Les premières lettres annonçant la résiliation d’un bail locatif ont été envoyées mi-juin à des familles dont l’un des membres a été condamné pour trafic de stupéfiants. Une mesure mise en place quelques jours après son annonce, le 24 mai 2018, par Lionel Royer-Perreaut, président de 13 Habitat, le principal bailleur social des Bouches-du-Rhône.
C’est à la suite de la fusillade en plein jour dans le quartier de la Busserine (14e) que Lionel Royer-Perreaut a annoncé cette mesure. « C’est un sujet sur lequel je travaille depuis de longs mois », précise le président de 13 Habitat, également maire des 9e et 10e arrondissements de Marseille.
Concrètement, un bailleur social ou un propriétaire peut résilier le bail de son locataire si celui-ci a été condamné pour trafic de stupéfiants sur son lieu d’habitation. Si le bail n’est pas à son nom, comme dans le cas d’un mineur par exemple, la famille entière est alors concernée. « Des jurisprudences très récentes commencent à tomber et confirment la validité de la résiliation du bail. C’est important d’engager de telles procédures. Cette fermeté envoie un message qui consiste à combattre le sentiment d’impunité dans les quartiers », explique Lionel Royer-Perreaut.
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Une résiliation au cas par cas
Le 22 mai dernier, cinq familles ont en effet été expulsées de leur logement social dans le nord de Paris à la suite d’une décision de justice. Mais la condamnation n’est pas suffisante en elle-même pour entraîner la résiliation du bail. Il faut aussi qu’un « trouble de jouissance » à l’encontre des autres locataires de l’immeuble soit avéré. « Je sais déjà ce qu’il se passe dans les cités, car j’ai des informations qui remontent, notamment des services de police. D’ailleurs, depuis que j’ai fait cette annonce, des gens se manifestent pour dénoncer telle ou telle chose dans leur cité », confie Lionel Royer-Perreaut qui espère que les premières actions menées seront « couronnées de succès ».
Les locataires qui reçoivent une lettre de résiliation de leur bail peuvent contester cette décision. S’ils le font, la justice est alors saisie et confirme, ou non, la validité de la résiliation. « Il y a des cas de figure où la justice se prononce pour l’expulsion et d’autres non. C’est du cas par cas et les juges et magistrats sont assez attentifs à ce genre de procédures », précise Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement. Outre l’expulsion, une mesure d’éloignement de la cité peut être prise à l’encontre de la personne condamnée.
Une solution de « représailles » pour les familles
La situation aurait pu aller encore plus loin que cela. À la fin de l’année 2016, le Parlement a adopté la loi Égalité et Citoyenneté qui comprenait un amendement ayant pour but de faciliter la démarche de résiliation des baux pour les bailleurs. Cet amendement numéro 119 permettait de résilier le bail « de plein droit », c’est-à-dire sans l’appréciation d’un magistrat. Un amendement contre lequel se sont dressées différentes associations (AIDES, ASUD, Droit Au Logement, Médecins du Monde, et le Syndicat de la Magistrature).
« Dans la façon dont l’amendement était rédigé, cela aurait pu toucher des personnes « innocentes ». Car la résiliation du bail aurait pu s’appliquer pour la consommation de stupéfiants par exemple. Cet amendement donnait des pouvoirs excessifs et arbitraires aux bailleurs sociaux », explique Jean-Baptiste Eyraud. L’amendement a finalement été censuré en mars 2017.
Pour l’association Droit au logement, la résiliation d’un bail est considérée comme une solution de « représailles » pour les familles. « On ne défend pas le trafic, on dit simplement « Attention, il ne faut pas mettre en place des solutions arbitraires contre les familles ». Condamner les familles de trafiquant ne tient pas la route du point de vue de l’équité », souligne le porte-parole. Car le bailleur n’a aucune obligation de reloger ensuite la famille.
Et dans le cas de 13 Habitat, Lionel Royer-Perreaut ne l’envisage d’ailleurs pas. « Il n’y a pas de prime au relogement pour les personnes qui empoisonnent la vie des autres. On oblige personne à être trafiquant. On choisit de l’être, on en assume les conséquences », lâche-t-il.
La nécessité de mieux sécuriser les cités
Outre le sujet de la résiliation des baux locatifs, Lionel Royer-Perreaut explique qu’il travaille aussi depuis plusieurs mois sur la sécurité dans les cités. Un sujet qui ne dépend pas seulement des bailleurs sociaux selon lui. « Il nous faut des compagnies de sécurisation spéciale banlieue. Aujourd’hui, les effectifs de CRS sont en baisse et sont appelés partout donc ils sont insuffisants », regrette-t-il. Résultat, lorsque des trafiquants sont arrêtés dans une cité, d’autres prennent leur relève dans les jours qui suivent. Et des logements restent vacants dans certaines cités car personne ne veut y habiter en raison du climat d’insécurité qu’il peut y avoir. « Il faut une logique de réappropriation du territoire et cela passe par une présence physique. C’est pourquoi il faut des unités spécialement dédiées aux cités », argumente le président de 13 Habitat.
Toujours dans l’optique de se réapproprier les territoires des banlieues, Lionel Royer-Perreaut souhaite y voir revenir des services publics comme des commissariats ou des bureaux de poste. « C’est des services qui s’adressent aux gens du quartier et qui font venir des personnes des quartiers alentours aussi. Donc ça brasse des populations et ça casse la ghettoïsation des quartiers ».
Le président de 13 Habitat attend maintenant le plan de lutte contre le trafic de drogue annoncé par Emmanuel Macron le 22 mai dernier. Les mesures devraient être dévoilées en juillet 2018.
Par Agathe Perrier
« Des personnes innocentes les consommateurs. »?
Mais c’est eux le cœur du problème !