A Marseille, l’ancien McDonald’s Saint-Barthélémy, fermé depuis la mi-décembre, a été réquisitionné pour servir de base logistique alimentaire. Toute une organisation a été mise en place pour aider les familles les plus précaires, dans les quartiers populaires de la cité phocéenne. Reportage.
« Semaine encore très chargée pour les résistant.es du Mcdo de Saint-Barthélémy qui ne lâchent rien ». Le message posté sur Facebook démontre toute la détermination des équipes sur place. Plus encore leur état d’esprit face à cette crise, sanitaire, sociale et économique. Ici, pas de hamburgers ou de nuggets. Juste l’essentiel, permettant à des familles défavorisées de manger à leur faim.
Depuis le 17 mars, le confinement, couplé à la diminution drastique de l’aide sociale institutionnelle, a plongé une grande partie de la population dans la précarité. Marseille et ses quartiers populaires sont touchés de plein fouet. Les initiatives solidaires se sont multipliées pour aider les plus fragiles à survivre à cette période ; et depuis quelques semaines, le McDonald’s de Saint-Barthélémy est devenu le centre névralgique de la redistribution alimentaire dans les quartiers Nord.
Une « réquisition populaire » de l’établissement, initiée par Salim Grabsi, Kamel Guémari et le Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM), soutenue par un bon nombre de structures associatives. « Une semaine après le début du confinement, j’ai été interpellé en allant faire mes courses par des connaissances qui faisaient état d’un nombre important de personnes qui n’arrivaient pas à manger à leur faim. J’ai constaté ensuite par moi-même ces problèmes dans plusieurs quartiers, confie Salim Grabsi. J’en ai discuté avec Kamel [Guémari] et les collègues du SQPM pour trouver une solution et venir en aide à la population ».
« Une réquisition citoyenne pour non-assistance à personnes en danger »
Il apparaît alors que le McDo Saint-Barthélémy, fermé pour cause de liquidation judiciaire depuis le 13 décembre 2019, dispose d’une position stratégique idéale, et qui plus est, équipé de deux chambres froides, d’une zone de stockage et de l’espace drive. « Un formidable outil central par rapport aux quartiers », reprend Salim. Il a même été question, un temps, d’installer une zone de dépistage Covid-19 sur un emplacement disponible en extérieur, avec le concours d’un laboratoire. Un projet abandonné depuis, et pour cause…
C’est par la voix de l’avocat des anciens salariés de McDo, Ralph Blindauer, qu’une demande officielle est adressée à la direction de McDo France pour une mise à disposition du lieu, le temps du confinement. Sur le papier, l’idée est séduisante, mais elle n’obtient pas le feu vert de la direction « qui ne veut plus rien avoir à faire avec les anciens salariés », poursuit Salim.
Dans ce contexte d’urgence sanitaire, « les résistants » décident d’une « réquisition citoyenne. On a entendu le discours du président de la République qui a dit que nous étions en guerre. En temps de guerre, on est souvent amenés à faire des réquisitions, car pour nous il y avait non-assistance à personnes en danger. On s’est dit : « les gens meurent de faim et on ne peut pas ne pas intervenir ». Ce n’était tout simplement pas admissible ».
Ça se passe comme ça chez « Mac’Arouna Drive »
Alors parce que la faim justifie les moyens, le McDo Saint-Barthélémy, baptisé par certains « Mac’Arouna Drive », s’est transformé en pôle logistique permettant de collecter et redistribuer les denrées, via des associations mobilisées autour de cette démarche solidaire.
Le bénévolat s’y est professionnalisé, avec l’élaboration d’un cahier des charges et d’une charte signée par les structures participantes. Une formation de deux jours a même été dispensée par Mohamed Bensaada sur les protocoles de sécurité à respecter jusqu’aux gestes barrières. « Les marins-pompiers de la caserne de Plombières sont aussi venus, ils ont fait des vérifications et nous ont même félicités. Ils nous soutiennent », assure Salim Grabsi.
Sur la porte d’entrée, l’affiche « No Covid Zone » répertorie les six règles d’or à n’oublier sous aucun prétexte. La trentaine de bénévoles, équipée de gants et de masques, effectuent des roulements toutes les six heures, de manière à ce que dix personnes seulement soient en poste à l’intérieur pour respecter les mesures de distanciation sociale.
Tous les retraits de paniers alimentaires s’effectuent par l’espace réservé habituellement au « drive » du McDo. Le « Mac’Arouna Drive », tourne de 9h à 19h tous les jours pour assurer la distribution, et de 19h à 3h du matin pour la constitution des paniers, le nettoyage des lieux et toute la mise en place pour lendemain. Les marins pompiers et depuis peu de l’Ordre de Malte viennent prêter main forte.
34 quartiers, 42 structures, 13 000 personnes aidées
Les donations proviennent de différents partenaires, principalement Emmaüs, via la Banque alimentaire, mais aussi d’associations. Vendredi13, La Caillasse, centres sociaux, associations d’Air-Bel, de paysans bio, des collectifs comme celui de Maison-Blanche, des infirmières… entre celles qui apportent les produits et celles qui les redistribuent, à ce jour 42 structures participent à cette opération solidaire et viennent en aide à 34 quartiers de la cité phocéenne. Sans oublier les particuliers. « 70% des produits, c’est de la générosité ».
Lait, café, biscuit, pâtes, riz, huile, beurre, confiture, conserves… Des produits de premières nécessités composent l’essentiel des paniers, ou plus exactement des sacs cabas de grande surface qui commencent d’ailleurs à manquer. « Nous nous sommes mis à la place des familles pour faire le panier. Il est fait pour 4 personnes, et peut monter jusqu’à 8 en prenant en compte le petit-déjeuner notamment des plus jeunes, déjeuner et dîner, donc c’est consistant », explique Salim, sans masquer son inquiétude. « La semaine qui vient de s’écouler nous avons fait plus de 2500 paniers, c’est plus de 8000 personnes, et on va sans doute arriver à 13 000 cette semaine », confie-t-il, s’activant, sans temps mort.
Le nombre de demandes va croissant et, parallèlement, ils sont nombreux en situation de détresse, à se présenter spontanément. « Ce matin [hier mercredi], nous avons distribué une centaine de colis », compte Karima, de l’association Rebondir13, dans le 15e arrondissement.
Elle a décidé de rejoindre la démarche « compte tenu du contexte sanitaire et alimentaire que connaisse les familles », et ne cache pas sa stupéfaction face à la situation : « Je suis très étonnée car nous avons beaucoup de papas, de visages tristes, défaits. C’est quelque chose que je n’ai pas vu depuis très, très, longtemps, sauf peut-être lors de l’arrivée de la vague de migrants, et même à ce moment-là, je n’ai pas vu autant de tristesse », raconte-t-elle, exprimant le fait qu’elle n’arriverait jamais à chasser de sa mémoire l’expression de ces visages.
Jusqu’aux larmes
Parfois, c’est la honte qui s’ajoute à la peine. « Certains craquent littéralement », poursuit Salim, mais là encore, « personne ne doit rester sur le bord du chemin ».
Après un petit café, une discussion pour les aider à relativiser, les orienter aussi vers les structures d’accompagnement, « bien souvent ils repartent avec le sourire », et en prime leur sac de denrées en dépannage. « C’est impossible pour nous de les laisser repartir sans rien, mais ensuite ils intègrent le circuit de livraison que font les associations ».
Tout est d’ailleurs minutieusement répertorié dans un cahier. Le nom des associations et des personnes qui reçoivent les paniers, avec leur numéro de téléphone et leur quartier afin de continuer à assurer un suivi, répondre à la demande, aux urgences… Cela a permis de mettre en lumière le cruel manque de couches pour bébés. « L’alimentaire ne peut pas aller sans l’hygiène. Et c’est très difficile de récupérer des produits d’hygiène », assure Karima, qui fait aussi le lien entre plusieurs associations pour organiser l’entraide et faire passer les messages.
« On est le paratonnerre de la misère sociale à Marseille »
Bien que le fast-food soit occupé de manière illégale, le circuit fonctionne, et aurait même pu être soutenu par la préfecture des Bouches-du-Rhône, si la direction avait donné son accord pour l’occupation temporaire. « Je comprends leur position » assure Salim, mais il juge qu’il serait mal avisé de faire fermer le lieu. « On est l’arbre qui cache la forêt. On est le paratonnerre de la misère sociale à Marseille. Bien mal leur en prend s’ils devaient tenter quoi que soit, dans ce contexte », déclare-t-il, avec calme.
Et d’ajouter que Marseille avait échappé à une vaste manifestation de la faim. « Le projet a été abandonné en raison des mesures de distanciation, mais les gens en sont-là. Tout un pan de la population est abandonné. J’aimerais que les pouvoirs publics agissent. La première des sécurités pour respecter le confinement dans ces quartiers, c’est une sécurité alimentaire ».