Le réseau de boulangeries solidaires Pain et Partage travaille actuellement sur la création d’un pôle alimentaire solidaire territorial et d’innovation sociétale dans les quartiers Nord de Marseille (Pastis). Pour ce projet de tiers-lieu, la halle des anciens abattoirs de Saint-Louis apparaît comme le site idéal.
Cela fait maintenant 20 ans que l’histoire de Pain et Partage s’écrit sur le territoire. La structure historique de ce réseau de boulangeries solidaires a vu le jour en 2006 dans le 15e arrondissement de la cité phocéenne. La seconde en 2016, dans le 4e.
Peu avant le confinement, Pain et Partage décide d’installer ses fours dans les quartiers Nord de Marseille. À la fois entreprise et chantier d’insertion, cet ancrage dans le nord de la ville, à proximité de l’École de la Deuxième Chance et de Campagne Lévêque, offre désormais la possibilité d’accueillir en plus grand nombre des profils venant d’horizons très différents, dans un parcours qui va de la remobilisation des personnes éloignées de l’emploi à la qualification.
100 000 pains offerts en 2020
Sur les deux boulangeries, ce sont aujourd’hui 30 équivalents temps plein qui s’activent et qui ont su se réorganiser aux premières heures de la crise sanitaire. Malgré une perte du chiffre d’affaires de 80%, la « dynamique de solidarité » ne s’est pas essoufflée. Bien au contraire.
Face aux besoins prégnants et aux sollicitations de plus en plus nombreuses, Pain et Partage a participé activement à la distribution de paniers alimentaires, à destination des plus précaires. Grâce au concours financier de partenaires, à l’instar de la Fondation de Marseille, 100 000 pains ont été offerts dans le courant de l’année 2020, principalement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
« Un projet de territoire » ambitieux autour de l’alimentation durable et solidaire
Restauration collective, associations caritatives, collectivités locales, entreprises, maisons de retraite, Crous… 120 clients du territoire, livrés au quotidien, adhèrent à la philosophie de Pain et Partage. « Il y a un besoin de retrouver de la qualité dans l’assiette, et au-delà de retrouver de l’engagement dans son acte d’achat et répondre à des aspirations sociétales. Se dire : « quand je mange du pain, je suis acteur d’une histoire » », aime à dire Samuel Mougin, co-fondateur du réseau Bou’Sol, qui vise à structurer un écosystème lié à la filière blé, farine, pains.
D’ailleurs, à l’heure où la loi Egalim (loi Agriculture et Alimentation) impose l’intégration de davantage de produits certifiés et bio dans les marchés publics, la conjoncture lui semble propice à articuler plus harmonieusement et surtout durablement « les aspirations sociétales et le cadre réglementaire ».
Pain et Partage entend porter ces changements. En être un acteur à part entière, notamment à l’échelle des quartiers « pour favoriser les dynamiques citoyennes, la coopération entre les habitants, les associations, les acteurs privés et publics, et faire émerger des projets qui favorisent l’accès à l’alimentation de qualité et la sensibilisation de manière générale à l’alimentation ».
C’est la raison pour laquelle ce déménagement dans le quartier de Saint-Louis est riche de sens. C’est un pas de plus vers un « projet de territoire » plus ambitieux. Depuis plusieurs mois, la petite équipe travaille sur la création d’un pôle d’excellence avec pour fil directeur l’alimentation durable et solidaire.
Un tiers-lieu, carrefour d’idées, de projets et de coopérations
Avec « Pastis » pour « Pôle alimentaire solidaire territorial et d’innovation sociétale », l’idée est d’ouvrir un tiers-lieu « pour héberger et accompagner des projets, être un centre de recherche, d’innovation et d’expérimentation, de formation, un lieu de vie et de coopération autour des thématiques d’alimentation et de solidarité », détaille Emma Mairel, cheffe du projet Pastis.
Un site ouvert donnant accès à des formations aux métiers de l’alimentation et agroalimentaire et au sein duquel tous les projets développés serviraient de supports d’activités favorisant l’insertion sociale et professionnelle. « Un lieu de production, pourquoi pas ? », imagine bien Samuel Mougin. Et même un incubateur de projets, mais aussi de pépites. « On a plein de personnes qui ont du potentiel et qui, pour un tas raisons, n’arrivent pas à grandir dans leurs parcours professionnel et personnel… », ajoute-t-il, « convaincu » que ce qui a été mené au sein de Pain et Partage « peut être dupliqué ».
L’entrepreneur a une idée très précise des sites qui pourraient accueillir un tel projet et pour lesquels il souhaite participer à la restauration : tout d’abord, la halle des anciens abattoirs de Saint-Louis. Le bâtiment à l’abandon, qui appartient à la Ville de Marseille, est au centre d’autres projets comme celui de la future cité du cinéma, par exemple, mais rien n’est aujourd’hui arrêté.
Samuel Mougin mise aussi sur une maison qui jouxte et appartient à l’école privée Saint-Louis. Cette bâtisse est inscrite au patrimoine historique, mais non classée. « Il existe sur ce territoire des lieux emblématiques magnifiques laissés à l’abandon. Est-ce que ce ne serait pas aux acteurs de l’économie sociale et solidaire de s’en saisir ? Soyons ambitieux sur l’aspect alimentaire pour pouvoir faire revivre ces lieux, redonner vie à ce foncier, le revaloriser », s’enthousiasme Samuel Mougin, qui aspire à faire de l’ancienne halle « l’incarnation du tiers-lieu Pastis. Ça donnerait du sens ».
Du « vrac » au lancement d’une filière de recyclage du pain
Si les discussions avec les décideurs locaux en sont à leurs prémices, Pain et Partage veut démontrer qu’il ne s’agit pas là que d’une ambition. Le réseau veut faire « la preuve par l’exemple » en déployant deux actions concrètes dans les prochaines semaines, dans la cité phocéenne.
La première est le lancement d’une initiative de vente de produits bio en vrac à prix coûtant, issus des producteurs locaux. Une démarche co-construite avec l’association « Vers un réseau d’achat en commun » – qui favorise le développement de groupements d’achats dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville – la Cité de l’agriculture, mais surtout avec les habitants. [Le détail du projet ici]
Le deuxième effet Pastis, c’est la création d’une filière du recyclage du pain. « Le pain est une denrée extrêmement périssable et les associations n’ont pas forcément le dispositif logistique pour suffisamment bien le valoriser et le distribuer. Il y a toujours un surplus et c’est une matière qui se revalorise très bien », explique Emma Mairel.
Cette filière passe ainsi par l’ouverture d’une gamme de biscuits antigaspi, distribués à l’ensemble des clients du réseau. « Nous sommes en train de formuler la recette de biscuits sucrés à partir d’une farine de pain recyclé. On est en train de réfléchir à quel pain ? Quelle quantité ? Comment le récupérer ? Par exemple, chez nos clients existants », poursuit Emma.
Ces deux initiatives permettront de créer un écosystème, sceller les premières coopérations, identifier les différents acteurs prêts à rejoindre la grande aventure Pastis « pour porter le projet avec nous, car notre vision c’est qu’il soit construit pour et par toutes ses parties prenantes dans une démarche citoyenne et inclusive », insiste Samuel Mougin. Un mélange de dynamiques, de personnalités, d’idées… Après tout, c’est bien le sens étymologique du mot « pastis ».