V.RTU développe des bagues donnant la sensation du toucher avec un casque de réalité virtuelle. La start-up marseillaise ambitionne de devenir leader sur ce marché dans les prochaines années.
C’est à l’étage du Start Innovation du CIC (1er) que Heidy Daumas nous reçoit. Les locaux de sa start-up V.RTU sont à mi-chemin entre des bureaux et un laboratoire. De gros ordinateurs tournent à plein régime devant des tableaux noircis de formules mathématiques. Tandis que les cinq salariés sont rivés sur leurs écrans.
L’espace est encore un peu spartiate pour la jeune pousse qui ambitionne de devenir le leader mondial de l’haptique (la sensation du tactile). Mais cet incubateur géré par Marseille Innovation accueille la start-up dans de bonnes conditions pour démarrer son activité, jugée prometteuse par la Région Sud qui l’accompagne sur le 8e salon de Vivatech à Paris, ce 22 mai.
V.RTU développe deux innovations en parallèle. D’abord, une bague (V.rtact) connectée avec un casque de réalité virtuelle qui donne la sensation du toucher. Par exemple, si vous faites un ping-pong avec un casque de VR, la bague vous donnera la sensation de saisir la balle. Ces bagues doivent devenir « les Airpods du tactile », scande le fondateur de 29 ans.
La start-up met également au point le logiciel Haptify pour aider les designers d’applications à réaliser un signal de toucher, compliqué à déterminer et à coder. En effet, dans le monde, les spécialistes de l’haptique se comptent en quelques milliers. « On est en train de sortir un éditeur pour se brancher sur une IA (comme Mistral AI ou OpenAI) couplé à notre modèle d’IA spécialisé en haptique pour générer un signal vibratoire », clarifie Heidy.
De fait, une application peut vibrer en fonction de certaines fonctionnalités. Par exemple, un jeu peut simuler la sensation de gagner des points avec le toucher. Autre utilisation possible pour une marque : transformer son jingle sonore en signature tactile.
Développer son propre modèle d’IA
Ces deux innovations ont permis à V.RTU d’être labellisé « deeptech » avant création par la Banque publique d’investissement (BPI). « Ce qui est assez rare », souligne malicieusement le fondateur. Ce label est décerné aux entreprises créées par des fondateurs issus de la recherche dont le modèle économique est viable.
À la suite de cette distinction, la start-up a également perçu la bourse French Tech Emergence de 90 000 euros. Et de la « Love money » (fonds provenant de l’entourage) à hauteur de 120 000 euros.
Si, à ce stade, l’entreprise n’est pas rentable, elle enregistre du chiffre d’affaires grâce à un projet confidentiel pour son premier client Airbus Helicopters. V.RTU se prépare également à signer avec plusieurs grandes entreprises du secteur cosmétique et automobile.
La start-up cherche aussi à lever trois millions d’euros d’ici les prochaines semaines afin de « senioriser » l’équipe d’une moyenne d’âge de 27 ans et investir pour créer son propre modèle d’Intelligence artificielle. « Un modèle l’IA peut aller jusqu’aux 500 millions comme Open IA ou 375 millions comme mistral AI », souligne le neuroscientifique.
V.RTU est née sur les blancs de l’université
Malgré ces mastodontes qui lui font face, Heidy croit dur comme fer à sa capacité de révolutionner le toucher dans un monde virtuel, bien qu’il ne se prédestinait pas aux neurosciences au début de son parcours.
Heidy rêvait d’être prothésiste bijoux pour des personnes amputées. Mais quelques mois aux Beaux-arts de Marseille ont suffit pour le faire changer de trajectoire. Il a préféré « squatter » les bancs de l’amphithéâtre de biologie avant d’entamer un cursus en neurosciences cognitives à Aix-Marseille Université. « Une spécialité hyperviolente, raconte le trentenaire avec du recul, dans le sens où le niveau était très élevé ».
En master 2, l’étudiant fait un stage avec « la rockstar des neurosciences » Rochelle Ackerley. Cette chercheuse anglaise, basée au CNRS de Marseille, est spécialiste de la perception par le toucher chez l’humain. « Nous avons des dizaines de milliers de cellules dans la peau. Rochelle peut en écouter une seule en passant par le nerf. Elle est la seule en France à pouvoir le faire et ils ne sont qu’une dizaine dans le monde », explique Heidy, admiratif.
« Faire descendre la culture IA à Marseille »
À l’époque, le jeune souhaitait poursuivre sa thèse avec la chercheuse, en travaillant sur un bracelet donnant la sensation du toucher aux personnes amputées. « Mais au moment de rendre le document, je me dis que très peu de personne l’utiliserait… et qu’au final je voulais créer un produit pour tout le monde ».
C’est ainsi qu’il a fondé V.RTU en 2022, poussé par l’écosystème local, notamment le Crédit Agricole Alpes Provence, Marseille Innovation, et la French Tech Aix-Marseille.
Si Heidy salue cet encadrement propice à la création d’entreprise, il note cependant que « le positionnement de Marseille comme hub du numérique ne se ressent pas malgré sa place au niveau mondial ». De même, pour lui « toute la culture IA est à Paris ». Il faut ainsi « faire redescendre cette culture à Marseille ».
Et comment ? En attirant les portefeuilles privés et des family office (société de conseil dans la gestion du patrimoine), répond le jeune qui reste optimiste sur « le potentiel de ouf » de sa ville. « Mais il faut qu’on réussisse à s’ouvrir un peu plus ».