commune du Rove, a opéré sa mue en café-restaurant et auberge, sous l’impulsion de l’association T’Cap21. Le Train Inc Café est “un lieu de travail ordinaire pour des gens extraordinaires”, résume avec justesse Youssef Boughanemi, cofondateur et père d’Illian, l’un des six employés porteurs de handicap mental qui font battre le cœur de ce projet. Il est membre du collectif de parents ayant investi l’ancienne gare pour permettre à leurs enfants de travailler en milieu ordinaire, hors des établissements d’accompagnement par le travail (ESAT) ou des instituts médico-éducatifs (IME) qui leur sont proposés à l’âge adulte. “On en avait assez qu’ils vivent enfermés entre quatre murs pour gagner trois francs six sous”, lance Katia Bergamelli, dont la fille Lucie a rejoint l’équipe du café après des années passées dans un foyer de vie. En sortant, “elle tournait en rond, elle n’avait plus envie de rien faire. Ici, elle est au contact d’un public venant de tous horizons.” Ce petit coin de paradis, idéalement situé entre calanques et sentiers de randonnée, accueille plus d’une centaine de visiteurs par jour en haute saison, avec son lot d’habitués. Marcheurs et baigneurs en quête de rafraîchissements arrivent directement à la gare via les dix allers-retours quotidiens du train de la Côte Bleue, à trente minutes de Marseille. Pour autant, “l’objectif n’est pas de faire du business, on ne veut pas les presser comme des citrons”, insiste la présidente de T’Cap21. Grâce à l’agrément Entreprise adaptée, tous les jeunes sont engagés en CDI, à mi-temps, pour qu’ils puissent aussi pratiquer des activités sportives et culturelles.

Destination : la Gare des Étoiles

En cuisine, Lucie et Pierre-Laurent se préparent au service du midi sous l’œil bienveillant de David Ferres. Cet ancien de la restauration traditionnelle a retrouvé sa flamme : “Ils vous donnent de l’énergie, de la reconnaissance, de l’amour, ce plaisir de faire les choses que j’avais perdu. Ils sont à l’écoute, ponctuels, respectueux, et ont toujours soif de connaissances”, reconnaît le chef du café-restaurant. Il est l’un des trois encadrants pédagogiques à former les équipiers aux différents postes, du service en salle à la production de légumes en permaculture sur la parcelle de 500 m². Car ce lieu atypique, surnommé la Gare des Étoiles, a pour vocation d’agir comme un “tremplin” vers l’emploi dans d’autres structures du tourisme vert : le dortoir et les trois chambres d’hôtes, dont une avec vue mer, offrent un terrain d’apprentissage idéal pour les métiers de l’hôtellerie. “Je suis très fière d’arriver à ce résultat-là. Ils se sentent vraiment chez eux, ils ont complètement investi cet espace”, se réjouit Katia Bergamelli. Une philosophie qui séduit jusqu’à la SNCF : le modèle pourrait essaimer dans d’autres gares françaises dans le cadre du projet Place de la gare.

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Le Train Inc Café propose des sandwichs, salades, pâtes, desserts et plats du jour faits maison.

Au Café Joyeux, les recettes de l’inclusion

À quelques kilomètres de là, en plein cœur de Marseille, une autre initiative prouve que l’inclusion a toute sa place en milieu ordinaire. Derrière la façade jaune canari du Café Joyeux, sept équipiers bousculent les préjugés avec un sourire contagieux. “Ici, notre devise, c’est : on vous sert avec le cœur”, lance Léo en maniant son plateau avec aisance. Depuis mars 2024, cette enseigne présente dans 12 villes françaises a pris ses quartiers à quelques pas du Vieux-Port. “On a su se fondre dans le paysage pour devenir un café classique de quartier”, se targue la manager Anne Ogereau. Classique ? À un détail près : ici, chaque équipier maîtrise tous les postes, du service à la plonge en passant par la caisse, sous l’œil bienveillant de quatre “skippers”. “Un simple signe suffit si besoin. L’important est de développer leur confiance en eux et leur autonomie”, explique-t-elle. “Passez une joyeuse journée !” Félicien, 22 ans, débarrasse les tables avec le sourire. Difficile d’imaginer que ce jeune homme volubile était “très timide” à son arrivée. “Je me sens plus à l’aise maintenant. En un an, j’ai appris plein de choses.” Comme lui, tous suivent chaque jeudi une formation qualifiante unique en son genre, dispensée par le Centre de formation des apprentis joyeux (CFAJ).

Faire évoluer les mentalités

Ils ont fait des progrès incroyables en un an. Quand on leur donne la capacité d’explorer leurs capacités, les résultats sont là”, s’enthousiasme la formatrice Cathie Villa. Apprendre sur leur lieu de travail leur permet de faire le lien entre la pratique et la théorie. Ce sésame reconnu par l’État ouvre les portes vers d’autres établissements. Accueil des clients, normes de cuisson et d’hygiène en cuisine, notions de citoyenneté, anglais…On y parle aussi de notre projet professionnel”, ajoute Félicien, qui rêve de travailler dans l’univers des jeux vidéo. Léo, lui, a trouvé sa place. Titulaire d’un CAP, il a décroché ici son premier CDI à 30 ans. “J’ai une trisomie 21 légère, et ça me va très bien. On a un petit truc en plus”, glisse-t-il en référence au film d’Arthus, qui a rendu visite à l’équipe l’été dernier. “La société change, les gens sont plus ouverts”, constate Anne Ogereau. Lors de leur premier anniversaire fêté en grande pompe, l’équipe a reçu des demandes pour dupliquer ce modèle dans d’autres secteurs. “Il faut que ça se développe partout, en France et dans le monde”, plaide Éloi, 22 ans, embauché le jour de l’inauguration après trois ans de recherche. L’adjectif brodé en jaune sur sa blouse de travail semble avoir du sens au-delà de la formule marketing. “On s’entend tous bien, on est joyeux ensemble. On est soudés et on s’entraide.” S’ils et elles servent avec le cœur, “les entreprises doivent nous accueillir avec le sourire.” Malgré un taux de chômage des travailleurs handicapés encore trop élevé à 12 %, le Café Joyeux et le Train Inc Café font bouger les lignes. Reste un défi : convaincre les 30 % d’entreprises qui n’emploient aucune personne en situation de handicap, malgré l’obligation légale pour celles de plus de 20 employés, que la différence est une richesse.

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Les équipiers du Café Joyeux se relaient pour assurer le service de 80 couverts.

 


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