Après la démission de Michèle Rubirola, la semaine dernière, le socialiste Benoît Payan devient à 42 ans le nouveau maire de Marseille, le plus jeune depuis 1892. Et le 47e maire de la deuxième ville de France.
Le socialiste Benoît Payan est devenu ce matin le 47e maire de Marseille. Le Premier adjoint succède à l’écologiste Michèle Rubirola qui a démissionné de ses fonctions la semaine dernière.
Après des applaudissements nourris du Printemps marseillais et la remise de l’écharpe tricote, le nouveau maire de Marseille a prononcé un discours chargé « d’Histoire » de la cité phocéenne, pour dérouler le fil jusqu’à l’histoire du Printemps marseillais. « Un rassemblement de gens venus d’ici, des militants associatifs et de directeurs d’écoles, des chefs d’entreprises et des enfants des cités, des ouvriers et des avocats, des salariés aussi, des responsables politiques qui ont fait le choix de dépasser les étiquettes et les logiques partisanes ». Une manière d’assurer que le collectif dont il est à la tête désormais est au-dessus de tous clivages.
Et d’ajouter : « Je suis membre de ce rassemblement, d’une majorité qui défend une ville plus verte, plus juste et plus démocratique, et qui se donne deux priorités : rassembler les Marseillais en combattant les injustices, et dessiner l’horizon d’une ville durable, qui se développe avec et par ses habitants ».
Benoît Payan a réaffirmé à plusieurs reprises la « volonté de changer le destin des Marseillais », de « façon de gouverner », et sur ce qui a été le slogan de campagne, faire de Marseille une « ville plus verte, plus juste et plus démocratique ».
Rue Sainte-Françoise
Son histoire à lui, telle qu’il la raconte, c’est celle « de pauvres immigrés italiens, des babis arrivés à pieds des Alpes italiennes, des ritals débarqués en bateau de Naples, sans autre bagage que leur soif de vivre. Ils pensaient aller jusqu’en Amérique mais c’est ici, à Marseille qu’ils ont refait leur vie », non loin de l’Hôtel de Ville, rue Sainte-Françoise.
Benoît Payan est né il y a 42 ans dans le quartier de Pont-de-Vivaux. Le nouveau maire de Marseille a grandi au sein d’une famille de la classe moyenne, sa mère, agent de l’Urssaf, son père artisan-menuisier. Il fait sa scolarité dans le privé, à Pastré (9e). Passionné d’histoire, celui qui se destinait à une carrière de notaire fait finalement le choix de la politique. Un univers bien plus passionnant qu’il découvre à l’âge de 20 ans. Le cœur du militant est à cette époque-là déjà à gauche. Les injustices le hérissent.
Le 21 avril 2002 marque un tournant. Lionel Jospin est éliminé au terme du premier tour de la présidentielle au profit de Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Depuis, la gauche n’a eu de cesse de s’interroger sur cet échec qui fut un vrai séisme. Benoît Payan pousse alors la porte du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) dont il deviendra secrétaire national. Il est ensuite élu pour la première fois conseiller de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole en 2008.
Formé au Parti socialiste
Son talent reconnu, son charisme naturel lui ouvrent les portes des cabinets du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, alors présidé par le socialiste Michel Vauzelle. Ce travailleur acharné fait ses armes auprès de figures du parti au premier rang desquels Jean-Noël Guérini, ancien patron de la fédération locale et président du Conseil départemental, qu’il n’hésite pas à affronter lors des affaires.
Puis Marie-Arlette Carlotti. Il se forge une expérience aux côtés de l’ancienne députée des Bouches-du-Rhône, la suivant, en 2012, à Paris lorsqu’elle est nommée ministre déléguée aux Personnes handicapées sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Deux ans plus tard, il assiste en coulisses à la campagne socialiste fratricide des municipales de 2014. Son heure n’est pas encore arrivée. Il patiente. Avance ses pions.
En mars 2015, il forme un ticket gagnant avec Michèle Rubirola (EELV) pour les élections départementales. C’est à cette époque que démarre leur aventure commune et complice. Sauf que Benoît Payan veut rester libre. Un goût pour une liberté qui lui vaut une exclusion du bureau politique fédéral.
L’opposant numéro 1 de Jean-Claude Gaudin
Élu à la tête du groupe PS au conseil municipal l’année suivante, Benoît Payan se distingue au sein de l’hémicycle municipal par ses prises de parole. Dossiers travaillés. Discours affûtés. Formules choc. Jamais ne vacille.
L’élu s’impose au fil du temps comme le premier opposant à Jean-Claude Gaudin, dont il critique la politique tout autant qu’il admire l’homme, « l’un des derniers monuments de la politique française », le qualifiait-il le 27 janvier dernier, lors de l’ultime séance de maire LR de Marseille, après 25 ans de règne. L’élu mesure la chance d’avoir pu défier Jean-Claude Gaudin, « non pas sur son terrain favori, celui des élections, mais dans cet hémicycle », et prend même conseil auprès de lui.
Ses combats contre le PPP des écoles, la Villa Valmer, la défense du patrimoine marseillais de la ville, soldé aux promoteurs… le font remarquer. Très discret sur sa vie personnelle, préservant ses proches du tumulte de la vie politique, il déteste parler de lui, mais paradoxalement aime la lumière. Il n’hésite pas à user des réseaux sociaux pour sa communication, joue volontiers les modèles et fait la promotion de la cité phocéenne à travers des clichés.
Les débuts du Printemps marseillais
En mars 2018, Olivier Faure, nouveau patron du PS national, choisit le chef de file des socialistes au conseil municipal comme mandataire pour construire un renouveau à la tête de la fédération 13, en déclin depuis les années Guérini. C’est pour Benoît Payan aussi le début de son travail de fond pour réunir les gauches en vue des municipales qui s’annoncent historiques, Jean-Claude Gaudin décidant de ne pas briguer un nouveau mandat.
Après le drame du 5 novembre 2018, la colère gronde. La tragédie donne naissance à des collectifs citoyens qui poussent au changement. Avec son slogan « Soyons fous, rendons possible une candidature progressiste unique en 2020 », Mad Mars fait alors le pari de casser les codes de la politique traditionnelle, faire tomber les barrières entre élus et citoyens et rassembler celles et ceux qui ont envie de faire bouger les lignes à Marseille.
Une aventure semée d’embûches
La co-fondatrice Olivia Fortin y croit. C’est là les prémices du Printemps marseillais, cette grande coalition entre partis de gauche (PS, LFI, PCF, Generation.s, des membres d’EELV…), collectifs citoyens et syndicats, dont il est l’un des initiateurs. « Nous nous sommes promis avec Jean-Marc (Coppola), Olivia (Fortin), Sophie (Camard), Michèle (Rubirola) et d’autres qu’on devait se dépasser pour les Marseillais », nous confiait-il en janvier 2020.
Pourtant, l’aventure est semée d’embûches. Longtemps favori pour mener la liste, Benoît Payan était devenu une évidence, mais aussi pour certains le point de crispation de l’union des forces de gauche. Ostracisé par une partie des Insoumis, leur chef en-tête, il était aussi devenu un « prétexte », soulignent certains, pour EELV et son candidat pour ne pas rejoindre la dynamique de rassemblement enclenchée par le Printemps marseillais.
L’homme est ambitieux et ne s’en cache pas. Pourtant, il fait le choix de céder sa place à Michèle Rubirola. Femme médecin, écologiste, figure plus consensuelle pour remporter la Ville de Marseille. Élue le 4 juillet dernier, fragilisée par des problèmes de santé, elle laisse souvent la main à son premier adjoint. Elle revendique le binôme qu’elle forme avec lui. C’est lui qui assure d’ailleurs l’intérim en son absence et préside même le conseil municipal de rentrée, avec aisance.
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Sa « promesse » pour Marseille
Presque six mois plus tard, c’est Michèle Rubirola qui fait entrer Benoît Payan dans l’histoire, en donnant son feu vert pour que la deuxième ville de France se pare de rose.
Pour faire oublier son héritage socialiste au nom du collectif, Benoît Payan là encore revient sur l’Histoire : « Nous sommes les héritiers de ces milliers de femmes et d’hommes qui ont survécu aux pogroms et aux génocides, aux famines et aux guerres, à la misère et aux totalitarismes. Nous sommes les enfants des Arméniens, des Marocains, des juifs de Grèce ou d’Europe de l’Est, des Espagnols, des rapatriés, des Comoriens, des Tunisiens, des Italiens ou des Algériens. Nous sommes les descendants des oubliés de l’Histoire, des damnés de la terre, les fils et les filles de ceux qui ont trouvé dans Marseille, une survie, un espoir, une ville des possibles ».
Lui qui « connaît la maison » sait aussi les difficultés qui s’annoncent : la situation financière de la ville auxquelles s’ajoutent les crises sanitaires, sociales et économiques « dans une ville qui connaît déjà des situations de détresse profonde ». Des enjeux que le maire entend surmonter avec son équipe, parce qu’on « peut grandir ici à La Castellane et de devenir ballon d’or. Parce qu’ici, on peut découvrir la musique au Plan d’Aou, à Belsunce ou à Saint-Jean-Du-Désert et décrocher l’or et le platine… »
C’est cela pour le nouveau maire « l’identité profonde des Marseillais ». Et pour conclure sur une citation de Jean-Claude Izzo : « Marseille appartient à ceux qui y vivent ». C’est son rêve pour Marseille. « Et ma promesse ». Son vœu pour être à la hauteur de l’Histoire. De son histoire.
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