Style à part, personnalité solaire, depuis son plus jeune âge Guillaume Ruoppolo explore les fonds marins pour immortaliser la beauté de la faune et la flore, ici et ailleurs. De ses photos atypiques « de la terre vue de la mer », à ses derniers clichés saisissants du Musée subaquatique de Marseille, portrait d’un photographe marseillais en vogue.
L’installation n’est pas tout à fait terminée. Il manque quelques éléments de décoration pour habiller les murs, venir tutoyer ce maillot bleu, blanc, rouge, sous-verre estampillé d’un N°13. Basile Boli, France-Yougoslavie – Euro 92. Un autre intrigue. C’est celui de l’ancien joueur, et désormais commentateur sportif, Jean-Michel Larqué, porté au cours de ce match, où la France sort victorieuse face l’URSS, en 1972 pour les éliminatoires pour la Coupe de monde.
Ces cadeaux collectors occupent une place particulière, côtoyant un panorama aérien de la cité phocéenne et de vieux appareils photo à la valeur sentimentale, soigneusement disposés dans les nouveaux bureaux de Wallis. Si l’archipel polynésien est bien loin, les clichés de cette banque d’images marseillaise, créée il y a plus de trente ans, proposent un voyage autour du monde, depuis le ciel, sur terre et en mer. « Pour la petite histoire, mon père était le premier déposant de Wallis », confie d’emblée Guillaume Ruoppolo, avec enthousiasme, puisqu’aujourd’hui, il est à la tête de cette petite entreprise.
Il l’a rachetée il y a deux ans, avec son associé Laurent Saccomano. Marseillais, passionnés par leur métier, les deux photographes professionnels se retrouvent toujours sur la terre ferme. Car si Laurent est l’oeil des vues aériennes, Guillaume est le spécialiste des images sous-marines. Dire qu’il est tombé dedans lorsqu’il était petit n’est qu’un doux euphémisme. « Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai commencé à plonger en 84, vers 3, 4 ans. Mes parents ne m’ont jamais forcé, c’est presque même tout le contraire et c’est, je pense, ce qui m’a donné envie », raconte Guillaume en rigolant.
Chez les Ruoppolo, la plongée est une histoire de famille. C’est peu de le dire. « À 76 ans, mon père continue de plonger avec ma mère. Il était champion du monde dans les années 1990. Plus jeunes, ils ont longtemps participé ensemble à des compétitions sous-marines de photographie. Mon épouse plonge aussi et Esteban, mon fils aîné également ». Quant au petit dernier, Andrea, âgé de 4 ans, il ne devrait pas tarder à faire le grand plongeon.
De père en fils, la plongée coule dans les veines
De père en fils, cet attachement indéfectible à la mer et la Méditerranée est profond, sincère. C’est ce qui rythme leur vie au quotidien. A 15 ans, Esteban intègre dès cette rentrée le lycée de la mer de Sète, pour espérer prendre plus tard, la barre d’un navire. Une fierté pour son père qui, en évoquant ce parcours, le ramène à ses propres années d’adolescent. Guillaume avait opté pour un Bac pro « mécanicien de bateau », avec l’ambition de faire carrière dans la Marine nationale.
À 18 ans, finalement, la flèche de Cupidon lui fait changer de cap. Enfin presque ! L’appel de la nature et du large est toujours très ancré. Alors, des filets de pêche aux tubas, le phocéen navigue entre différents métiers : marin-pêcheur d’abord, puis vendeur dans un grand magasin d’équipements sportifs, « au rayon plongée forcément », moniteur de plongée…
Cette fascination pour le monde marin ne le quitte jamais, tant et si bien qu’il décide de l’immortaliser. « Je faisais également des piges pour des magazines de plongée, il en existait plusieurs à l’époque », confie-t-il. L’amour pour la photographie naît au gré de ses immersions régulières. S’éveille en contemplant les clichés de son père. Photographe professionnel, spécialiste des photos du Sud, il est distingué à l’occasion de nombreux concours. Un modèle. « Là aussi, j’ai baigné dedans très rapidement. à force de regarder les photos, je connaissais toutes les espèces de poissons et pourquoi des photographies étaient ratées ou réussies ».
Incontestablement, Guillaume nage dans les palmes de son père. Ses premières images, l’apprenti les capture à l’âge de 13 ans, à l’aide d’un Nikonos 5. « C’est un appareil-photo étanche de conception, fabriqué à l’époque par Nikon », détaille-t-il, avec l’objet entre les mains. Obsolète aujourd’hui, il fait office de déco sur l’étagère de la bibliothèque, sur laquelle trônent une Palme d’Or, premier prix du festival mondial de l’image sous-marine en 2008, ou encore ce titre du photographe de l’année en 2017, dans la catégorie Nature.
Puis d’autres instruments de travail bien plus imposants : son premier caisson étanche pour protéger son réflex, ou d’autres confectionnés de manière plus artisanale. « Ce sont des caissons bricolés pour les flashs, car ça n’existait pas à l’époque. Ils étaient à mon père. Ses premiers, il les avait d’ailleurs fabriqués à partir d’une cocotte-minute ».
Les moyens du bord pour assouvir une passion débordante, celle qui nourrit le jeune garçon qu’il est à l’époque. Il se remémore ses moments de frustration face à son travail et ce souci du détail et de la perfection. « J’avais des exemples de belles photos et moi, ce n’était pas du tout le cas. Ce n’était jamais comme je veux. Je me disais : comment font-ils ? Et je ne voulais pas demander à mon père, alors j’allais voir ses collègues », confie-t-il, sans lâcher ce sourire optimiste.
« Ce sont des caissons bricolés pour les flashs, car ça n’existait pas à l’époque. Ils étaient à mon père. Ses premiers, il les avait d’ailleurs fabriqués à partir d’une cocotte-minute »
Tout en apprivoisant le milieu sous-marin, son œil s’aiguise, sa technique s’affûte. « Le plus difficile dans les images sous-marines, c’est la maîtrise de la lumière, et les couleurs qui y sont directement liées. A 5 mètres de profondeur, les couleurs comme le rouge ou l’orange disparaissent, absorbées par le bleu. Par exemple, avant d’être éclairées, les gorgones rouges de Méditerranée sont bleu-violet ». Autre difficulté : « Travailler au téléobjectif sous l’eau, c’est impossible, il faut vraiment coller au sujet ».
Dans ce monde du silence, alors que la pellicule laisse place au numérique, l’ambassadeur de l’équipementier Beuchat, observe d’autres changements. Le retour d’espèces pélagiques sur certains sites, comme Riou, quand, au contraire, le loup « qu’on voyait fréquemment l’est beaucoup moins. Un facteur global de pression, analyse-t-il, mais aussi de pollution sonore ».
Ses rencontres mémorables au fil de l’eau
Pour ce fervent défenseur du Parc national des Calanques, difficile d’encaisser la campagne de démarketing impulsée pour lutter contre la surfréquentation estivale. « Dès lors qu’il est devenu Parc national, il était évident que ça allait produire cet effet, que les gens allaient venir en masse », exprime-t-il, peiné de ne plus pouvoir photographier à sa guise la beauté de cet espace naturel protégé. « L’un des plus beaux du monde », renchérit le photographe, pour avoir croqué avec son objectif les paysages du Mexique, « mon pays de cœur », de la Polynésie, de Madagascar, du Belize, du Japon…
Mais, il préfère les tête-à-tête avec des tortues, requins, poulpes… qui accrochent son appareil. Les baleines–pilotes ont longtemps constitué sa quête, assouvie lors d’une sortie en mer au large de Sanary. Un épisode mémorable par son intensité. Entre grande frayeur, face à un mâle dominant de 6 mètres qu’il n’a pas venu venir pour protéger son nouveau-né, et instants d’euphorie, entouré de ce banc de globicéphales, il « shoote » une série de photos, tel un Graal.
Pourtant, sa plus belle rencontre sera sur l’eau. Pour rendre « la chance qu’il a d’être toujours en mer », Guillaume encadre depuis quelques années des sorties avec des jeunes issus des quartiers prioritaires de Marseille, en partenariat avec le bailleur social 13Habitat. « Un jour, avant le départ, les jeunes étaient plus qu’indisciplinés. Certains se la jouaient gros durs, mais une fois en mer, lorsqu’ils ont vu des dauphins, ils se sont mis à pleurer. Ça m’a mis des frissons, ils avaient retrouvé leur âme d’enfant. Pour moi, ça c’est magique et c’est le genre d’expérience que je ne veux surtout pas perdre ».
La signature atypique « mi-air, mi-eau »
S’il plonge avec ses bouteilles, Guillaume Ruoppolo s’éclate aussi en apnée. Sans jamais chercher l’exploit, délesté de sa montre pour chronométrer le temps, il fonctionne « aux sensations ». Dernièrement, c’est lui qui a fait sensation avec ses photographies saisissantes du Musée subaquatique de Marseille, véritable studio immergé où les statues d’artistes deviennent ses modèles immobiles et majestueux. Un travail réalisé gracieusement « pour faire rayonner Marseille ».
Dans quelque temps, le Marseillais pourrait surprendre avec un projet plus personnel : un ouvrage répertoriant ses photos uniques et originales qu’il appelle « mi-air, mi-eau ». Sa vision de la « terre vue de la mer », qui s’écrira en images au fil de ses pages sonne comme un hommage. Guillaume Ruoppolo nourrit d’ailleurs l’espoir secret que sa préface soit signée par Yann Arthus-Bertrand. Et s’il trouvait comme une évidence cette bouteille jetée à la mer ?
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