Le ministère de la Culture a tranché : les vestiges de la carrière antique de la Corderie seront finalement réenfouis, contrairement à la promesse de l’État. Mais avant, l’historien marseillais Jean-Noël Bévérini souhaite extraire des éléments pour mettre en valeur ce témoignage de « la matrice » de Massalia.
Ce n’est pas une surprise. La carrière antique du boulevard de la Corderie sera réenfouie. L’État avait déjà annoncé privilégier cette solution en septembre. Le ministère de la Culture a confirmé ce choix la semaine dernière. Le site archéologique de taille et d’extraction de pierre calcaire date de la fondation antique de la plus vieille ville de France, Massalia, il y a environ 2 600 ans.
Sa découverte lors du lancement d’un projet immobilier de Vinci avait mobilisé des défenseurs du patrimoine marseillais en 2017, et encore aujourd’hui. Historiens, archéologues, associations… Ils prônent la préservation et la mise en valeur de ce témoignage archéologique. À l’époque, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait lui-même embrassé cette cause, ainsi que la ministre de la Culture d’alors, Françoise Nyssen. Sous son impulsion, l’État avait classé le site, inscrit au titre des monuments historiques par arrêté préfectoral du 24 janvier 2018.
L’annonce officielle précisait la position du gouvernement : « La conservation du site devra s’accompagner de sa mise en valeur grâce à des aménagements spécifiques permettant sa visibilité et un travail de médiation mené localement en direction de tous les publics, comme l’avait demandé la ministre ».
« La ministre est partie et ses promesses avec »
Une promesse qui ne sera donc pas tenue par sa successeure, Roselyne Bachelot. Son ministère argue aujourd’hui de « l’importance des investissements que nécessiterait leur [des vestiges] maintien hors du sol ». Un enfouissement partiel et des fenêtres de visibilité « ne semble pas non plus apporter de garanties suffisantes en termes de conservation ».
« La ministre est partie et ses promesses avec », déplore Jean-Noël Bévérini, historien et membre de l’Académie des sciences, lettres et arts de Marseille. Il précise emprunter directement la formule à un interlocuteur de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). Il reconnaît que le classement au titre des monuments historiques « n’interdit pas l’enfouissement des vestiges pour leur conservation ». Mais l’historien estime, « sur la base d’avis de géologues et d’archéologues, que l’eau va continuer de s’infiltrer, attaquer la roche et détruire les vestiges ».
« Exposer au Musée d’Histoire de Marseille un bloc significatif »
Pour rappel, l’intérêt patrimonial du site ne fait pas l’unanimité. Au lendemain des fouilles, en 2017, le président exécutif de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), Dominique Garcia, précisait au journal Marsactu : « Ce sont les restes d’une exploitation. Ce n’est pas comme si on disait “Tiens, on a trouvé un nouveau monument à Marseille”. Nous n’avons découvert que peu d’objets, surtout des fragments. Et il n’y en a pas qui aient un intérêt muséal primordial ».
« Cette carrière n’est pas exceptionnelle, elle est unique ! » considère pour sa part Jean-Noël Bévérini. « On détruit la matrice de Marseille, le ventre qui a accouché de la plus ancienne ville de France ». Il s’en réfère notamment à l’avis d’un archéologue de renommée, Michel Bats, spécialiste du monde méditerranéen, en particulier phocéen.
S’il prend acte de l’enfouissement imminent des vestiges, l’historien marseillais ne s’avoue qu’à moitié vaincu, et propose une solution : « nous pourrions prélever des blocs de la carrière pour les mettre en valeur auprès du public. On pourrait exposer au Musée d’Histoire de Marseille un bloc significatif, comme il y en a, avec les traces des tailleurs de pierres datant de 2 600 ans ».
La Ville de Marseille en soutien ?
Jean-Noël Bévérini va même plus loin et imagine « qu’un artiste réalise une sculpture dans un bloc prélevé, à la gloire de Marseille, taillée dans le calcaire originel de la ville ». Une idée qu’il nous dit avoir soumise à l’adjoint municipal à la Culture, Jean-Marc Coppola. « Il a adoré l’idée et l’a transmise à Benoît Payan, qui s’est dit enchanté ». Pour rappel, le maire de Marseille s’était mobilisé pour la préservation de la carrière antique quand il était encore membre de l’opposition.
Mais malgré nos multiples sollicitations, à la publication de cet article, l’élu à la Culture ne nous a pas confirmé la position de la Ville sur cette question. Elle devra être éclaircie rapidement : le ministère de la Culture souhaite le réenfouissement des vestiges « dans le délai le plus rapide possible, pour arrêter les dégradations dues à leur mise au jour. »