Une centaine d’élèves de lycées professionnels ont pu écouter le témoignage de trois survivants de la Shoah et échanger avec eux, ce 24 mai au lycée Jean Perrin (10e) à Marseille.
« Je ne suis pas une conférencière, je suis un témoin. Et vous êtes les témoins des témoins », lance Denise Toros-Marter à la centaine d’élèves réunis ce mardi 24 mai pour assister aux témoignages poignants de survivants de la Shoah. Invitée au lycée Jean Perrin (10e) dans le cadre d’un « parcours citoyen » proposé à cinq classes de lycées professionnels, elle fait partie des trois familles juives rescapées vivant encore à Marseille, où elle est née en 1928.
Venus partager leur vécu à ses côtés, Albert Barbouth, 89 ans, et le Marseillais Isaac Alfandari, qui témoignait pour la première fois à l’âge de 98 ans. Trois profils de vie qui ont connu la guerre de différentes façons, à des âges et des moments distincts. Tous racontent l’enfer vécu avec leurs mots, une « mémoire vive » selon Sophie Sarraute, directrice académique des services de l’Éducation nationale du département, « pour faire un trait d’union entre le passé, le présent et l’avenir ».
Derrière les chiffres, les histoires
Durant la Seconde guerre mondiale, « 76 000 personnes ont été déportées depuis la France à bord de 79 trains de convoi vers les camps de la mort. Seulement 2 400 ont survécu, soit 3 %. Mais les chiffres, ça ne veut rien dire, c’est tellement abstrait, intervient Albert Barbouth, en contant ses souvenirs d’enfant caché, passé par le camp de transit de Drancy. Derrière ces chiffres, il y a des visages d’hommes, femmes et enfants, c’est ça que je veux que vous voyiez ».
L’homme de 89 ans milite depuis de nombreuses années avec l’Amicale des déportés d’Auschwitz auprès des jeunes dans les collèges et lycées. Il a grandi à Paris et se souvient avec émotion le moment où la devise « Liberté, égalité, fraternité » que son père, fuyant la guerre gréco-turque avait trouvé en arrivant en France, fut remplacée par « Travail, famille, patrie » sur les façades des établissements publics. Obligé de porter l’étoile jaune et exclu du jour au lendemain de son école à cause de sa religion, il répète aux lycéens marseillais : « Si vous acceptez vos différences et si vous vous enrichissez d’elles, peut-être qu’il n’y aura plus jamais d’Auschwitz. Notre espoir est placé en vous. »
Un devoir de mémoire contre le négationnisme
Du haut de ses 94 ans, Denise Toros-Marter s’est déplacée aujourd’hui « pour que ne s’installe pas une idéologie extrême qui nihilise ce qui s’est passé dans les camps d’extermination. Ce qui a déclenché notre témoignage, c’est l’arrivée des négationnistes qui ont dit qu’Auschwitz, « c’est un détail de l’histoire« , qu’on n’y a « gazé que les poux« . Alors, où sont mes parents, où sont passés ces millions de gens ? ». Arrêtée par la Gestapo française à Marseille en 1944, elle met en valeur l’importance du devoir de mémoire, mémoire qui se transmet en parlant à des générations « plus à l’écoute que les précédentes ».
Des témoignages émouvants auxquels les élèves sont attentifs. « Ça m’a fait pleurer, c’est une expérience inoubliable, confie Rebecca, 17 ans, qui n’avait jamais eu l’occasion d’entendre des témoignages de survivants. « Leurs descriptions sont poignantes, c’est le fait qu’ils racontent des moments et des expériences qui rend tout ça encore plus réel, enchaine son amie Fatima. Cela fait passer un bon message, qu’il ne faut pas que ça recommence ».
Au-delà des programmes d’histoire-géo
Un « travail de mémoire » possible grâce au Fonds de mémoire d’Auschwitz, qui organise des interventions auprès des établissements scolaires et associations depuis 1987. « Notre rôle, c’est aussi de faire prendre conscience que ça s’est passé à côté de chez eux, il n’y a pas si longtemps », explique sa présidente Caroline Pozmentier-Sportich, qui ambitionne de poursuivre ce travail à travers une « mise en connexion de scientifiques, d’histoires familiales et de l’encadrement scolaire », notamment auprès de classes de CM2.
« Nous avons voulu le faire ici, car les lycées professionnels n’ont que peu accès à ce genre de rencontre », ajoute Stéphanie Mariani, coordinatrice en éducation prioritaire au collège Louise Michel (10e). « Le devoir de mémoire, c’est quelque chose que l’on cherche à cultiver, pas simplement dans le cadre des programmes d’histoire-géographie, mais aussi dans une démarche d’engagement, de citoyenneté, relève Sophie Sarraute. Les jeunes sont notre avenir, notre espoir, et à travers ces échanges, ils construisent aussi leur futur engagement. Pour que ce que ces victimes ont vécu, et ce que certains vivent encore, nous ne le vivions plus. »
Denise Toros-Marter a publié en 2008 le livre « J’avais seize ans à Pitchipoï », un mot yiddish qui évoquait un « village imaginaire », mais qui désignait en réalité Auschwitz. Elle a écrit cette collection de ses souvenirs de la guerre, « pour que ça ne se renouvelle plus. On a exterminé des millions d’êtres humains parce qu’ils étaient différents. La différence, c’est ce qui fait notre bonheur à tous », conclut-elle sous les applaudissements.