Depuis le Covid, les fromageries connaissent un véritable engouement à Marseille. La reconversion des jeunes et le retour au bien manger participent à leur essor.
« Il y a 10 ans, les fromageries à Marseille se comptaient sur les doigts d’une main. Aujourd’hui nous sommes plus d’une vingtaine », raconte Michel Lando, accoudé au comptoir de l’Art de la fromagerie dans le quartier de la Plaine (6e).
Fondé en 1952, c’est une des plus anciennes échoppes de fromages de Marseille, après le Royaume de la Chantilly (1925). Ce commerce, Michel l’a racheté à son parrain en 2008 pour en ouvrir deux autres à Endoume (7e) et aux Cinq-Avenues (4e).
En 2012, chiffres de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille (CCIAMP) à l’appui, il n’y avait que deux fromageries en centre-ville et cinq dans les quartiers périurbains. Douze ans plus tard, on en compte neuf dans l’hypercentre et 11 dans les quartiers plus excentrés.
La Cité phocéenne, qui a bâti l’image de son terroir gastronomique sur le poisson, l’huile d’olive ou les panisses, assiste donc à un engouement pour les fromageries. Elles avaient fermé dans les années 60-70, victimes du développement des grandes surfaces.
L’explosion des reconversions chez les jeunes
Mais la crise sanitaire en 2020 a remis le « bien manger » au cœur de la vie des Français. La mise à l’arrêt de l’économie et du travail a, par la même occasion, précipité certaines reconversions professionnelles, en particulier chez les jeunes.
C’est le cas de Manon Armand, la fondatrice de Froumaï en 2020 sur la Canebière (1er). « On a tous eu une crise de sens pendant le confinement et l’artisanat était une réponse évidente », confie l’ancienne cheffe de produit dans le médical.
Même schéma pour Driss Azzoug. Ce reconverti dirige trois enseignes de fromagerie La Meulerie qu’il a cofondées avec son associé Arthur Barret entre 2021 et 2024. Leurs boutiques jaune et bleu, installées dans les 1er, 7e et 6e arrondissements, se veulent loin des codes de la fromagerie traditionnelle pour attirer une clientèle, elle aussi, plus jeune.
Les deux néo-fromagers exposent des produits en vitrines verticales, dites de « vente avant » pour conseiller le client à sa hauteur et être plus en proximité. Une nouveauté globalement partagée dans le métier ces dernières années.
Évolution de la clientèle dans certains quartiers
De son côté, l’Art de la Fromagerie conserve le système de « vente arrière » avec une vitrine horizontale, plus à l’ancienne, sur le modèle des boucheries. Michel Lando observe la stratégie des fromageries 2.0, en particulier de la Meulerie, comme « un bon coup marketing ».
En revanche, il perçoit l’arrivée de ses nouveaux confrères comme une concurrence certaine. « Il y a quelques années, les habitants du Vieux-Port venaient jusqu’à la Plaine pour acheter du fromage. Maintenant, ils ne se déplacent plus », regrette le patron.
Eux, ne le voient pas de cet œil. « On s’est chacun installés dans des quartiers différents. Personne ne se marche dessus. On s’est tous constitués une clientèle de proximité », assure Manon Armand. La carte des fromageries montre en effet une bonne répartition des boutiques dans la ville.
En 30 ans, Michel observe tout de même une évolution de la sociologie des quartiers. Sa fromagerie de la Plaine attire davantage une clientèle plus « touristique » qui consomme de façon plus « épisodique » pour des diners entre copains. Au contraire, sa clientèle des Cinq-Avenues est plus « familiale » et « fidèle » avec des paniers plus importants.
Chacun ses spécificités
Tous les fromagers se sourcent à la fois en direct chez les producteurs et chez les grossistes. Ils achètent dans toute la France, dans le Cantal, en Auvergne, ou en Franche-Comté, dont le fromage éponyme est le produit n°1 des ventes.
À l’échelle locale, les revendeurs se fournissent uniquement en brousse du Rove et en Banon, les deux fromages de chèvre d’appellation d’origine protégée (AOP) que compte la Provence.
Michel Lando lui, ne fait que de la vente en direct avec le producteur, pour des questions d’éthique et de bonne rémunération des paysans. Grâce à ses trois enseignes, le fromager peut grouper ses achats. Chose moins aisée pour les professionnels qui n’ont qu’un point de vente, pour des questions de volume.
Le fromager engagé a aussi banni le gorgonzola de ses étals. « Il n’y a que 0,2% de bon gorgonzola sur le marché. Pour le reste, il appartient aux gros groupes. Les animaux ne pâturent pas et sont gavés à l’ensilage de maïs qui est très gourmand en eau », s’indigne le cinquantenaire.
Pour les mordus de ce fromage crémeux, il faudra se déplacer à La Meulerie ou chez Froumaï, qui le servent à la cuillère. Vous en trouverez aussi chez Audrey Emery et Madeleine Desportes, fondatrices de La Laiterie, rue Sainte (7e), qui produisent leur propre fromage à base de lait cru.
Tendance au snacking
Pour augmenter le panier moyen, les fromageries se sont diversifiées depuis des années. Sur les étagères, on retrouve de la charcuterie, des confitures, du pain, et du vin. Mais aujourd’hui, la tendance est au snacking. Les sandwichs permettent d’augmenter les marges et, d’autre part, d’écouler les stocks.
La Meulerie s’est mise au diapason. D’abord en testant le snack à Malmousque, où les gens veulent attraper un encas avant de se faire dorer sur les rochers. Les associés, Driss et Arthur, viennent, de manière plus assumée, d’aménager un kiosque à sandwichs à l’entrée de la nouvelle adresse rue Breteuil. Froumaï aussi, depuis quelques mois, s’est lancé dans la vente de sandwichs le midi.
De son côté, l’Art de la fromagerie, plus traditionnel, tâtonne sur le snacking. Mais Michel Lando s’est frotté, encore cette année, à l’exercice pour la La Fiesta des Suds, en octobre, en préparant près de 6 000 sandwichs sur trois jours de festival. « On apprend à maîtriser, mais on va sûrement se lancer », sourit le fromager historique.