Sans-abri ou sans revenu, les plus précaires sont en première ligne de la crise sanitaire causée par l’épidémie de Covid-19. Ils peuvent cependant compter sur une mobilisation exceptionnelle des travailleurs sociaux, bénévoles et citoyens à Marseille, malgré les conditions très compliquées.
Le confinement : un concept bien étrange pour les plus précaires d’entre nous. Alors que les rues de Marseille se vident progressivement, une partie de la population reste dehors. Ce n’est pas un choix, ni une légèreté face aux consignes sanitaires, mais bien une fatalité pour les sans-abri. La précarité est également alimentaire. Quand certains d’entre-nous s’alarment des quelques rayons vides dans les magasins, d’autres ne passent même pas la porte, ou très rarement, faute de moyens.
Emmaüs, la Croix-Rouge, le Secours Populaire, les Restos du Coeur, l’Armée du Salut, SOS Solidarités… Voilà pour les plus connues des structures de solidarité. Autour d’elles gravitent une myriade de petites associations qui luttent sur le terrain, chaque jour et en toute période, pour fournir des repas et des toits à ceux qui n’en ont pas.
Aujourd’hui plus que jamais, alors que les conditions liées à la crise sanitaire rendent leur action extrêmement difficile, elles sont, avec les services de santé, en première ligne de « la guerre » contre le coronavirus.
Les oubliés ?
« On parle beaucoup des hôpitaux, et c’est évidemment eux qui sont en première ligne. Mais nous sommes sur le front dans une crise inédite, et nous avons pour l’instant avons très peu de soutien, que ce soit médiatique ou public », constate Marc Khouri, directeur adjoint de l’association Maison de la jeune fille.
La structure héberge 260 personnes dans cinq établissements du centre-ville de Marseille. « Nous sommes en situation de gestion de crise permanente, et ça s’inscrit dans la durée ».
L’hébergement d’urgence en difficulté
Première des galères dans l’hébergement d’urgence : faire respecter les consignes sanitaires. Gestes barrières, contacts minimum, confinement et gestion des malades : le défi est immense pour les travailleurs sociaux. « Masques, gants, tenues jetables, gel hydroalcoolique… Nous n’avons toujours pas reçu de matériel de base promis par l’État pour protéger nos salariés et les hébergés ». Même son de cloche dans les autres structures. En attendant, c’est la débrouille : « C’est dans notre ADN, on trouve des solutions, on fait appel à la solidarité, on s’organise. Les équipes sont très engagées et aucun des 60 salariés n’a préféré chez lui ».
Mais la situation semble plus compliquée pour les grands centres d’hébergement d’urgence, à la Madrague ou à Saint-Louis. Marc Khouri parle aux nom de ses confrères, en situation de crise, donc difficilement joignables : « Nous faisons majoritairement de l’hébergement individuel, ce qui facilité la tâche, mais eux sont de grandes structures d’hébergement collectif, c’est ingérable sanitairement ».
Le ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie assure ce mercredi matin : « nous travaillons avec des associations, des collectivités et des entreprises pour identifier de solutions d’hébergement supplémentaires, dans des équipements publics, des hôtels ou des bâtiments devenus vacants du fait de la crise sanitaire ou pour appuyer la distribution de denrées alimentaires ».
« Réinventer la solidarité en temps de crise »
Jocelyne Bresson dirige de la résidence William Booth pour l’Armée du salut à Félix Pyat. « On est épuisé, en grande difficulté, mais on arrive à maintenir nos services, personne n’a quitté le navire. On a dû s’adapter, tout réorganiser ».
« Même les hébergés nous aident », poursuit-t-elle, « pour le ménage par exemple, alors que les entreprises de nettoyage sont à l’arrêt. D’anciens salariés proposent leur aide aussi. C’est un élan extraordinaire, on est en train de réinventer la solidarité en temps de crise ».
La distribution alimentaire relève le défi
Ici, la distribution alimentaire se poursuit chaque jour, mais à l’extérieur, et avec des repas froids. Alors que tous les espaces collectifs sont fermés, seuls les hébergés continuent d’utiliser la cafétéria par groupes de dix personnes, afin de respecter les distances de sécurité.
« Les établissements fermés comme les écoles et le facs nous font parvenir leurs stocks de denrées. Nous, on a reçu ceux du CROUS de Luminy », explique Jocelyne.
Pas de panique non plus du côté du Secours Populaire, qui nourrit 18 000 familles dans le département, dont 10 000 à Marseille. « Sur l’approvisionnement alimentaire, pour l’instant, la chaîne se maintient bien, même si la demande a un peu augmenté avec la crise », précise Sonia Serra, présidente départementale de l’association. « On manque de quelques denrées, comme le lait, mais on a de quoi voir venir pour les trois prochains mois ».
Elle se veut également rassurante au sujet du squat de Saint-Just, qui héberge des mineurs isolés. Alors que, sur place, des travailleurs sociaux sont en grande difficultés et s’inquiètent, elle assure « qu’il sera bien approvisionné ».
Du côté des Restos du cœur, la crise tombe au plus mal. L’association avait coupé ses activités pour deux semaines, comme chaque année en intersaison. « On fait tout pour relancer les distributions au plus vite », explique le président régional, Michel Rodi. « Une partie des 42 points du département réouvrira dans les prochains jours, et les autres aussi, progressivement ».
Si l’approvisionnement alimentaire est assuré, celui de la main d’oeuvre est fragilisé. « Il faut non-seulement s’organiser dans l’urgence pour une relance anticipée, mais il manque aussi de bénévoles, car beaucoup sont des personnes âgées qui doivent rester en sécurité ».
Mobilisation générale
Toutes ces structures lancent un appel aux citoyens en bonne santé pour palier à la baisse des effectifs durant la crise. Alors que l’enseignement ainsi qu’une grande partie des entreprises sont à l’arrêt, de nombreux jeunes et travailleurs sont libres et commencent déjà à prêter main forte.
Comme Jean-Yves, arrivé ce matin pour assurer la manutention des stocks alimentaires du Secours populaire. Le cinquantenaire, dirigeant d’un bureau d’études, n’est pas un habitué du bénévolat solidaire. « Je poursuis mon boulot chez moi, mais je peux aménager mes horaires, et bosser la nuit. On m’a envoyé une capture d’écran de l’appel aux bénévoles, et me voilà à mettre des cartons de nourriture à l’abri des rats ! C’était une évidence de filer un coup de main. »
Il fait partie de la vingtaine de nouveaux bénévoles qui ont rejoint les rangs du Secours populaire ces derniers jours. « La solidarité nous dépasse nous-mêmes », explique Sonia Serra. « C’est vrai qu’il y a de la peur et de la panique, mais ça développe l’esprit de solidarité. Il faut faire de cette catastrophe une force, et s’en servir pour améliorer le monde ».