Une dizaine de jeunes du quartier Félix-Pyat se prépare pour le concours d’éloquence organisé par Impact Jeunes, début juillet. Un défi pour lequel ils s’enthousiasment tout autant qu’ils l’appréhendent. Mais parce que leurs voix comptent, ils iront jusqu’au bout. Reportage.

Il y a de l’ambiance ce mardi soir, au centre social Saint-Mauron à Félix-Pyat. Des éclats de rires, des échanges amicaux, des ateliers… Le tout au rythme des allées et venues. Comme souvent, le lieu est animé. Quelques jeunes se sont installés dans une salle du premier étage. Un petit groupe prêt à vivre une expérience inoubliable, et pour certains inédite. Tous ont décidé de relever un défi : participer au concours d’éloquence organisé par Impact Jeunes*, au début du mois de juillet.

Ce soir-là, c’est la première rencontre avec Sylvie, Tibo et Lucie, le trio de coachs durant ces prochaines semaines. Ils sont membres des associations marseillaises BA.balex et La Mèche. Toutes deux ont une approche d’éducation populaire, l’une par l’accès juridique, l’autre via la formation et l’accompagnement entre autres. Ce n’est pas la première fois qu’ils donnent de leur temps. L’année dernière, ils ont vécu des « moments incroyables », confie Sylvie. « On a vu les jeunes prendre confiance en eux. Ils ont beaucoup progressé et ont compris l’importance de la parole », confie-t-elle.

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Sylvie, de l’association BA.balex à l’occasion de la première rencontre de groupe au centre social Saint-Mauron à Félix-Pyat.

« A haute voix » 

Dans la salle, la configuration vient de changer. Les tables sont reléguées au fond. Les jeunes s’installent sur les chaises placées en cercle, d’autres préfèrent s’asseoir sur les bureaux. Les présentations passées, débute le premier exercice, histoire de se familiariser avec l’équipe, et commencer à se libérer. Le jeu est simple. Une sorte de chaise musicale où chacun lance une phrase de son choix commençant par ces mots : « tous ceux qui comme moi… » Puis, si cette affirmation les concernent, ils se lèvent pour rejoindre une autre place. Ça se bouscule parfois  ▶ et forcément les rires sont au rendez-vous.

Déjà plus en confiance, les jeunes se détendent lentement. Pour les mettre encore un peu plus dans le bain, et découvrir les joies de l’éloquence, cette première séance est marquée par le visionnage de séquences du film À voix haute. Le long-métrage a été tourné il y a deux ans, à l’Université de Saint-Denis, à l’occasion du concours « Eloquentia », qui vise à élire le meilleur orateur du 93. Le film montre tout le travail préparatoire des étudiants entraînés par des professionnels (avocats, slameurs, metteurs en scène…) et se termine par une « battle » ▶ opposant les deux finalistes.

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Les jeunes sont attentifs à l’occasion du visionnage des différentes séquences du film « A haute voix ».

Le plaisir avant tout

Quelques extraits plus tard, l’un des futurs orateurs du groupe lâche « c’est trop chauuud ! », scotché par la qualité des prestations auxquelles il vient d’assister. Sylvie intervient d’emblée : « C’est impressionnant, mais c’est trop bien en même temps ». Puis elle rassure : « On n’est pas obligé de parler exactement comme ça, mais l’idée c’est d’aller vers ça. Mais le plus important, c’est avant tout de prendre du plaisir à dire quelque chose que vous avez envie de dire, mais il faudra quand même un peu bosser », prévient-elle avec le sourire, avant de se tourner vers les anciens.

Parmi eux, Mohamed Ousseini, ambassadeur d’Unis-Cité cette année. Il a remporté le concours de l’éloquence l’année dernière. Il faut dire qu’en plus de sa bonne humeur communicative, Mohamed est plutôt un tchatcheur né. « Rien n’est imposé ici », explique-t-il. « Si tu as quelque chose à dire, c’est le moment. Pendant le temps où tu aura la parole, personne ne pourra ▶ t’arrêter ».

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Mohamed Ousseini a remporté l’édition 2018 du concours de l’éloquence organisée par Impact Jeunes. Il vient prodiguer ses conseils aux participants du concours 2019.

Liberté, créativité, imagination… l’expression est complètement libre, « mais par contre, il faut que ça nous donne envie d’écouter », poursuit Sylvie. Et pour ça, il faut nourrir le sujet. Sur les onze séances prévues avant le jour-J, quatre sessions seront consacrées au travail du texte, avec la recherche d’arguments pour le muscler, l’enrichir. En 2018, Mohamed avait choisi d’évoquer les violences faites aux femmes. Le jeune homme avait ainsi exprimé ce qu’il ressentait, « mais est aussi allé chercher des chiffres, ça donne de la matière… », ajoute-t-elle.

L’art de sculpter les mots

Et pour rendre leur prestation convaincante et percutante, la prise de parole en public passe nécessairement par la maîtrise corporelle. « On va vous donner des petites astuces, des techniques… Vous allez faire des exerces de théâtre pour vous améliorer, c’est pour ça que les entraînements sont importants », reprend Mohamed, incitant ses camarades à être sérieux dans leur démarche.

Et Lucie d’ajouter : « Si personne n’a fait de théâtre, ce n’est pas du tout grave. Il n’y a pas de niveau de base obligatoire. L’année dernière, il y a eu des évolutions de malade », raconte-t-elle, « parce que le texte c’est quelque chose que tu vas répéter, t’entraîner à dire, à l’articuler… »

Au fil de ces semaines, les jeunes vont ainsi prendre le temps de « manger », sculpter leurs mots, tout en utilisant le langage corporel. Si aucun thème n’est imposé, les coachs aimeraient que le cadre soit toutefois celui de la liberté ou des droits fondamentaux : éducation, santé, environnement… « à l’intérieur de ça, c’est free », lance Sylvie. Une chanson, de la poésie, du slam… « c’est aussi tout à fait possible de mettre en scène un dialogue, par exemple, ce qui est important c’est que vous ayez quelque chose à dire ».

« Monter sur scène, c’est déjà gagner »

Eli, dont c’est la première participation, est ravi. « Ça donne vraiment envie de s’investir, de s’exprimer, de casser ses limites, ses barrières et de se donner des perspectives et s’améliorer soit même ». Si d’autres se donnent le temps de la réflexion, à seulement 18 ans, lui, a déjà une idée du sujet qu’il aimerait traiter : « l’amour sous toutes ses formes, parce que c’est quelque chose de fort, de profond, et quand on parle d’amour on parle aussi de haine. Ça peut aller de pourquoi on ressent du mépris pour un SDF alors qu’il ne le mérite pas, ou à l’amour que l’on porte à notre famille. J’ai envie de creuser dans ce sens ».

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Eli, ravi de participer à ce concours, a décidé de plancher sur le thème de l’amour.

Ce qui est certain, c’est que ce groupe va évoluer dans « la bienveillance, l’écoute et la solidarité », les maîtres-mots de cette aventure collective. Tous pourront participer au concours, et trois d’entre eux seront sélectionnés par un jury, selon différents critères et recevront des récompenses, dont personne ne veut souffler mot pour l’instant. Ils sont tous motivés et prêts à travailler dur. Pour ces jeunes de Félix-Pyat, qu’importe le prix, « monter sur scène, c’est déjà gagner ».

Qu’est-ce que le programme Impact Jeunes ?
Le programme Impact Jeunes est expérimenté depuis mars 2017, à l’échelle de trois quartiers prioritaires des Bouches-du-Rhône : Parc Bellevue – Saint-Mauront (3e arrondissement), Les Lauriers – Les Oliviers (13e) et à Tarascon. La démarche innovante, portée par les Apprentis d’Auteuil, déploie une nouvelle méthodologie d’implantation sur le territoire. Celle-ci consiste à aller vers les jeunes, travailler avec les acteurs locaux et avec les entreprises pour trouver à la fois une solution globale et sur-mesure à chaque situation. Une méthode hyper-cibléequi s’inspire de la Harlem Children’s Zone impulsée dans les quartiers nord new-yorkais, il y a quelques années. Le principe est d’aller à la rencontre des jeunes, bloc par bloc, et de trouver une solution à tous, l’effet de contagion positive permettant d’inverser la spirale du chômage dans les quartiers.

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