Pendant deux ans, le programme « Un chez soi d’abord » a permis de mener une étude en comparant la situation de sans-abris accompagnés mais vivants dans la rue et d’autres logés. Et d’après les résultats, ce sont les seconds qui reviendraient moins chers par an à l’État. Reportage.
En juin 2011, l’Assistance publique Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a lancé un programme baptisé « Un chez soi d’abord » qui propose à des sans-abris atteints de troubles mentaux d’accéder à un logement et ainsi de ne plus vivre dans la rue. Un programme qui a permis de mettre en place en simultané une recherche médicale à la fois sur la qualité de vie des sans-abris et le rapport aux coûts pour la société. Pour cela, les villes de Paris, Lille et Toulouse ont, elles aussi, participé à l’expérimentation.
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Deux groupes tirés au sort pour mener l’étude
Dans chacune des villes, l’équipe en charge de la partie recherche s’est rapprochée des associations et organismes en lien avec les sans-abris pour en sélectionner environ 200 par agglomération. Deux groupes ont ainsi été formés, au hasard par tirage au sort : dans le premier, les sans-abris bénéficiaient d’un accompagnement et d’un accès direct à un logement, dans le deuxième, les SDF étaient seulement accompagnés mais restaient dans la rue.
« Le tirage au sort a été mal vu au départ, mais pour des raisons scientifiques, choisir les sujets auraient rendu l’étude non neutre. L’objectif a fini par être compris de tous car la recherche était obligatoire et il valait mieux 100 personnes logées qu’aucune », explique Sylvie Katchadourian, directrice du pôle santé au sein de l’association Habitat Alternatif Social (HAS) et coordinatrice du programme expérimental.
Les sans-abris non logés ont été vus et suivis par les enquêteurs dans l’évolution de leur parcours de la même façon que les logés. Outre le suivi, ils ont bénéficié d’une indemnisation, comme pour tous participants à une recherche médicale, ainsi qu’à des aides alimentaires ou de services. Quant aux logés, leur seule obligation était une visite de suivi, une fois par semaine, et d’accompagnement vers « tout ce qui fait un locataire lambda » (gestion du voisinage, de l’appartement, de son bien-être, etc).
Un programme reconnu et déployé
Les résultats de la recherche menée pendant deux ans ont permis de prouver, d’une part, que les troubles psychiatriques n’empêchent pas d’être locataire et, d’autre part, que les sans-abris logés coûtent moins cher que ceux qui restent dans la rue. « En comparant les durées d’hospitalisation entre les deux groupes, il a été montré que les logés ont fait beaucoup moins de passages aux urgences que les non-logés. Leurs séjours étaient généralement plus longs, ce qui a permis au corps médical de renforcer la qualité des soins et qui explique le fait qu’ils sont moins revenus par la suite », précise Sylvie Katchadourian. Un SDF atteint de troubles mentaux coûterait ainsi, sur un an, 17 000€ à l’État contre 14 000€ pour ceux logés par le programme.
Au total à Marseille, 117 sans-abris ont pu être accueillis dans la solution logement et environ 100 autres ont bénéficié de l’accompagnement sans être logées. Idem à Lille et Toulouse et un peu moins à Paris en raison d’un nombre de logements disponibles pour l’étude inférieur. Pour autant, tous les sans-abris n’ont pas été convaincus par la solution du logement autonome car leur santé s’est dégradée et a nécessité, par exemple, des soins plus lourds.
Si la recherche médicale est terminée, le programme, lui, perdure mais sans toutefois le groupe des non-logés. Il a même été reconnu par l’Association Régionale de Santé (ARS) comme accompagnement de spécificité thérapeutique et inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Entre 2018 et 2022, 16 nouvelles villes devraient ainsi mettre en place le programme sur leur territoire.
Bouleverser les pratiques professionnelles du médico-social
L’étude menée pendant deux ans a aussi permis de faire évoluer les mentalités, explique Sylvie Katchadourian. « On a retenu de tout cela que l’on n’a pas la capacité de prédiction : aujourd’hui des anciens sans-abris habitent en ville de façon autonome, alors qu’en se basant sur leur premier entretien de l’étude, on aurait peut-être parié sur le fait qu’ils n’en auraient jamais été capables. On essaye désormais de partir du principe qu’il n’y a pas de vérité ni de généralité, même dans des situations semblables ».
C’est aussi la culture professionnelle des métiers du médico-social qui a été « bouleversée » par cette étude d’après Sylvie Katchadourian, notamment par l’introduction du tirage au sort ou du partage de compétences entre d’un côté les infirmiers et de l’autre les travailleurs sociaux. Le but est maintenant d’étendre le programme à toutes les catégories de sans-abris et pas seulement à ceux atteints de troubles mentaux. Avec pour leitmotiv que si ce programme a marché pour ces sans-abris, il marchera aussi pour les autres.
Par Agathe Perrier