Quatre plongeurs ont exploré les grands fonds de la Méditerranée durant 28 jours lors d’une expédition exceptionnelle : « Gombessa 5 – planète Méditerranée ». Confinement extrême, records de plongée en eaux profondes, observations inédites… À la tête du projet, Laurent Ballesta nous dévoile les coulisses d’une expérience unique.

Nous vous en parlions il y a peu. Durant 4 semaines, quatre plongeurs de l’extrême on réalisé une exploration inédite des profondeurs de la Méditerranée. De Marseille à Monaco, de 60 à 144 m de fond, ils ont validé une nouvelle technique de plongée à saturation en recycleur électronique. Elle leur a permis de réaliser des observations inédites du milieu marin.

Un projet que le plongeur biologiste Laurent Ballesta porte depuis 18 ans. En avant-première du documentaire diffusé sur Arte, il nous dévoile les coulisses de cette aventure humaine et scientifique exceptionnelle.

Sourds et muets, « voix de canard », déséquilibre thermique…

Quatre personnes confinées durant 28 jours dans une station inconfortable de 5 m2 d’acier. De quoi relativiser notre confinement durant la crise sanitaire. Pour autant, Laurent Ballesta « signe demain pour recommencer l’expédition. C’était un confinement consenti, et on savait pourquoi on le faisait : découvrir un univers exceptionnel et inaccessible ». Paradoxalement, le confinement actuel lui parait moins supportable. Et ce, malgré les conditions de vie extrêmes durant près d’un mois à plus d’une centaine de mètres sous la surface.

D’abord, bien sûr : le confort et le manque d’espace. Mais il retient particulièrement les problématiques liées à l’air respiré, composé à 98 % d’hélium et 2 % d’oxygène. « L’hélium rend presque sourd et muet. En plus de donner une voix de canard, que vous connaissez tous, les sons sont absorbés. Cela donne un charabia cristallin inaudible. Il est compliqué de parler à son camarade à plus de 40 centimètres ».

Deuxième effet de l’hélium, le déséquilibre thermique : « Une différence de trois degrés devient insoutenable. D’une minute à l’autre, on a trop chaud ou trop froid. On se rend compte à quel point l’air sur terre est un super isolant. Il permet de supporter des écarts de température très larges ».

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Ici, Laurent Ballesta, dans la station bathyale avec Yanick Gentil, dit « avoir plus souffert du froid en Méditerranée qu’en Arctique à cause de l’hélium » (©Laurent Ballesta)

Redécouvrir « des endroits que je prétendais connaître »

C’étaient les conditions nécessaires pour accéder à « un univers incroyable. Comme un gâteau qu’on n’avait pas le droit de goûter jusque là », raconte ému Laurent Ballesta. Il a parcouru les fonds de la Méditerranée en large et en travers depuis 20 ans, mais n’a jamais pu faire de telles observations.

« J’ai déjà plongé à ces profondeurs, mais durant quelques minutes seulement. Là, on s’est affranchi des limites du temps ». Grâce au caisson pressurisé, à un recycleur électronique et au mélange gazeux d’hélium et d’oxygène, les quatre plongeurs on pu « sortir » six heures par jour en moyenne, durant quatre semaines.

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Ici, dans le Parc national des Calanques : « des sites tellement exotiques qu’on n’en revient toujours pas » .(©Laurent Ballesta, Expéditions Gombessa)

Le chef de l’expédition a choisi d’explorer les sites qui l’ont le plus marqué ces 20 dernières années, entre Marseille et Monaco. Dès la première sortie aux « sublimes pierres profondes du large de Riou, nous avons assisté à une énorme reproduction de calamars veinés. Un spectacle incroyable ! Et on a eu des surprises semblables tous les jours ». Les explorateurs des abysses ont redécouvert la Méditerranée, avec « des sites tellement exotiques qu’on n’en revient toujours pas. Des endroits que je prétendais connaître… »

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Reproduction de calmars veinés (©Laurent Ballesta, Expéditions Gombessa)

Des observations inédites de l’écosystème marin

Mais ils ont surtout pu faire des observations et images inédites « d’animaux, de comportements ou d’écosystèmes jamais observés ». Le barbier perroquet, la morue cuivrée, la cardine tachetée, les parades nuptiales des murènes, les accouplements et la ponte du calmar veiné… « Sans compter les écosystèmes des profondeurs. Les champs de gorgones caméléons, de sabelles, les forêts de corail noir et autres récifs coralligènes ». 

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Barbier perroquet, Callanthias ruber (©Laurent Ballesta, Expéditions Gombessa)

Les analyses des plongeurs ont notamment permis de mieux comprendre une espèce d’algue unique dans la Grande bleue : la laminaire Méditerranéenne, peu observée car vivant très profond. « On a vu de véritables forêts, sur des hectares et des hectares, c’est fou ! », lance le naturaliste des abysses.

En récoltant un individu record de 3,5 m de long à 75 mètres de fond, la taille maximale de l’espèce est revue à la hausse. La durée de vie également, avec ce prélèvement âgé de plus de trois 3 ans, alors qu’elle était estimée autour de deux ans. Le cycle de reproduction et de vie complet de l’espèce, qui était inconnu jusqu’à présent, a pu être entièrement étudié.

La Méditerranée : un « hot-spot du changement climatique »

« C’est hallucinant comme la température de l’eau est montée en surface ! », s’alarme pourtant Laurent Ballesta. Une sonde multi-paramètres a permis de mesurer des variations de 26,7 °C à 13,8 °C au plus profond. « Des températures de 2°C à 3°C supérieures à la normale », précise le communiqué de l’expédition, rappelant que la Méditerranée est un « hot-spot du changement climatique ».

Cette hausse de température provoque la prolifération d’algues filamenteuses nocives pour les autres espèces. Elles apparaissent de plus en plus tôt chaque année. « Le plus inquiétant, c’est que la couche chaude de surface s’épaissit et devient de plus en plus profonde », explique le plongeur. « À 50 mètres, on voit les dégâts des algues sur les gorgones ». Les récifs coralliens, qui vivent à température ambiante toute l’année en eau profonde, pourraient aussi en pâtir.

Des prélèvements de sédiments ont également été analysés sur six sites. Pour chacun d’eux, des valeurs supérieures au seuil de toxicité ont été observées sur les PCB. Pour rappel, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé les PCB dans le « groupe 1 » des « cancérogènes certains pour l’Homme ».

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(©Laurent Ballesta, Andromède Océanologie)

Les sites protégés : une arme de repopulation massive

Les réserves naturelles intégrales « équivalent à des têtes d’épingle en France », déplore Laurent Ballesta. Il aimerait en voir plus « car il suffit d’une dizaine d’année pour qu’elles se repeuplent au maximum, comme on peut l’observer ». Et cela bénéficie à tout le monde selon lui, « car ce repeuplement déborde de la réserve. Les pêcheurs en bordure se régalent ».

« Mais il faut une vingtaine d’année pour créer des sites protégés. Et une fois que c’est fait, c’est beaucoup plus rapide pour les agrandir ». Le plongeur biologiste cite notamment les réserves naturelles de Banyuls, Port-Crau ou Scandola. Très longues à mettre en place, leurs bénéfices écologiques sont impressionnants. « Un site protégé se régénère en moins de temps qu’il n’en faut pour le créer ».

Prochaine aventure : 15 jours sur l’épave du Natal

Les récifs artificiels semblent aussi une aubaine pour les populations marines, même lorsqu’ils sont involontairement créés. C’est le cas de l’épave du Natal, un paquebot de 130,75 m de long échoué en 1917 au large du Planier.

À 127 mètres de profondeurs, « il est devenu un récif artificiel luxuriant qui nous a bluffé. Une richesse biologique fascinante », raconte le plongeur. Une expédition dans les mêmes conditions que Gombessa 5 était prévue cet été durant 15 jours. Elle sera reportée à l’été 2021 en raison de la crise sanitaire. Rendez-vous est pris !

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(©Jordi Chias, Expéditions Gombessa)
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