Ils sont médecins, infirmiers, aides-soignants… Depuis le début de la crise sanitaire, ils sont en première ligne. De manière anonyme ou non, ils témoignent de leur quotidien, inédit, où la peur de la mort est omniprésente, renforcée par le manque de moyens, mais où l’appel du devoir est bien plus fort pour sauver des vies, au péril de la leur.
Il est presque 19 heures. Dans quelques minutes, Gabriel* va prendre son service. Cela fait déjà plusieurs jours que ces longues nuits de garde à l’hôpital Nord lui donne des sueurs froides. Comme tous les personnels soignants, en ce moment, il travaille avec la peur au ventre. L’ennemi est invisible. Insidieux. Il peut frapper à tout moment. La plupart du temps, il épargne sa victime. Parfois, la malmène avec véhémence, et d’autres fois, la brutalise sans lui laisser une chance de lutter. Gabriel est un soldat monté au front. Telle est sa mission, comme des milliers d’autres blouses blanches, face au coronavirus.
Réorganisation, adaptation !
A l’accueil des urgences, ces derniers jours, le flux habituel a diminué. « Il y a moins de monde qu’en règle générale, comme tout le monde est confiné, il y a moins d’accidents, mais c’est aussi parce que l’hôpital est synonyme de maladie, donc de coronavirus. Dans ce contexte, les gens réfléchissent à deux fois avant de venir, surtout qu’il y a aussi les consignes pour d’abord contacter son médecin traitant en cas de suspicion », raconte l’infirmier.
Ils restent toutefois nombreux à se présenter avec les symptômes associés au Covid-19. Toux, fièvre, difficultés respiratoires… « en fonction du profil des patients, de leurs facteurs de risque… nous les dispatchons. Les patients sont testés et nous gardons ceux qui sont dans des cas préoccupants, en attendant d’avoir les résultats ». Comme partout, les hôpitaux réorganisent leurs services, avec la mise en place de zones spécifiques pour l’accueil des patients Covid-19.
A la réa’
A La Timone, Lisa* est au cœur de l’action. Cette élève infirmière en dernière année travaille sous la direction d’une référente, au service de réanimation, dont l’architecture a entièrement été modifiée. « La réa’ », comme l’appellent les personnels soignants a été scindée en deux : une partie, constituée de dix lits pour l’instant, pour la poursuite des soins habituels, « car bien sûr il y a des patients qui continuent à avoir des AVC, des accidents… », souligne l’infirmière. Et « dans un espace entièrement confiné, bâché », 10 autres lits sont réservés pour les malades du coronavirus.
« Une sorte de SAS de passage a été créé pour permettre au personnel soignant en charge des patients du Covid-19, de s’habiller et déshabiller sans risque de contamination » reprend l’infirmière. Et une salle de soins est désormais dédiée au Covid-19. « Les traitements sont préparés à l’extérieur, et passés à l’intérieur, à la demande ».
Un rythme intensif et des soins constants
Et c’est le même rituel pour pénétrer dans cette zone « à risque », où les équipes doivent rester 12 heures durant sans contact avec l’extérieur. Les professionnels enfilent une « sur-tenue » en papier jetable, sur leur uniforme de fonction, qui lui aussi est changé chaque jour. Puis ils s’équipent d’une sur-blouse, d’un tablier étanche, de la charlotte, lunettes, masques et gants (deux paires). « Et naturellement selon les soins à faire, ils changent le tablier, le masque, les gants… et tout ça reste à l’intérieur ».
Sur une vacation de 12 heures, 1h30 de pause pour souffler. « Ils arrivent à 6h30 pour la relève, ne peuvent sortir que 6 heures après et reprennent jusqu’à 19h-19h30, et une autre équipe prend le relais. Les patients demandent des soins lourds et longs, c’est pourquoi l’équipe change tous les jours ». Un rythme intensif. Des soins constants ! « Car les patients atteints du Covid sont intubés, souvent positionnés sur le ventre et cela nécessite des soins très particuliers, et une attention de chaque instant ».
Covid-19 ou non, tous les patients de la réa’ sont coupés du monde et de leurs proches, car toutes les visites sont désormais interdites. « Mais tous les jours, les médecins prennent le temps de contacter toutes les familles pour donner des nouvelles et assurer le suivi ».
Des équipes soudées face à l’adversité
Psychologiquement, le personnel soignant est mis à rude épreuve. « Il y a la crainte d’être contaminé, mais surtout d’être un vecteur au sein de l’hôpital et pour notre famille », reprend Gabriel de l’Hôpital nord. « Notre position est très paradoxale, entre le devoir lié à notre profession, mais aussi le devoir de protéger notre famille », poursuit Lisa.
Pour désamorcer les situations pesantes, éloigner les idées noires, les discussions entre collègues permettent parfois de « dédramatiser même dans des cas extrêmes, sinon c’est difficile de tenir », confie Gabriel. Au-delà de cette peur latente que fait régner le Covid-19, il y a « beaucoup de stress, de pression, et d’incompréhension, et de la colère aussi, notamment par rapport au matériel », raconte Lisa. « La zone Covid est limitée à deux ou trois personnels, car nous ne sommes pas suffisamment équipés ».
Manque d’équipement, afflux… les craintes de chaque jour
Il y a encore quelques jours, les masques, dont la pénurie fait polémique, étaient distribués au compte-goutte. « Une personne est responsable des masques et les distribue toutes les 3 heures ». Pas un de plus ! Tout est compté, en prévision d’un afflux de patients, auxquels tous se préparent. Car même si les annonces du gouvernement, quant à la production et distribution de masques, ont tendance à rassurer, « des camions se font braquer. C’était le cas la semaine dernière, un camion qui venait à la Timone, s’est fait braquer ça n’arrange pas les choses ».
Malgré la situation, pour rebooster les troupes, l’entraide est de rigueur. Déjà très soudés en temps normal, les soignants du service de réanimation sont encore plus à l’écoute des uns des autres. « Tout le monde est solidaire, personne ne se plaint. Nous aussi, les élèves, nous sommes sollicités. On aide de la meilleure manière possible », raconte l’infirmière, qui ne se sent pas en danger dans son service.
« Je ne veux pas vivre avec cette psychose, sinon je ne vis plus ! »
Toutes les précautions sont prises, et « sans mentir, on se lave les mains au moins 100 fois par jour, avec du gel hydroalcoolique, même s’il se faire rare aussi. On prend aussi toutes les précautions avant de sortir. En rentrant chez moi, je ne croise personne. Je vais directement dans la salle de bain. Mais je ne veux pas vivre avec cette psychose, sinon je ne vis plus ! Mon mari est très compréhensif et n’ajoute pas à la difficulté ».
Aujourd’hui, une crainte domine : celle de ne pas être en mesure de répondre à la vague de patients estimée dans les prochains jours. « Surtout si nous ne sommes pas équipés correctement. Ça risque d’être plus compliqué et nécessitera des ajustements d’organisation », assure une autre infirmière de la Timone.
Les étudiants totalement engagés mais…
Pour venir renforcer les hôpitaux publics face à la crise sanitaire, les cliniques privées sont aussi mobilisées. Là encore, « les masques ont été gardées en prévision du pic », assure Ludovic*. Aide-soignant à la Résidence du parc, depuis plusieurs jours, il prépare l’établissement pour l’arrivée de malades hors covid-19, mais il peut-être réquisitionné dans d’autres hôpitaux de l’AP-HM. « On veut être présent, participer, mais le manque de visibilité et de matériel est préoccupant, d’autant qu’il y a aussi une problématique sur notre statut en tant qu’étudiants, assure le jeune homme.
« Le plan blanc prévoit la réquisition des élèves sur volontariat, là nous le sommes d’office. Et dans ce contexte c’est totalement compréhensible, mais cela empêche certains de faire des vacations rémunérées. Il faudrait que ça soit plus cadré et que dans ce contexte de crise nous puissions être rémunérés un minimum, car nous ne sommes plus dans un cadre d’apprentissage pédagogique », estime-t-il.
Le boom des téléconsultations
Autre cadre et nouvelle organisation. La médecine libérale s’adapte aussi. La période de confinement a fait exploser la télémédecine, que les Français utilisaient encore timidement. Le docteur Frédérique Lavit, qui exerce dans le 4e arrondissement de Marseille, a vu le nombre de consultations en ligne augmenter considérablement. « Ça permet de respecter le confinement. Cela offre aussi un confort aux gens, même si parfois ils viennent car il y a des signes qu’ils jugent inquiétants ».
Dans le même temps, son activité a baissé, même si le cabinet reste ouvert et s’est adapté, avec un agencement des locaux. « Le transfert d’appel a été fait pour que la secrétaire puisse être en télétravail. » Un premier filtre s’effectue par téléphone ou même via Doctolib, puisque que le motif pour lequel le patient vient consulter est inscrit ; ce qui permet de répartir les patients potentiellement porteurs, et les autres. « La salle d’attente habituelle est désormais dédiée aux patients avec suspicion de covid-19. Nous avons retiré tous les magazines, les tables, et mis les chaises à distance de sécurité les unes des autres, il y en a donc moins. Un autre lieu, juste à l’entrée, est réservé aux autres patients. Et les gens sont d’ailleurs assez disciplinés », explique le docteur.
« Un surcroît d’hygiène indispensable »
Le rendez-vous est lui aussi soumis à de grandes mesures de précautions. « Avant l’osculation, le patient se lave les mains avec la solution hydroalcoolique et même après, et moi aussi bien sûr. C’est le rituel impératif. Et bien sûr je porte un masque », explique le médecin. « D’ailleurs après plusieurs utilisations du gel, je me lave les mains avec de l’eau et du savon ».
Le nettoyage – pas seulement des mains – fait aussi partie de son quotidien. « Maintenant, je passe mon temps à nettoyer les poignées de porte, chaises, les écrans, clavier, etc… c’est plusieurs fois par jour. Il y a un surcroît d’hygiène indispensable. C’est drastique ». Frédérique Lavit ne voit plus sa famille depuis le début de confinement, car précise-t-elle, on peut être « porteur sain et je ne veux pas leur faire courir de risques ».
Les soignants en première ligne, à l’hôpital ou en libéral, sont devenus des héros de cette guerre sanitaire sans précédent. Chaque soir, à 20 heures, un hommage leur est d’ailleurs rendu aux fenêtres. Les applaudissements fusent pendant de longues minutes, aux quatre coins de l’hexagone. Des héros dont le souhait est de disposer « des bonnes armes, pour tous, sans restriction, pour se protéger et mettre définitivement ce virus hors d’état de nuire ».
A toutes ces femmes et ces hommes en blanc « merci ». Cinq petites lettres pour une somme de courage, de conscience et d’abnégation. Mais un mot qui ne sera sans doute jamais assez fort pour un tel engagement !
*les prénoms ont été changés, les infirmiers préférant garder l’anonymat en raison du contexte de crise, et pour certains de leur statut d’élèves réquisitionnés.