En juillet dernier, Mathilde Chaboche est devenue adjointe à l’urbanisme de la Ville de Marseille. À l’occasion d’un long entretien accordé début janvier, l’élue qui défend l’idée de la « ville de proximité » en opposition à celle « des grands projets », revient sur sa vision du Marseille de demain.
Les rendez-vous s’enchaînent à un rythme effréné. Pas même le temps de déjeuner. Ce jour-là, c’est dans son nouveau bureau que Mathilde Chaboche nous reçoit, au pavillon Daviel, à deux pas de la mairie. Aucun dossier sur le bureau, pas de tableau sur les murs, ni même d’objet personnel. Le bureau a été vidé il y a peu par le précédent occupant, Arnaud Drouot, nouveau directeur de cabinet du maire qui s’est installé à l’Hôtel de Ville.
Des dossiers. L’adjointe à l’urbanisme n’en manque pourtant pas. Elle en a vu arriver par centaines, en souffrance, dans des chariots de cantines lors de sa prise de fonction. Une image surréaliste qu’elle garde en mémoire. « Une expérience personnelle assez étonnante », confie-t-elle, en pesant ses mots, n’en restant pas moins critique.
La découverte de l’état « d’abandon » de l’administration « et surtout des agents » donne le tournis à cette ancienne cadre de la Mairie de Paris qui, dans la lignée du maire de Marseille, entend marquer une rupture avec la précédente mandature. « L’urbanisme a quand même été le lieu d’expression d’une forme d’élasticité et avec un rapport à la règle caricatural. Ça se sent beaucoup », juge-t-elle.
Elle note, par ailleurs, que l’alignement des bords politiques entre la Métropole et la Ville, avant la victoire du Printemps marseillais le 4 juillet dernier, « n’avait pas forcément poussé les agents au meilleur ».
« La même loi pour tout le monde crée un cadre plus égalitaire »
Dans la deuxième ville de France, souvent critiquée pour être un vaste terrain de jeu des promoteurs immobiliers, l’exigence devient la règle. Ces premiers mois ont ainsi marqué un nouveau rapport de force entre les acteurs de la construction et la municipalité, qui veut désormais s’imposer comme « chef d’orchestre », et non plus « comme simple caisse enregistreuse. Ce pouvoir d’urbanisme est très structurant pour le territoire. On va décider de ce qui va se passer pour la ville. Pour les acteurs privés, dont nous avons vraiment besoin pour construire cette ville, insiste l’élue, la Mairie était une sorte de lieu d’enregistrement des demandes de permis, d’attributions, de lieu de constats des modifications… Les promoteurs s’étaient beaucoup habitués à venir expliquer leur projet, avoir une oreille attentive, ou pas, et ensuite faire un peu comme ils l’entendaient ».
Mathilde Chaboche sonne « l’arrêt de jeu » dès le début de son mandat avec le retrait de deux délibérations en juillet concernant des projets immobiliers portés par l’équipe précédente dans les quartiers de Mazargues (9e) et Saint-Jean-du-Désert (12e).
« Des décisions fortes », juge-t-elle, à l’instar aussi du projet aux Charmerettes, dont le permis de construire a été retoqué. « Le but, ce n’est pas de refuser pour refuser, mais de ne pas prendre de décisions illégales. Force est de constater que l’année précédant les élections municipales, beaucoup de décisions ont été temporisées, c’est le cas un peu partout, semble-t-il. On a pu réorienter certains projets, donc on les a acceptés. Mais l’idée est de remettre les choses à l’endroit, faire respecter la loi et toutes les autorisations », confie cette sociologue-urbaniste de formation « extrêmement pointilleuse ».
L’intransigeance est au cœur de l’instruction des dossiers. Les agents ont pour mission de les passer au peigne fin et d’examiner scrupuleusement le volet juridique. Avec sa main de fer dans un gant de velours, Mathilde Chaboche impose sa vision, et d’après elle, sa méthode semble fonctionner. « Passé l’effet de surprise, les promoteurs apprécient le fait que je traite tout le monde de la même manière », confie l’élue, qui a « gentiment » renvoyé un Magnum de champagne à son expéditeur, et autres petits cadeaux. « En raison de liens privilégiés entre la Ville et certains acteurs de la construction, par le passé, certains se sentaient marginalisés. Le fait de dire : « maintenant la fête est finie, c’est la loi, rien que la loi, la même loi pour tout le monde » crée un cadre plus égalitaire. Il y a peut-être un côté plus rigide, mais finalement ça crée de l’équité et je pense que ça va sécuriser les investissements ».
Bientôt une charte de la construction à Marseille
Pour elle, aucun bâtisseur ne peut se priver de construire dans la deuxième ville de France. Alors l’objectif n’est pas d’aller contre eux, mais de faire avec eux. Dans ce but, symboliquement, une charte des promoteurs devrait voir le jour, d’ici à cet été, voire à la rentrée 2021. Un document en appui du règlement d’urbanisme qui marquera les grandes ambitions pour Marseille. « L’idée, c’est que cette charte définisse ce qui est souhaitable et pas seulement ce qui est possible », explique l’élue, signifiant que les acteurs de la construction « sont plutôt partants » pour élaborer ce document avec la Ville.
La charte devrait s’appuyer sur différentes orientations. Pour exemple, le sujet des pieds d’immeubles, « le grand oublié de la promotion immobilière » ou encore les surfaces minimales : « Nous sommes à un moment de civilisation où la taille moyenne des logements par typologie s’est extrêmement réduite, ce qui donne des surfaces ridicules, des T3 de 42 m2… ».
Autres axes : la création d’espaces communs, extérieurs, d’espaces verts et l’exploitation des toitures : « Dans cette ville, on a pas mal de toitures plates sur des immeubles récents ou semi-récents pas du tout exploités, c’est un potentiel de fou en termes d’espaces verts, d’espaces communs ». Elle entend également y faire figurer des enjeux sur la qualité architecturale « pour pousser vers plus de qualité », travailler sur le bâti dans le respect de l’empreinte écologique, avec notamment le choix de matériaux durables.
La question de la ventilation et l’exposition des habitations sera aussi soulevée afin de développer la construction de logements bi-orientés, permettant de mieux lutter contre la chaleur estivale.
Un permis de construire ne pourra pas être refusé au motif que les constructeurs ne respectent pas la charte, mais « l’idée c’est qu’ils jouent le jeu ». À Lyon ou Nantes, cela a apporté un « mieux-faire dans la production immobilière de ces territoires », et au-delà, un mieux vivre dans la ville.
Rattraper le retard pour « améliorer considérablement la qualité de vie »
Car « rendre la ville plus agréable au quotidien » est ce à quoi aspire Mathilde Chaboche. Elle le dit, elle ne sera pas « la femme des grands projets », parce qu’elle croit « aux petites choses de tous les jours, au patrimoine ordinaire ». Elle affectionne « le petit immeuble d’habitation, le patrimoine domestique, ce qu’il raconte, et c’est ça qui a été maltraité », dans une ville pleine de complexités.
Pour cette Marseillaise d’adoption, qui vit dans la cité phocéenne depuis une dizaine d’années, Marseille s’est construire sans véritable projet structurant autour de l’urbanisme – excepté quelques interventions symboliques – qui viennent ensuite s’inscrire dans une histoire. « Ça s’est fait beaucoup à de petites échelles qui se sont agglomérées sans une intervention pour agréger le tout. Lorsqu’on arrive d’ailleurs, on ressent très fort à quel point le tissu urbain est discontinu, à quel point les quartiers vivent les uns à côté des autres, mais pas vraiment ensemble. Il y a des tas d’endroits à Marseille où l’on ne va que si on doit s’y rendre. Du coup, c’est un territoire très difficile à appréhender par ce côté hétéroclite. Mais je pense que c’est une forme de richesse, un patrimoine original assez mal valorisé jusqu’ici et qui constitue l’identité de cette ville aussi ».
Face à ce constat, l’adjointe s’inscrit plutôt comme la femme de la réconciliation des Marseillais avec leur ville, des quartiers entre eux. Tisser. Recoudre. Mathilde Chaboche préfère « construire » la ville de la proximité, souvent appelée « ville du quart d’heure » ; et impulser « un maillage de petits projets, de petites réhabilitations, de petits lieux d’équipements publics qui viennent faire en sorte que le fait de vivre en ville et dans une grande ville ne devienne pas quelque chose que l’on subit, mais qui nous apporte ».
La préservation des terres agricoles et des espaces naturels s’inscrit pleinement dans sa vision [lire ici]. Rendre acceptable une densification urbaine harmonieuse, passe selon elle par « améliorer considérablement la qualité de vie. Si on a tous des places en crèches, des écoles à proximité et en bon état, des parcs où l’on peut aller souffler en bas de chez soi sans traverser la ville, un patrimoine et un espace public de meilleure qualité, des transports publics à niveau… Là, on acceptera mieux qu’il y ait plus de gens ». Et par là même, permettrait de mettre un frein aux recours contre des permis de construire déposés par des riverains lassés ou excédés par certains projets.
« L’urbanisme pour moi, c’est un support. Mon rôle, c’est de rendre possible l’incarnation des enjeux du programme sur lesquels on s’est engagés, y compris une densification forte en équipements publics pour lesquels nous sommes défavorablement dotés dans cette ville. Et tout devient urbanisme dès lors que ça s’inscrit dans le territoire », poursuit-elle, déjà en retard pour son prochain rendez-vous.
Les journées semblent bien trop courtes pour cette élue qui veut rattraper le temps pour façonner le Marseille de demain. « Il y a quelque chose d’assez vertigineux à aller vers ce rattrapage dans cette ville, avoue-t-elle. Mais je pense qu’il est absolument nécessaire ».
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