Bétonnée, polluée, minérale, bruyante… La réputation qui colle à Marseille n’est pas celle d’une terre d’accueil pour la nature. Une idée reçue pour le spécialiste d’écologie urbaine, Julien Viglione. Il nous guide dans la ville à la découverte des aigles rares, des crapauds corses, des colonies de perruches afro-asiatiques, ou encore du « plus intelligent de tous » : le rat.

Le Parc national des Calanques borde la deuxième ville de France. À Marseille, l’antagonisme entre ville et nature saute aux yeux. Pourtant, « la cité phocéenne est un réservoir et même un démonstrateur de biodiversité et de résilience » assure Julien Viglione. Il est le fondateur du bureau d’études naturalistes marseillais Éco-Med, qui travaille sur l’impact de l’homme sur la faune et la flore.

« Marseille est la fille des collines. Elle est cernée par la vie sauvage avec les massifs naturels d’un côté, et la mer de l’autre. Il y a un véritable corridor écologique entre les deux, fait de très nombreux jardins privés, cours d’eau urbains et parcs. Cela permet à beaucoup d’espèces de circuler. Malgré l’artificialisation extrême, on trouve un véritable écosystème ».

Bienvenue en cosmopolitanie

Massilia, c’est une histoire de plusieurs millénaires. Avant elle, il y avait une plaine, celle de l’Huveaune « très humide et qui accueillait une grande biodiversité ». Puis un port, qui a grandi durant 2 500 ans « et ramené beaucoup d’espèces animales et végétales par la mer ». Comme le lézard sicilien « arrivé tout droit de Corse. Il a complètement colonisé l’îlot du Château d’If. Mais la présence la plus étonnante est celle du Discoglosse corse, repéré dans le quartier de Château-Gombert. Ce crapaud est vraiment endémique à l’île de beauté, on ne le retrouve nulle part ailleurs normalement ».

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Des voyageurs surprenants s’invitent également par la terre. Le chacal, espèce « afro-asiatique » est arrivé en Provence du Moyen-Orient via les pays d’Europe de l’Est. « Un jour, on le verra grignoter dans les poubelles marseillaises », prophétise l’ingénieur en écologie. Plus surprenant pour son caractère très sauvage, le loup est parfois « aperçu aux portes de la cité phocéenne », alors qu’il transite des Alpes italiennes aux Pyrénées.

La ville est surtout « un laboratoire de la biodiversité du pourtour méditerranéen ». Et les végétaux ont aussi leur mot à dire. Comme cet imposant câprier sauvage qui a pris racine dans le 4ème arrondissement, rue Monte-Cristo « sans que personne ne le remarque. Il vient de Sicile ? De Toscane ? Du Maghreb ? Ce qui est sûr, c’est qu’il est extrêmement rare au nord de la Méditerranée. Il est en limite extrême de climat, et nous offre un bel exemple de résilience ».

Julien Viglione sillonne les rues de Marseille depuis des décennies pour étudier le vivant, et particulièrement la faune. Au-delà des animaux sauvages qui s’y baladent un peu hasardeusement, ou ceux domestiqués par l’homme, le fondateur d’Éco-Med est « fasciné par ceux qui ont décidé de vivre en centre-ville ».

Contrat de colocation urbaine

Certaines de ces « espèces sauvages citadines » n’évoluent pas toujours en milieu urbain, mais y trouvent de petits havres de vie. Elles font preuve d’une « extraordinaire capacité d’adaptation ». Les cigales  nichent dans les platanes de Belsunce, les rainettes dans les mares des parcs « et même des piscines privées ». Ou encore les hérissons « dans des jardins publics, comme celui de la Magalone, au pied de la Cité Radieuse du Corbusier, symbole imposant de l’urbanisme du XXe siècle ». Certains animaux flirtent avec la ville, mais n’osent pas encore passer le cap de la vie commune avec les Marseillais.

« Comme les sangliers et les renards, même s’ils s’aventurent de plus en plus profondément dans la cité ». Le naturaliste voue une passion particulière pour « les opportunistes » qui ont totalement intégré l’écosystème de la ville. Gabians, rats, pigeons, geckos ou ragondins « sont la preuve qu’il y aura toujours des espèces qui nous accompagneront, et même nous survivront ». Pour l’heure, « elles ont signé un contrat de colocation avec les Marseillais, et ont bien lu les clauses de danger : attention en traversant la rue, à ce qu’on mange et gare aux représailles si on embête l’humain ».

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Le rat : « MacGyver du règne animal »

Le plus malin d’entre eux, aux yeux du passionné d’écologie urbaine, est le rat des villes. « C’est une star ici, même s’il a souvent mauvaise presse. Pourtant, il est plus intelligent que certains de vos voisins ! », ironise (ou pas) Julien Viglione. Une intelligence « entièrement dédiée à sa survie, avec une capacité d’adaptation permanente, à tout », à l’homme, aux évolutions de la ville, aux nouveaux dangers technologiques, chimiques, et naturels. « Il apprend à les éviter, s’en sert de refuge, s’en nourrit. C’est le MacGyver du règne animal ! Vous pouvez être sûrs qu’on aura des rats encore très longtemps, et sûrement après nous ».

Le rat « est arrivé par le port et a grandi avec lui, poursuit le spécialiste. Il ne mange pas que les poubelles. C’est aussi un prédateur qui remplit une fonction de régulation d’autres espèces ». Mais dans la perception populaire, ces rongeurs évoquent surtout la saleté, les maladies et sont considérés comme des nuisibles particulièrement gros et nombreux dans la cité phocéenne. « Un rat est gros s’il mange bien. Ici, il mange bien. La saleté, il n’en est pas responsable. Pour le nombre, je n’ai pas de chiffres fiables qui permettent de le dire. Mais d’après mes observations, il y en a moins qu’à Paris, par exemple ».

Certains les associent, sûrement à tort, à la Peste de 1720 qui a décimé près de la moitié de la population marseillaise. « Mais ce n’est pas un animal particulièrement vecteur de maladies. Contrairement au moustique, autre star marseillaise, bien plus dangereux pour l’homme. Ou même les chauves-souris, avec la rage. D’ailleurs, elles forment une impressionnante colonie autour du Vieux-Port, sous les toits de tuiles ».

Le rat est également considéré comme un nuisible, « et c’est en partie vrai. Mais c’est loin d’être le pire ». Les Marseillais semblent faire plus les frais d’invasions de puces de lits ou de cafards. Sans oublier une nuisance plus récente qui fait désormais beaucoup de bruit : le chant de la perruche à collier. Au coucher du soleil, ces oiseaux afro-asiatiques aux couleurs exotiques débarquent par milliers sur certains boulevards. « Elles font un tel boucan que ça devient invivable pour les riverains ». Et pas pour seulement les humains : « elles font aussi fuir la faune locale, dont les moineaux. La prolifération de cette espèce est vraiment à surveiller, voire à réguler ».

« Le rat ne mange pas que les poubelles. C’est aussi un prédateur qui remplit une fonction de régulation d’autres espèces »

Julien Viglione

Les seigneurs des airs

Le gabian n’est pas moins bruyant, et tout le monde connaît son cri nasillard à Marseille. « Et si vous lui demandez de se taire, il devient agressif, rappelle Julien Viglione. Le goéland leucophée, de son nom officiel, a complètement trouvé sa place en ville. Il se sert dans les poubelles et peut élire domicile chez vous s’il trouve un petit refuge ensoleillé pour faire son nid ». Lorsque c’est le cas, il élèvera et protègera ses petits jusqu’à leur envol « au mépris de tous les voisins humains ». De nombreux Marseillais ont fait l’expérience de son agressivité en s’approchant, sans le savoir, d’un nid.

Le fondateur du bureau d’études naturalistes estime que « les vraies stars des airs à Marseille, ce sont les rapaces diurnes. Il y en a trois ou quatre espèces en ville ». Si les éperviers se cantonnent aux espaces boisés, des oiseaux de proie plus impressionnants nichent en plein centre. « Comme les faucons, qui vivent parmi les vrais…, lance-t-il dans un humour très naturaliste. On observe notamment beaucoup de faucons crécerelle », un des rapaces les plus communs de France.

Plus surprenant : le faucon pèlerin, réputé pour être l’oiseau le plus rapide au monde en piqué avec ses pointes à 300 km/h. Sa présence est « un délire » à plusieurs titres, pour Julien Viglione. D’abord parce qu’il niche « très rarement hors des falaises alpines ». Mais aussi parce qu’un individu a élu domicile dans l’immeuble même où se trouvent les bureaux d’Eco-Med : la Tour Méditerranée, quatrième plus grand gratte-ciel de Marseille avec 96 mètres pour 24 étages.

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Toutefois, la palme du plus étonnant et majestueux rapace marseillais revient à l’aigle de Bonelli. Il peut atteindre 1,8 mètre d’envergure, et est inscrit sur la liste rouge de la faune menacée en France. Le dernier recensement fait état de 38 couples dans le pays, concentrés autour de la Méditerranée. « C’est le seul couple urbain à ma connaissance », s’étonne le spécialiste. Ou péri-urbain, puisqu’il s’est installé à Vaufrèges, un quartier qui marque la limite de la ville avec le Parc national des Calanques.

Marseille : laboratoire de la biodiversité urbaine

On y revient : Marseille la « bétonnée », la « minérale », la « polluée », n’a jamais vraiment rompu ses relations avec la biodiversité marine et terrestre qui la cernent. Une caractéristique intéressante alors que l’humanité a franchi un cap depuis 2008 en devenant une espèce majoritairement urbaine. 55 % de la population mondiale vit en ville aujourd’hui. En 2050, ce chiffre devrait frôler les 70 %.

« Si on admet cette urbanisation croissante, on ne pourra donc pas préserver tous les réservoirs de biodiversité. Il faut s’intéresser à comment la ville peut cohabiter avec la nature. Et étudier sa résilience dans un monde de plus en plus artificialisé ». Pour le spécialiste d’écologie urbaine, « cette ville pourrait devenir un laboratoire de préservation des espèces sauvages ».

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Fleur made in Marseille

Lorsque l’on parle de biodiversité urbaine avec Julien Viglione, on croirait commenter la montée des marches du festival de Cannes tant il use du terme « star ». Celle des airs, des égouts, animale et végétale. Mais qui est la star locale ? Marseille a-t-elle donné naissance à une espèce ?

« Oui ! », répond-t-il avec l’enthousiasme d’un fan.

« Elle s’appelle Ophrys Massiliensis, et elle est “made in Marseille” », lance-t-il, ce qui ne manque pas de nous flatter. « C’est une petite fleur endémique provençale. La star des collines marseillaises, où on l’a découverte, même si on peut la trouver aussi ailleurs dans le sud de la France et au nord de l’Italie ».


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