Au Vallon des Auffes, Coline Faulquier et The Social Club ont repris l’Épuisette début janvier. Entretien avec la cheffe étoilée sur son parcours et son futur établissement, renommé Auffo, qui ouvrira ses portes en avril.
Devant l’escalier serpentant jusqu’au petit port du vallon des Auffes, la pancarte de l’Épuisette est tombée. Cet ancien restaurant étoilé, appartenant à la même famille depuis près de 50 ans, a changé de main début janvier. Les nouveaux locataires, The Social Club et la cheffe étoilée Coline Faulquier, orchestrent le chantier pour ouvrir Auffo dès le mois d’avril.
Les coups de marteaux fendent le calme hivernal de ce petit coin protégé de Marseille. Des tas de gravas trônent à l’entrée. À l’intérieur, les murs ont laissé place à un nouveau squelette de fondations. Les lieux sont repensés du sol au plafond : le parquet, les murs, la cuisine, mais aussi la plomberie et l’électricité. « Dès qu’on passera le pas de la porte, je veux que les gens vivent une expérience », se projette Coline Faulquier.
Touchée par l’émoi qu’a suscité le départ de l’ancienne équipe, la cheffe se remémore le chemin parcouru depuis 2016. De La pergola dans les quartiers nord devant le marché aux Puces, en passant par Signature qui lui a permis d’accrocher une étoile à son tablier, Coline Faulquier s’autorise désormais à voir « grand ». Entretien.
Made in Marseille : Comment avez-vous conçu votre futur restaurant ?
Coline Faulquier : On a travaillé avec Denis Allegrini [président de The social Club, Ndlr] et l’architecte Gilles Gal de l’agence Ateliers A+ pour favoriser les matériaux bruts. Du bois et de la pierre. Mais aussi de la moquette pour en faire un lieu plus intimiste et chaleureux. On voulait une ambiance très épurée, sobre, sans tomber dans le cliché de l’intérieur d’un bateau. Pour ça, on a choisi une gamme de couleurs qui rappelle la roche blanche du vallon, les oursins, les algues, les huîtres… En fait, ce que j’aime quand je vois les photos d’un restaurant défiler sur les réseaux sociaux, c’est comprendre où je suis instantanément !
En 2019, vous avez ouvert votre propre établissement Signature à Marseille. Pourquoi tout recommencer ici ?
C.F : Le lieu m’avait tapé dans l’œil, il y a 20 ans, quand j’ai passé mon bac à Marseille. C’est un lieu magique imprégné de l’identité forte de la mer et du vallon. Mais l’idée s’est vraiment concrétisée il y a deux ans lorsque j’en parlais avec l’exploitant de l’époque [le chef Guillaume Sourrieu et l’ancien propriétaire Bernard Bonnet, Ndlr]. Finalement, on a gagné l’appel d’offres fin 2024 en bonne et due forme. Je ne me suis pas pour autant dit qu’il fallait fermer Signature parce que c’est une table étoilée qui marche bien. Ce restaurant a fait de moi la première femme étoilée de l’histoire de Marseille.
Quelles sont les difficultés d’une femme dans ce milieu encore très masculin ?
C.F : Quand on est étoilé, il faut toujours être sur le pont, présent dans son restaurant. Je ne suis jamais, jamais, jamais absente. Donc franchement, le plus dur, c’est de mener de front ce métier et la vie de maman. Ma journée commence très tôt et finit très tard, je n’ai pas de vie. Quand mon deuxième enfant était bébé, il était souvent à l’hôpital. J’étais parfois obligée de fermer mon restaurant… Et au bout d’un certain temps, financièrement, je ne pouvais plus fermer. Après, mon conjoint joue un rôle clé. C’est mon équilibre. Mon équipe aussi. On parle souvent du chef, mais pas assez de son équipe.
Combien de gens allez-vous désormais chapeauter chez Auffo ?
C.F : Mon équipe de Signature me suit. À l’Épuisette, on a aussi repris tous les salariés. Mais certains sont partis avec l’ancien propriétaire. Donc on sera une vingtaine pour 35 à 40 couverts par jour. Cette équipe restera une équipe familiale. Chez Signature, il y aura un nouveau concept, sans mon nom, qui sera repris. J’y travaille sérieusement parce qu’il faut que je sois libre dans ma tête en avril pour écrire mes cartes ici.
Parlez-nous justement de votre inspiration culinaire…
C.F : Toute l’équipe s’est beaucoup penchée sur un menu bouillabaisse qui va redonner ses lettres de noblesse au service en salle. Ce sera vraiment une fusion entre la cuisine et la salle. Je trouve que c’est une identité forte que d’avoir un menu bouillabaisse. Mais on va essayer d’aller chercher un peu plus loin. Dans ma cuisine, j’ai des marqueurs forts qui sont le végétal, les produits de la mer et les jus corsés. La première carte sera sûrement évolutive.
L’ancienne institution l’Épuisette proposait déjà une bouillabaisse. Comment faire la différence ?
C.F : J’espère qu’on fera la différence par l’esprit collectif. Parce que ça se sent vraiment en salle. On a aussi changé le nom, Auffo, qui veut dire ni plus ni moins « l’auffe » en Provençal. C’est une plante qui servait à faire les cordages des marins. D’où le vallon tient son nom. Je suis attachée au provençal car j’ai grandi en Provence. Ça m’inspire le miel, la lavande, le thym, les agrumes. Marseille a besoin de chefs identitaires. J’ai réussi à l’être dans un petit restaurant dans une rue inconnue [rue du Rouet, Ndlr]. Mais l’ancien chef avait construit une renommée ici. Donc le but ce n’est pas d’arriver et de tout révolutionner. C’est de s’inscrire dans l’institution.
Le départ de l’ancien propriétaire a suscité l’émoi auprès de certains Marseillais. Comment avez-vous vécu cette situation ?
C.F : Je suis très sensible, j’ai grandi avec deux parents dans le social. Et j’aime quand les gens se respectent. Donc je n’ai pas compris la bombe qui me tombait dessus alors que nous avons remporté un appel d’offres. J’ai gravi les marches petit à petit, je n’ai pas brûlé les étapes. Je me donne les moyens de réussir. En 2016, j’ai ouvert La Pergola dans les quartiers nord, en face du marché aux Puces. Puis l’établissement Signature en 2019. On est presque 10 ans après… Maintenant, je suis prête. Je veux donner l’exemple que ce soit auprès de mes enfants ou à mon équipe.
Vous avez remporté l’appel d’offres pour 10 ans. Comment souhaiteriez que l’on décrive Auffo en 2035 ?
C.F : J’aimerais qu’on dise qu’Auffo, c’est l’institution qui a marché dans les pas de l’ancienne institution l’Épuisette. Le but c’est de porter l’établissement aussi haut que ce qu’il a pu être.