Tantôt perçue comme une ville violente, incontrôlable, et peuplée de voyous, tôt sublimée par la comédie de Marcel Pagnol à Taxi, Marseille n’a jamais cessé de fasciner le cinéma. Mais elle porte aussi des clichés tenaces, profondément ancrés dans l’imaginaire collectif. Décryptage.

Entre Port-de-Bouc et Martigues, à deux pas du chenal de Caronte, une voiturette fend le vaste terrain de jeu de Provence Studios. Sur ces 22 hectares, des films prennent vie, qu’ils soient tournés en décors naturels ou montés de toutes pièces. Le véhicule s’arrête devant une montagne de conteneurs, vestiges du passé industriel du site.

Comme dans Alice au pays des merveilles, une petite porte dérobée, taillée dans la tôle, s’ouvre sur un tout autre univers. Mirador, barbelés, béton au sol et sur les murs : l’illusion d’une cour de prison est totale. « C’était le décor le plus demandé par les producteurs, car il y a beaucoup de contraintes à tourner dans une prison », confie Olivier Marchetti.

Le maître des lieux a fait le pari « fou » de transformer l’entreprise familiale de logistique en studios de cinéma, voilà 10 ans. Aujourd’hui, la liste des productions tournées sur place est longue : Taxi 5, Bac Nord ou encore Titane. La Warner y a également posé ses valises pour La Nonne 2.

En mai dernier, lors du Festival de Cannes, Provence Studios a signé un partenariat avec The MBS Group, leader mondial des services de production, collaborant notamment avec Netflix et Amazon. De quoi séduire toujours plus de productions américaines.

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Décor de prison Provence Studios.

Marseille, prisonnière de son image ?

Le pénitencier a récemment servi au tournage de Sous écrous (2024), une comédie qui raconte le long chemin de croix d’un livreur de pizza emprisonné par erreur, bien décidé à retrouver sa liberté. Ce film illustre une tendance de fond observée ces dernières années à Marseille.

« Quand on regarde Bac Nord, Bonne Mère et Stillwater, ces films ont en commun la case prison », note Katharina Bellan, docteure en études cinématographiques et histoire à Aix-Marseille Université, et autrice de Traces de Marseille au cinéma.

Dans Bac Nord, les policiers se retrouvent incarcérés, le fils aîné dans Bonne Mère purge une peine pour le braquage d’une station-service, quant à Matt Damon, il mène un combat acharné pour extirper sa fille des geôles marseillaises dans Stillwater. Ces trois long-métrages ont été présentés au Festival de Cannes en 2021.

Dernièrement, la série policière Pax Massilia d’Olivier Marchal a cumulé 5,6 millions de vues sur Netflix en seulement quatre jours. Un succès tel que la saison 2 est déjà en préparation.

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Affiches les condés collées au parc Kallisté.

La prison, le flic et le voyou au cinéma

Dans cet univers carcéral, deux figures se détachent : le flic et le voyou. Originaire des quartiers Nord, le réalisateur Cédric Jimenez érige la figure policière en pilier de ses films. Dans La French (2014), il revient sur le dévouement du juge Michel, freiné par des policiers corrompus, pour démanteler le trafic d’héroïne entre Marseille et New York. Dans Bac Nord (2020), il met en scène le quotidien d’une brigade des stups sous la pression constante des résultats imposés par la hiérarchie.

La comédie n’est pas en reste, se servant elle aussi de l’image du « flic » pour faire rire. Les Condés (2025) raconte le recrutement de candidats calamiteux au sein d’une école de police, dans une veine très proche de Police Academy (1984). Grand amateur de l’œuvre originale, Olivier Marchetti a lui même incarné le rôle du procureur dans ses studios.

La série Plus Belle la Vie utilise également le commissariat comme l’un de ses décors emblématiques depuis sa création en 2004. Le commissaire Patrick Nebout en est d’ailleurs l’un des personnages centraux.

Repris par TF1 en 2024, le feuilleton quotidien a permis de structurer un réseau de 1 500 techniciens et de créer, depuis deux décennies, un terreau fertile au développement des tournages dans la région.

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Sur le tournage de Plus Belle la vie, le commissaire Nebout mène l’enquête sur le Vieux-Port.

La jeunesse marseillaise sous les projecteurs

Déjà dans Taxi (1998), la figure du policier apparaît, tentant d’arrêter un gang de malfaiteurs avec la complicité du chauffeur. « Taxi a changé la vision de Marseille, affirme le producteur Ryad Montel. La ville est enfin devenue désirable aux yeux du monde ». Depuis, le Marseillais s’évertue à « faire aimer cette ville », affirme-t-il le regard plongé à travers sa fenêtre, un œil sur les tours et l’autre sur la mer.

Dans cette carte postale en mouvement, une nouvelle jeunesse éclatante crève l’écran. On la voit plonger depuis les rochers au pied des villas cossues dans Corniche Kennedy (2018), éprise de liberté, torses tannés par le soleil. On la regarde aussi s’aimer dans Shéhérazade (2018) d’un amour puissant, maladroit mais sincère, entre un délinquant et une prostituée.

Le réalisateur Jean-Bernard Marlin a repéré Dylan Robert lors de sa sortie d’un établissement pénitentiaire pour mineurs. L’année suivante, il a remporté le César du meilleur espoir masculin, comme sa partenaire Kenza Fortas. Mais la réalité a rattrapé la fiction ou les clichés. Le comédien est aujourd’hui incarcéré pour vols avec violence, entre autres. L’actrice a quant à elle poursuivi sa carrière en jouant dans Bac Nord, Sous Écrous et Les Condés.

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Jeune plongeur à Marseille.

« Marseille est filmée comme un laboratoire sociologique des pauvres »

Le potentiel de ces jeunes acteurs, souvent castés dans la rue, est valorisé par une absence de stars autour d’eux. Leur jeu cru et naturel fait souffler un vent frais sur le cinéma marseillais. Mais cette jeunesse semble figée dans le carcan du trafic de drogue des quartiers Nord, vouée au déterminisme social.

« Marseille est filmée comme un laboratoire sociologique des pauvres, observe Katharina Bellan. La bourgeoisie marseillaise n’est pas ou peu représentée ». L’ascension sociale des enfants d’immigrés est également peu racontée. Bien que Robert Guédiguian s’y soit essayé dans Le Voyage en Arménie (2006).

Nicolas Pagnol, petit-fils de Marcel Pagnol, explique ce parti pris sous l’angle économique. « Soyons clair, le cinéma est à l’image de la culture ambiante de la société portée vers la violence, résume-t-il. Ce qui fait vendre, c’est le scandale. Un film, ça vaut très cher, donc il faut rentabiliser. C’est une industrie ».

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Tournage de Plus Belle la vie sur le Vieux-Port.

Le remake perpétue le cliché

L’image d’une ville violente et mal gérée trouve ses racines dans l’Histoire. En 1934, le roi de Yougoslavie Alexandre Ier est assassiné à Marseille. La scène filmée fait le tour du monde. Quatre ans plus tard, l’incendie ravageur des Nouvelles Galeries marque un nouveau traumatisme. « L’État a marqué une défiance vis-à-vis de Marseille en plaçant la ville sous tutelle en 1938 », rappelle Katharina Bellan.

Au cinéma, les remakes ne contribuent guère à briser les clichés. Dès les années 1930, Justin de Marseille (1935) de Maurice Tourneur, inspiré du mafieux Paul Carbone, pose les bases du genre. « Tourneur avait lui-même en tête la figure d’Al Capone dans Scarface de 1932 », précise la spécialiste.

Le Scarface d’Howard Hawks sera d’ailleurs repris en 1984 avec Al Pacino. « Les producteurs se disent que si ça a vendu un jour, ça vendra toujours », glisse Nicolas Pagnol. Comme l’œuvre de son grand-père. La trilogie Marius (1931), Fanny (1932) et César (1936) a été traduite en allemand et en japonais dès sa sortie. Elle a inondé le monde de ces figures provençales. Un cinéma qu’il qualifie d’ethnographique, et « qui parle encore beaucoup aux Marseillais, qui y retrouvent leurs arrière-grands-parents ».

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La route des Crêtes © Céline Bellanger, Parc national des Calanques

La citation dans le cinéma, de l’admiration au cliché

Mais sa reproduction perpétuelle, même lorsqu’elle découle d’une véritable admiration, « peut empêcher de s’approprier l’histoire pour en donner une version personnelle », poursuit le cinéphile.

Le cliché est parfois renforcé par « la citation du cinéma à lui-même », ajoute Katharina Bellan. Dans La French, Cédric Jimenez reproduit ainsi une scène du Deuxième souffle (1966) de Jean-Pierre Melville, où le juge Michel croise Gaëtan Zampa sur la route des Crêtes, entre Cassis et La Ciotat.

L’écrin naturel magnifique se suffirait à lui-même. Ce décor naturel continue à faire de Marseille et sa région une terre de tournage privilégiée car contrairement au cliché d’une ville ultra-policière, Marseille offre une grande liberté de tournage en extérieur. Un atout que Marcel Pagnol avait su exploiter.

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