Les surveillants de capitaineries font la chasse aux « bateaux ventouses », dans les ports marseillais où l’abandon des bateaux de plaisance est un phénomène croissant. Illustration à la Pointe Rouge.
L’Albatros a enfin pu faire honneur à son nom. Cette petite vedette de 7,50 mètres de longueur, retrouvée au port du Frioul en 2020, puis amarrée au Vieux-Port pendant trois ans, a pris son envol pendant un court moment… juste le temps d’être soulevée par une grue et déposée sur une remorque au port de la Pointe Rouge.
Cette embarcation abandonnée fait partie de ce qu’on appelle communément les « bateaux ventouses », des « bateaux de plaisance hors d’usage » qui occupent une place dans les ports sans jamais sortir en mer, et dont on a, pour la plupart, perdu la trace des propriétaires.
Le Frioul, port le plus touché par ce phénomène
L’Albatros n’est pas un cas isolé. Entre 10 et 15 bateaux sont retirés chaque année sur la totalité des 28 ports de plaisance gérés par la Métropole Aix-Marseille-Provence, autorité portuaire principale du territoire. Il en revient ainsi à l’intercommunalité de se charger de l’enlèvement de ces bateaux avant qu’ils ne deviennent des épaves.
Depuis le début de l’année, deux ont été trouvés sur le port de la Pointe Rouge, et « bien plus encore au Frioul. C’est là-bas qu’il y en a le plus », rapporte Thibaut Blan, le maître et surveillant de port. « Mais ce sont des grosses unités, donc plus difficiles à ramener ».
Présents dans chaque capitainerie, des surveillants signalent la présence de bateaux ventouses. Pour les détecter, les agents disposent « du logiciel SeaPort, qui permet de référencer chaque bateau. Il est très facile de faire un pointage et de savoir si un bateau est à sa place ou non », explique Pierre-André d’Amico, maître de port de la Pointe Rouge.
De l’identification à la déchéance de propriété
« La plupart du temps, nous avons affaire à des successions qui se font tardivement, ou mal », reprend Thibaut Blan. Comme pour l’Albatros, abandonné il y a trois ans à la suite du décès de son propriétaire, les procédures d’enlèvement sont souvent longues à mettre en place.
« En premier lieu, nous identifions le bateau et son propriétaire, détaille Pierre-André d’Amico. Puis il y a une mise en demeure, et nous faisons faire un PV de constat d’abandon par l’assureur du port. Si nous n’obtenons pas de réponse, nous pouvons faire une demande de contravention de grande voirie, et de déchéance de propriété ».
À ce stade-là, il arrive que des propriétaires refassent surface. Mais s’ils ne se manifestent pas, le bateau revient alors au Trésor public, et la Métropole en devient le propriétaire légal. Elle doit par conséquent prendre en charge l’ensemble des démarches administratives, techniques et juridiques. « Si on arrive à retrouver le propriétaire, on peut le re-facturer », précise toutefois le maître de port.
Celui-ci affirme que, face à l’augmentation de ce phénomène, « les procédures se sont beaucoup accélérées depuis quelque temps, que ce soit au niveau de la Métropole ou de la DDTM [Direction départementale des territoires et de la mer, ndlr] ».
Une deuxième vie pour les bateaux ventouses
Avant sa destruction, « nous faisons expertiser le bateau pour voir s’il est récupérable, s’il a de la valeur et peut être vendu aux enchères… mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas », reprend Thibaut Blan.
Acheminée au port de la Pointe Rouge après un séjour au Vieux-Port, l’Albatros a fait l’objet de plusieurs expertises. Sa destruction est programmée avant la fin du mois. Une fois sanglée, la vedette a été soulevée à l’aide d’une grue à flèche et posée sur une remorque afin d’être transportée jusqu’aux locaux de l’entreprise Epur Méditerranée à Gignac-la-Nerthe.
Dans cette entreprise agréée par l’APER (Association pour la Plaisance éco-responsable), elle doit être dépolluée, puis démantelée. Ses composants, comme l’aluminium, doivent ensuite y être recyclés et ses pièces, comme le moteur, revalorisés.
EPUR fait partie des cinq entreprises avec lesquelles la Métropole a conclu un accord-cadre pour la revalorisation des bateaux jusqu’à 2027. En 2022, 100 bateaux ont été détruits et, sur les quatre premiers mois de l’année 2023, 56 ont déjà été traités sur le site de Gignac-la-Nerthe.
Au total, « 39 bateaux ventouses ont été pris en charge entre 2018 et 2021 pour un coût total de 171 000 € », précise la Métropole. Les services compétents estiment que « plus de 58 embarcations abandonnées seront prises en charge d’ici à 2024 ».