Si l’année 2020 a mis à mal l’économie du pays, certains secteurs ont su tirer leur épingle du jeu. C’est en particulier le cas des cavistes, dont les chiffres de vente n’ont fait qu’augmenter grâce à l’intérêt croissant des clients pour les commerces de proximité. Les professionnels marseillais n’ont pas dérogé à la règle nationale. Reportage.
En fin de matinée, David et ses collègues sont sur le qui-vive. Entre les livraisons de bouteilles, le passage des clients, la mise en rayon… Les tâches s’enchaînent dans cette cave installée depuis près de 6 ans dans le quartier de Notre-Dame du Mont (6e). Son gérant, Éric Laurans, l’en a pourvu de plus de 500 références de vins, en provenance notamment des domaines de producteurs de la région, près de 700 en tout en comptant les spiritueux.
Labels bio, biodynamique, vins naturels… Une île aux trésors pour les amateurs que David Roume, partenaire sur la cave en tant qu’expert en sommellerie, nous fait visiter par le biais des bouteilles exposées. Domaine Saint-Bacchi trônant sur le comptoir, Vacqueyras d’un côté, domaine des Escaravailles de l’autre… Et ici, comme dans les dizaines de caves de la cité phocéenne, les affaires se portent bien.
Et pour cause, commerces de proximité dits « essentiels », les caves auront bénéficié d’une année 2020 propice à l’accueil d’une nouvelle clientèle. Davantage sensibilisés à l’économie locale et au soutien des commerçants locaux, les Français sont aujourd’hui 91% à avoir une bonne image de leurs commerces de quartiers : sécurité sanitaire (73%) ou encore vecteurs de lien social (88%) sont les principaux arguments répertoriés dans une récente étude du CGAD (Confédération générale de l’Alimentation de Détail). La traçabilité des produits (70%) et le soutien des professionnels de secteur sont quant à eux au centre des préoccupations, et qui plus est dans le domaine d’expertise des cavistes.
« Une hausse de 20 à 30% du chiffre d’affaires »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur le plan national, 48% des 702 entreprises interrogées ont communiqué sur une activité en hausse. En ce qui concerne les cavistes, ce pourcentage s’élève à 85%.
Comme leurs nombreux confrères français, l’équipe de Notre Cave du Mont a su tirer son épingle du jeu depuis le début de la crise sanitaire, à en juger par l’augmentation du chiffre d’affaires. « Ça a été très évolutif, nous explique David, attablé dans l’arrière-salle où sont exposés plusieurs tableaux d’artistes marseillais. Sur une année, nous avons augmenté de 20 à 30% nos chiffres de ventes. Ce n’est pas étonnant : nous sommes au coeur d’un quartier marseillais, donc on récupère pas mal de clients qui allaient généralement dans les bars à vins, ils font aujourd’hui leurs apéros à domicile. Certains clients ont eu un intérêt pour le cubis, pour le volume et la conservation, d’autres ont découvert notre commerce par le bouche-à-oreille, parce qu’il y a aussi un aspect conseil que l’on ne retrouve pas ailleurs ».
Créer et valoriser le réseau professionnel
Et la formule semble plaire ; car si l’aspect « conseil » est un facteur clé pour les cavistes, s’y ajoute le choix des domaines et des professionnels avec qui ils s’associent. « On se rapproche d’eux, on a notre réseau, et beaucoup nous donnent des tuyaux, ce sont des sources d’informations assez importantes qui nous permettent de proposer d’autres vins à nos clients, continue-t-il. Notre modèle est particulier, nous n’avons pas les références très connues que l’on trouve obligatoirement dans la grande distribution, on fait dans la découverte des petits vignerons, c’est avec ce réseau-là que nous voulons travailler ».
Une philosophie qui semble partagée par l’ensemble des professionnels de la filière viticole. « Ce sont ceux qui ont su créer et entretenir des liens d’honnêteté et de confiance solides avec les vignerons, mais aussi avec les consommateurs, qui s’en sortent le mieux », notait Yves Legrand, président d’honneur du Syndicat des Cavistes Professionnels, dans l’un de ses derniers éditos. La phrase, pouvant faire office d’adage, permet aujourd’hui non seulement aux cavistes mais aux domaines de réviser leur copie pour aller au plus près du consommateur.
Le manque des restaurateurs
Et bien que la tendance soit à la découverte de ces commerces de quartier, le manque lié à la fermeture des restaurants se fait sentir pour la profession. Le constat est le même sur l’ensemble du territoire. Si les chiffres d’affaires se portent globalement à la hausse, reste à parier sur la reprise des restaurateurs pour repartir du bon pied.
« Toute la chaîne est forcément impactée par ces fermetures, concède Nathalie Viet, déléguée générale du syndicat cavistes professionnels. Elles ont néanmoins contribué à un transfert au niveau de la clientèle : les personnes qui ont l’habitude d’être conseillées lors d’un dîner vont davantage se tourner vers les cavistes, et non vers la grande distribution, pour retrouver la même qualité d’échanges. En parallèle, on constate le développement chez de nombreux cavistes de rayons d’épicerie fine qui accompagnent la réunion des deux univers. Et ce qui joue beaucoup, c’est le temps. Quand il fait mauvais, ce n’est pas propice à l’ambiance des célébrations. En revanche, dans le Sud, le soleil pousse à partager de bons moments, en profitant de bonnes bouteilles ».
À la recherche de produits de qualité
Et de poursuivre : « La profession pouvait s’inquiéter sur le fait qu’il est parfois difficile d’oser entrer chez un marchand d’alcool, dont la consommation est diabolisée depuis une grosse dizaine d’années. Pourtant, elle fait partie de notre patrimoine culturel, elle est profondément intégrée à une identité du bien-vivre en France. Tous les professionnels sont contre au sens de l’addiction, mais ce n’est pas ce type d’alcool qui est consommé chez les cavistes et il ne s’adresse pas à cette clientèle. La période actuelle tend à la redécouverte des richesses de ces produits, qui sont de qualité, mais qui apportent d’autres perspectives comme l’ouverture à l’autre, la relation avec la gastronomie, le plaisir des sens… »
Redécouvrir l’univers de la gastronomie. C’est dans ce sens aussi qu’a décidé d’œuvrer Alexandre Pichon, gérant de la Cave la Joliette et membre du syndicat. En début d’après-midi, une dizaine de paniers de légumes et autres produits frais bio, livrés par l’Aixois « Paume de terre », viennent joncher la salle, installée au cœur des Docks Village. « Je propose le service de click’n’collect en m’associant avec d’autres enseignes, comme Pao Cha, qui est aussi aux Docks. Ça permet aux gens de récupérer facilement leurs produits mais aussi de découvrir la boutique et ce qu’on y propose ».
À lire aussi
Comme chez ses confrères marseillais, les étals sont remplis de toutes sortes de références, les tonneaux plongent dans l’ambiance et les charcuteries et autres fruits secs inviteraient presque à l’apéro. « Personnellement, je ne me plains pas, j’ai des clients surtout par le biais des plateformes en ligne. Parce qu’en étant situé dans un quartier d’affaires, le recours au télétravail ne nous permet pas, aujourd’hui, de faire plus de bénéfices, c’est évident. Quoiqu’il en soit, nous ne sommes pas dans la situation d’autres cavistes, situés en périphérie de la ville ou dans des zones d’activités, pour qui cela doit être plus compliqué ».
Le boom des plateformes en ligne et des formations
En effet, de nombreux sites internet répertorient désormais les caves et servent de relais pour les commerçants. Plugwine, Avenue des vins, Les Grappes, Vente directe vignerons indépendants… Autant de portes de sortie qui garantissent aux consommateurs de trouver leur bonheur, en faisant celui des cavistes et des domaines. « Nous faisons 40% de ventes en direct, 40% d’export, indique Étienne Portalis, propriétaire du Château Pradeaux, à Saint-Cyr-sur-Mer. Et nous nous apercevons que la part d’export se fait à 80% grâce aux plateformes en ligne. Il y a eu un véritable essor de la vente sur internet, avec le lancement de plusieurs plateformes qui ont cartonné et qui ont pu largement compenser les chiffres d’affaires ».
L’art du vin, comme le connaissent si bien les Français, ne cesse d’attirer. Aujourd’hui, les jeunes semblent plus nombreux à vouloir découvrir les métiers du vin. Et le terrain de jeu de la région est vaste : pas moins de 92 300 hectares de surfaces sont cultivées pour les vignes, symbole d’un ancrage culturel en Provence.
Sébastien Carle est actionnaire et cadre pour La Route des Vins, qui compte aujourd’hui 6 caves dans les Bouches-du-Rhône et 3 dans les Alpes-Maritimes. Depuis 20 ans, il impulse la dynamique de l’apprentissage et voit progresser les demandes de la part des jeunes. « Avant, nous avions plus des profils de trentenaires qui s’intéressaient à ces métiers. Aujourd’hui, nous avons davantage de jeunes adultes, dans la vingtaine. Cela s’explique par plusieurs facteurs : certains ont découvert cela pendant leurs cours et ont voulu approfondir, d’autres ont baigné dans ça depuis tout-petits avec leurs familles… Pour tous, c’est une passion. Et beaucoup n’ont pas pu se former en hôtellerie et restauration, donc ils viennent vers les cavistes. Grâce aux aides de l’État, on peut se permettre d’engager un apprenti supplémentaire dans nos équipes, on en a trois qui tournent dans chacune de nos boutiques ».
Pour se former, plusieurs parcours sont proposés dans la région : À Marseille, l’Institut de Formation en Commerce et Œnologie (IFCO) propose différents diplômes et débouchés dans l’univers de l’œnologie ; À quelques kilomètres, à Orange, le lycée viticole Orange Château Mongin prépare lui aussi à la professionnalisation des jeunes à ces différents métiers de bouche. Plus récemment, en 2018, était créé l’ICOP, institut d’œnologie et de viticulture à Aubagne, rattaché à l’établissement scolaire Cours Bastide (6e) dans son pôle de formations. La relève semble donc assurée pour conserver ce patrimoine culturel national, et qui fait la fierté des professionnels en Provence.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.