Depuis ses débuts en 1992, la Fiesta des Suds a su se démarquer des autres festivals musicaux marseillais et même français. Ce qui a fait la recette de son succès ? Le mix entre son lieu atypique et patrimonial et une programmation alliant grands noms et belles découvertes. Bernard Aubert, directeur artistique et fondateur de la Fiesta, se livre sur l’histoire de ce festival aujourd’hui incontournable à Marseille.
Découvrez la 25ème édition de la Fiesta des Suds
Made in Marseille – Bonjour Bernard Aubert. Vous faites partie des quatre fondateurs de la Fiesta des Suds. Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer un tel festival à Marseille en 1992 ?
Bernard Aubert – Je suis originaire de Nîmes et quand je suis arrivé sur Marseille, j’ai trouvé dommage qu’il n’y ait aucun festival qui soit original et qui ressemble à cette ville. Avec trois amis, on a eu l’envie d’en créer un. Dès le départ, nous avions l’idée qu’il se passe dans un lieu patrimonial chargé d’histoire qui se trouve autour du port de la Joliette car à l’époque, la Ville lui tournait un peu le dos.
Nous avons ainsi fait la première et la deuxième édition dans les cours intérieures des Docks qui étaient alors totalement abandonnées. Ça a été un succès dès la première année : on s’attendait à 2 000 personnes et on en a eu 12 000 ! On a créé dans la dynamique la première soirée électronique « Dockland » où on a vu arriver 15 000 jeunes qui avaient une demande très forte d’événement festif et musical. Ça nous a encouragé à continuer.
MIM – Après les Docks, la Fiesta a pris ses quartiers dans d’autres lieux emblématiques et historiques de la ville tels que le J4, la Friche la Belle de Mai ou encore le Dock des Suds…
BA – Oui car à chaque fois on a essayé de trouver des lieux emblématiques et patrimoniaux proches du port et pleins d’histoire et de faire à l’intérieur des choses qui pour 1992 étaient modernes. Après les Docks on a été au J4, l’actuel MuCEM où il y avait à l’époque un grand hangar du style du Pavillon Baltard à Paris, qu’on aurait d’ailleurs dû garder à Marseille. On y a vécu deux années très agréables.
Après on s’est promené, on est allé à la Friche pour les réveiller et leur dire que le lieu culturel c’est bien mais peut être que des événements festifs seraient intéressants aussi. Puis ensuite on a été plusieurs années aux Docks qui se trouvaient en face du Dock des Suds et qui ont brûlé. C’était l’ancienne réserve de fruits et légumes du sud de la France et quand ça a brûlé, on a déménagé au Dock des Suds qui était l’ancienne réserve de sucre de l’océan indien, symbolique encore importante car ça permettait de redistribuer le sucre sur toute l’Afrique du Nord.
MIM – De grands noms d’univers bien différents tels que Patti Smith, Alain Bashung ou encore IAM sont passés par la Fiesta. Qu’est-ce qui les a attirés ?
BA – Il y a quelque chose de très affectif entre la ville, le public et la Fiesta, un lien particulier. C’est pourquoi beaucoup d’artistes sont passés par ici souvent à leur propre demande. Certains, quand ils faisaient une date à Marseille, voulaient passer seulement à la Fiesta ! En plus, il y a une volonté de la part des artistes de jouer dans un lieu atypique. Lorsque les Docks ont brûlé, Bashung a d’ailleurs sorti une très belle phrase que je considère comme un hommage puisqu’il a dit : « Pour une fois, l’endroit où je joue correspond à ma musique ».
MIM – Comment expliquez-vous que, 25 ans après ses débuts, la Fiesta soit toujours un succès ?
BA – Je crois que c’est surtout l’organisation dans des lieux atypiques et la façon d’accueillir le public dans ces lieux qui a beaucoup plu. La programmation musicale aussi. Marseille a besoin d’événements qui rassemblent les gens. Et fondamentalement, les gens viennent à la Fiesta pour se rencontrer, discuter, se toucher, se parler, etc. Ça c’est important et je crois que ça a donné exemple à pas mal de festival car il y en a beaucoup aujourd’hui comme à Saint-Nazaire ou à Barcelone qui ont récupéré les idées de la Fiesta : des lieux clos mais qui sont ouverts et qui permettent d’accueillir des milliers de personnes dans une sphère sympathique.
MIM – Des idées qui rappellent également le concept de soirées qui sont organisées à Marseille même notamment par le collectif « Marseille is Amazing »…
BA – Bien sûr et je crois que c’est une des cartes à jouer à Marseille. Il n’y a pas besoin de salles de spectacle en plus, on en a assez. Ce qui manque par contre selon moi c’est un lieu d’été de concert. C’est quand même assez étonnant que cette ville qui se veut latine et de lumière n’ait pas de lieu d’été de concert ou un espace un peu atypique et surprenant style le J1 où on pourrait accueillir l’Acontraluz, Marsatac, la Fiesta et d’autres événements.
Il y a beaucoup de demandes à ce niveau-là et ça serait peut-être une originalité de la ville de le faire et de ne pas ressembler à tous les autres qui ont des Zénith par exemple. On a déjà le Dôme, on le retape et ça suffit largement selon moi !
MIM – Qu’est-ce qui attend les Marseillais et les Provençaux pour les 25 ans de la Fiesta cette année ?
BA – On a gardé pour ces 25 ans ce qui faisait le succès de la Fiesta à savoir un accueil original et une décoration forte qui cette année va se faire autour de l’espace maritime et portuaire. Il y a aussi toujours un ou deux grands noms avec des fortes personnalités comme Hubert-Félix Thiéfaine ou Louise Attaque et derrière un programme à découvrir comme La Yegros ou Dizzy Brains, des gamins du milieu de Madagascar qui chantent mieux que David Bowie ! Le décalé et le mélange des choses nous intéressent.
C’est les 25 ans cette année alors on garde tout cela, mais peut-être que l’on tournera une page l’année prochaine.
MIM – A quelles évolutions réfléchissez-vous pour entamer ce nouveau quart de siècle justement ?
BA – On est en train de voir si on ne peut pas aller dans un lieu nouveau pour 2018 ou 2019 car on ne va pas toujours rester aux Docks actuels où nous sommes depuis six ans. Mais surtout changer la forme de la fête. On va garder le côté convivial mais on va peut-être s’orienter que vers des découvertes et des musiques du monde. Un de mes grands regrets est de ne pas avoir encore programmé des esquimaux à la Fiesta ! Il y a des manques comme cela qu’il faut arriver à combler.
On veut se démarquer définitivement de tous les grands festivals et de tout ce que l’on a connu. Ce ne sera peut-être pas pour 2017 mais pour l’avenir. Il faut que cette ville soit originale, que les gens viennent à la Fiesta en se disant qu’ils vont écouter quelque chose qu’ils n’ont jamais écouté, qu’ils vont voir une architecture qu’ils n’ont jamais vue ailleurs. C’est important car autrement on ressemblera aux autres et ce n’est pas Marseille.
Par Agathe Perrier