Inverser la tendance en réinventant la manière de faire de la politique. À quatre mois des élections municipales, le Pacte Démocratique, créé fin août à Marseille, veut être le porte-voix des citoyens. Objectif : redessiner une ville qui leur ressemble. Reportage.
10 heures. Samedi 16 novembre. Laurence et Thérèse, comme une cinquantaine d’autres personnes, discutent à quelques mètres du bar le Petit Nice et du mur de La Plaine. Café et Bretzels pour se réchauffer en attendant que tout soit installé. Les membres du Pacte Démocratique tiennent ici leur assemblée citoyenne, comme depuis le début du mois de novembre. Thérèse habite le 5e. Elle est venue « pour essayer d’y voir plus clair sur ce qui se passe entre le Pacte Démocratique et le Printemps Marseillais ».
Il y a quelques semaines, les deux entités qui prônent une liste unitaire pour le scrutin de mars 2020 avaient pris leurs distances. « Une partie bloquante du Printemps Marseillais [constitué majoritairement d’organisations politiques de gauche et citoyens, ndlr] ne souhaite pas la participation des mouvements sociaux locaux et des assemblées citoyennes à un processus électoral », regrettait le Pacte, mouvement citoyen, officiellement né fin août avec un texte fondateur, à la suite des Etats généraux.
Cinq propositions formulées le 16 septembre n’avaient pas reçu de réponse. « Un refus » de trouver des solutions pour une convergence « digne et respectueuse entre toute la gauche, les écologistes, et les mouvements citoyens », estimait le Pacte. Depuis, le dialogue est renoué, mais en privilégiant les discussions bilatérales avec chaque organisation pour prendre le temps de comprendre les attentes et trouver des solutions aux blocages. « Et c’est une bonne chose », pour les Marseillais comme Laurence, qui « ont envie de passer à un autre schéma, de construire une liste citoyenne, surtout que sur le fond, tout le monde est d’accord », confie la Marseillaise.
Thérèse, elle, ne veut pas croire en l’échec d’un rassemblement populaire : « S’ils n’y arrivent pas, ça veut dire qu’on y arrivera jamais, et c’est à désespérer de tout. Dans ce cas-là, moi, je ne voterai pas, car aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de voter, il s’agit de changer un système ».
Une méthode plurielle pour un enjeu commun
C’est bien dans cette logique que s’inscrit le Pacte, impulsant sa propre méthode, dont le socle repose principalement sur l’engagement et les valeurs citoyennes. Lors de leur déclaration de candidature le 29 octobre, ils annonçaient être « collectivement, candidat-es à transformer Marseille, dans et hors du conseil municipal. Nous sommes candidat-es à imaginer de nouveaux horizons, des espoirs concrets, à faire la ville collectivement ».
Alors ensemble, ils échangent, proposent, notent les idées, les rediscutent… Dans un café, sur une place, un espace… Comme ce jour-là à la Plaine. « Il faut changer la culture politique de la ville, se remettre à parler politique sur la place publique », explique Charlotte Juin, une des membres actives, attablée au Bar du Peuple, un clin d’œil au premier café citoyen organisé entre ces murs.
Dans chaque secteur de la ville, une manière adaptée de mener ces ateliers de réflexions, se calquant ainsi sur les spécificités des secteurs. À chaque fois, de grandes feuilles blanches sont noircies des propositions des habitants, parce que « c’est la manière dont un programme citoyen se construit ».
Côté gouvernance, les décisions sont prises en coordination avec un référent par arrondissement, et validées en assemblée générale, fidèles à l’idée originelle du « pacte » qui s’est d’abord bâti sur « cet engagement mutuel entre nous », explique Kevin Vacher, l’une des chevilles ouvrières.
« Si on y va séparés, on est mort ! »
Après le drame du 5 novembre, le jeune sociologue, de toutes les luttes, a été mis en lumière médiatiquement. La veille de cet événement tragique, il était sur le point de faire ses valises. Il préparait depuis quelques mois, une nouvelle aventure professionnelle dans une autre ville méditerranéenne.
Les effondrements des immeubles rue d’Aubagne sont venus tout bouleverser. « Je me suis dit qu’il m’était impossible de partir, que ma place était ici et nul part ailleurs. Un ami d’Aubagne m’a dit que le 5 novembre 2018, il était devenu Marseillais. Eh bien beaucoup partagent ce sentiment, et avec, l’espoir d’un changement. »
Comme d’autres, il travaille activement à la liste d’union populaire. La réunion de conciliation organisée par Jean-Luc Mélenchon avec toutes les parties prenantes d’une liste d’opposition, a débouché sur la tenue de « points de rencontre » portant sur trois axes : le programme, l’implication des citoyens et le processus de désignation des candidats. « Le bilan est plutôt positif », expliquait samedi Cécile Baron du collectif des écoles de Marseille, et membre du Pacte. « Je ne dirais pas que c’est gagné, loin de là, mais des abcès ont été crevés. Il faut continuer, retrouver d’autres façons de travailler ensemble », même si vis-à-vis d’EELV, elle est « très en colère », avoue-t-elle. « C’est pour moi, davantage une opération de com’ et d’égos, alors que nous avions tout de chaque côté, y compris avec le Printemps, pour fusionner de manière naturelle ».
Même constat pour Laurence, plus dure encore à l’égard des Verts : « partir, c’est ne rien comprendre aux enjeux locaux. C’est un prétexte carriériste », lâche-t-elle, tandis qu’une autre dans son intervention au micro lance : « si on y va séparés, on est mort ! ».
La démarche qui consiste à trouver un consensus demande « une certaine souplesse », souligne Kevin, précisant que les échanges sont aussi en cours avec le pôle écologiste et les syndicats CGT et Solidaires. « Ça va plutôt dans le bon sens ». Puis, il ajoute : « Ce que les partis politiques ont intégré partiellement, c’est qu’ici le contexte social est différent, donc on ne peut pas utiliser le même schéma ».
Le Pacte veut inverser la tendance : « ce n’est pas aux politiques et dirigeants de faire le programme et ensuite appeler les citoyens à voter pour eux. Nous on veut faire dans l’autre sens, que ça parte du citoyen ».
La « slow politique » au service de l’efficacité
Il est conscient de l’impatience et des fortes attentes qui pèsent sur cette démarche inédite, mais estime aussi que ce temps était nécessaire pour mettre en place un meccano efficace. Aujourd’hui, le Pacte veut mettre un coup d’accélérateur, notamment sur la désignation des têtes de liste. « On veut aller vite, à condition que ce soit transparent ».
Eux défendent une liste issue à 50 % de la société civile et un fonctionnement en binôme : « On veut dépersonnaliser tout ça, on ne vote pas au mieux coiffé ou au sourire », reprend Charlotte. « Et on ne veut pas non plus tomber dans la tambouille politique, être sur les listes pour faire joli. Je comprends que ce soit difficile à entendre pour les partis politiques traditionnels, mais nous ne sommes pas des pions dans un échiquier politicien ».
Alors que l’échéance se rapproche, le Pacte a également proposé à ses partenaires une journée de travail intensive pour arriver à faire émerger les personnes qui porteront les listes. La plateforme en ligne permet également de déposer sa candidature.
Le 14 décembre, un festival démocratique et citoyen sera l’occasion de faire la restitution du travail réalisé au sein des commissions et assemblées citoyennes. Une journée pour élaborer la première délibération du futur conseil municipal, cadrant son fonctionnement. « C’est vrai que nous ne sommes pas des professionnels de la politique, mais chez nous aussi il y a des experts. Il faut faire confiance aux Marseillais, et surtout leur redonner confiance en eux, pour reprendre leur destin en main. Ils le méritent », insiste Charlotte, souvent surnommée « l’utopiste ».
Mais qu’importe, elle y croit. Et plus encore en « l’intelligence collective. Notre programme n’aura pas de point final car il se construit au fil d’une mandature. Nous continuerons à travailler de manière collective, et ça fonctionnera mieux ». Comme une grande école de la politique où tout le monde est professeur et élève à la fois.
Au Bar du Peuple, Kevin salue un ami,Kamel Guemari, leader syndical du Mc Do Sainte-Marthe qui après quelques mots lâche : « À cœur vaillant rien d’impossible », comme un parfait résumé de l’histoire qui s’écrit dans la cité phocéenne, où l’union populaire cherche à réussir l’impossible.