Longtemps amorphe, la vie nocturne marseillaise semble s’être réveillée à la faveur de sa nomination comme Capitale Européenne de la Culture en 2013. Depuis, de nombreux lieux ont ouvert et de nouveaux quartiers ont émergé. Sans toutefois parvenir à dessiner les contours d’une véritable identité nocturne marseillaise.
Pour comprendre la vie nocturne marseillaise, il faut connaître les spécificités de la ville. Et d’abord sa taille, son étendue (plus de deux fois plus grande que la commune de Paris par exemple). Ainsi, quand il s’agit de festoyer, il n’existe pas à proprement parler de centre-ville mais plutôt plusieurs petits « spots» de fêtards parfois proches, souvent distants les uns des autres.
Du littoral sud, de la Corniche à la Joliette, en passant par le quartier de la Belle de Mai, certains lieux de nuits se retrouvent éloignés de plusieurs kilomètres. Reste la centralité festive de Marseille, dans le grand centre-ville, où se retrouvent l’immense majorité des établissements de nuit, et qui part du haut de la rue Sainte, côté Saint-Victor jusqu’à la Plaine en passant par le Vieux-Port, le Cours d’Estienne d’Orves ou l’Opéra. Mais cet axe de nuit, pourtant presque dans la continuité, reste assez mal balisé : un véritable casse-tête pour les touristes ou les nouveaux venus qui ne savent pas vraiment où aller.
Vient ensuite la question de la mobilité qui continue de poser problème. Jusqu’en 2013, le métro marseillais arrêtait son service, en semaine, à 22h30. Aujourd’hui, l’amplitude horaire s’est élargie mais reste faible comparé à celle de Paris ou d’autres villes européennes. À titre d’exemple, le week-end le métro marseillais roule jusqu’à 00h30, contre 1h30 pour celui de la capitale. A Barcelone ou Berlin, le métro fonctionne toute la nuit pendant les weekends. Marseille ne possède pas de ligne de bus de nuit après 1h du matin, comme cela est le cas à Paris ou à Lyon par exemple. Le recours à la voiture individuelle ou au taxi devient donc presque obligatoire pour se déplacer de nuit dans la ville.
Pour une fête apaisée
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Marseille n’a jamais été une ville très festive, à la vie nocturne très affirmée. Le Marseillais jouit toujours d’une réputation peu flatteuse de casanier qui sort en bas de chez lui pour l’apéritif que lorsque les beaux jours reviennent. C’est un cliché qui a la vie dure et qui va de paire avec celui qui concerne directement la ville : Marseille serait sale et dangereuse. On ne peut évidemment pas réduire la deuxième ville de France à ces quelques idées reçues, mais il est vrai que pendant longtemps, les rues de la ville étaient désertes après 22h30. « Il y a un réel manque à Marseille même si les choses semblent s’améliorer», nous explique Gari Greu, membre des Massilia Sound System et expert de la nuit marseillaise depuis 30 ans, « c’était pire dans les années 70 et 80, ensuite, il y a eu un gros coup de boost dans les années 90 grâce au Hip-hop, puis c’est retombé».
Le bar de quartier a toujours fait partie de l’ADN de la vie nocturne marseillaise. Il existe des dizaines d’établissements socio-culturels dans la ville. « Il y a tellement de bars, de lieux culturels», renchérit Gari Greu, « avec un peu de bonne volonté on pourrait devenir Barcelone en cinq minutes… mais c’est compliqué aujourd’hui, les jeunes qui ont des idées n’ont pas forcément les moyens d’investir dans les infrastructures pour être dans les règles». De son côté, il déclare « ne rien attendre de la ville ou de la région», mais aimerait qu’un quartier rouge soit labellisé à Marseille, «spécifiquement pour faire la fête».
Parmi les nombreux établissements de la ville, certains se retrouvent dans le collimateur des pouvoirs publics qui leur mettent des amendes ou les menacent de fermeture administrative. « Je suis obligé d’anticiper les fermetures administratives dans mon bilan annuel», explique Manu Mendez, gérant du Longchamp Palace lors des Etats Généraux de la nuit organisés par La Nuit Magazine, « l’établissement ferme une semaine par an en moyenne et pourtant nous avons fait en sorte de respecter la réglementation…du coup, j’ai décidé de n’organiser plus aucun événement pour minimiser les risques de fermeture.»
Il faut dire que les riverains du centre-ville (près du Vieux-Port et vers le quartier du Cours Julien notamment) se plaignent régulièrement des nuisances sonores qu’ils subissent, parfois en semaine, quand des dizaines de personnes se retrouvent à boire et fumer sur le trottoir, en contrebas de leurs fenêtres. Mais comment concilier cette volonté légitime de vouloir promouvoir la vie nocturne marseillaise tout en ne rendant pas le quotidien invivable pour les riverains ? « Il y a du mieux», affirme Caroline Pozmentier, adjointe au maire de Marseille (LR) en charge de la Sécurité, « nous avons beaucoup moins de plaintes qu’auparavant, mais il faut être raisonnable et respecter le cadre réglementaire, les riverains ont aussi droit à leur tranquillité» explique l’élue.
Dans une étude de l’Agam consacrée à la nuit, sa présidente Laure Agnès Caradec, également adjointe au maire de Marseille en charge de l’Urbanisme explique la volonté des élus de renforcer l’attractivité de la nuit marseillaise « Marseille cherche à développer son rayonnement international. Les métropoles avec lesquelles nous sommes en concurrence ont toutes misé sur le développement d’une offre d’animation nocturne très recherchée par des populations internationalement mobiles. Marseille doit être au diapason. Nous en avons à la fois la volonté mais aussi les atouts : diversité urbaine, richesse de l’offre culturelle et festive, lieux originaux, situation en bord de mer, convivialité, cadre naturel, qualité de vie. »
La bascule 2013
En 2013, Marseille était Capitale Européenne de la Culture, braquant de nouveaux projecteurs sur elle et charriant dans son sillage un vent d’espoir et une certitude : la ville allait enfin se doter de structures à sa mesure. Mais pour les noctambules les plus exigeants, le soufflé est vite retombé.
Car à l’heure où Marseille entend (re)devenir attractive à l’international, et concurrencer ainsi les plus grandes métropoles européennes, il lui faut se mettre au diapason de ses concurrentes en terme d’animations nocturnes, qu’elles soient culturelles, commerciales ou festives. Cela doit être encouragé par une réelle volonté politique allant dans ce sens. Avant la fin du mois de mai, Caroline Pozmentier s’est engagée à entrer en discussion avec les acteurs de la nuit et les pouvoirs publics afin de créer un comité de suivi de la vie nocturne à Marseille.
L’avènement des rooftops
Les espaces intérieurs clos, souvent petits, comme les bars et salles de concerts présents en centre-ville, sont de véritables caisses de résonance, même lorsque des travaux d’insonorisation sont effectués. Une des solutions a donc été d’excentrer les bars et discothèques loin du centre ville, dans des quartiers industriels et d’affaires, ou encore d’ouvrir la fête vers l’extérieur et le grand large, notamment par la création de «rooftops». Deux lieux de ce type ont ouvert en 2013.
D’abord le toit-terrasse de la Friche de la Belle de Mai, dans le quartier éponyme, véritable foyer culturel de la ville. Doté d’un panorama exceptionnel sur la ville, cette terrasse de près de 8 000 m2 accueille chaque vendredi et samedi soir, de fin mai à fin août, des artistes marseillais et d’ailleurs. Ses horizons musicaux étant volontairement éclectiques, la musique électronique est ici complémentaire d’autres styles musicaux comme le jazz ou la salsa. Souvent gratuite, l’entrée permet aussi simplement de profiter du soleil en fin d’après-midi, de jouer à la pétanque ou de siroter un cocktail.
Autre quartier, autre ambiance à la Joliette. Ce nouveau pôle de la fête était encore un quartier oublié de la jeunesse il y a quelques années. Mais la réhabilitation des Docks Village et la construction du centre commercial Les Terrasse du Port, ont permis de lui conférer une attractivité nouvelle. Perché à son sommet, là où la mer et le ciel se confondent à l’horizon, le rooftop R2 allait rapidement devenir le lieu incontournable d’une partie de la jeunesse marseillaise. D’une partie seulement, car ici le modèle est calqué sur ce qui se fait habituellement dans les clubs de la capitale : musique électronique accessible, DJ’s bankables, entrée payante et boissons coûteuses. Reste un lieu agréable, nanti d’un panorama absolument superbe à même de faire blêmir le plus chauvins des parisiens. Non loin de là, sous le parvis de la Major, des soirées sont également organisées pendant la période estivale.
Des soirées éphémères
C’est un refrain que l’on entend souvent : Marseille manque de lieux dédiés à la fête et spécifiquement à elle, d’institutions qui parlent d’elles-mêmes. Pourtant, ce ne sont pas les initiatives qui manquent et tous les prétextes sont bons pour festoyer. Ainsi, depuis quelques années, de nouveaux concepts ont germé, des soirées éphémères dans des lieux atypiques et pas forcément prévus à cet effet. Différents collectifs comme Marseille is Amazing (MIA), Borderline, Anais et Pedro, ou plus récemment One Again Productions investissent des endroits insolites le temps d’un soir : Catamaran, Parking, les anciennes rotatives du quotidien la Marseillaise, l’hippodrome Borély ou encore l’Opéra de Marseille… Qu’on se le dise, Marseille entend faire de la vie nocturne un des rouages essentiels de son attractivité nouvelle.