Depuis 2019, le collectif (La)Horde insuffle une nouvelle dynamique au Ballet National de Marseille, fusionnant tradition et avant-garde dans une vision audacieuse de l’art dans son sens le plus large.
C’est un véritable labyrinthe. On croise de jeunes danseurs aux chignons impeccablement plaqué, apprêtés de collants et tutus. Les notes de musique classique s’échappent des nombreuses salles de répétitions qui se succèdent. Studio 1, ils sont là. Des petites ballerines se hissent sur la pointe des pieds pour observer leurs aînés avec admiration.
Derrière la porte, le contraste est radical. Joggings et shorts de sport griffés, piercings, et genouillères, les tenus des danseurs de (La)Horde détonnent. Valentina, répétitrice et coordinatrice générale des danseurs, passe de l’anglais au français, car il faut composer avec une communauté de danseurs de 17 nationalités. « La scène de la Criée est un peu plus profonde donc attention à l’espace » met en garde la répétitrice.
À l’occasion du Festival de Marseille, le collectif a investi le théâtre de la Criée pour trois soirées avec leur performance artistique « Age of Content ». Made in Marseille a eu le privilège d’assister à l’une des répétitions de cette pièce futuriste qui transforme la scène en un univers où le virtuel et le physique se confondent. Un mélange spectaculaire de danse et de technologie, mettant en scène 18 interprètes dans une fresque d’univers entrecroisés.
Les tableaux s’enchaînent. Sans musique d’abord. Valentina les arrête, les reprend. Les danseurs se font des retours mutuels. L’ambiance est paradoxalement décontractée et studieuse à la fois. Les artistes sont en osmose et cela se ressent. Lorsque Valentina frappe des mains pour annoncer une répétition du tableau final « TikTok Jazz » sur la musique de Philip Glass, la légèreté laisse place à la concentration. Silence, on danse !
Depuis 2019, (La)Horde dirige le Ballet National de Marseille (BNM), insufflant une nouvelle énergie à cette institution. Ce collectif artistique, fondé par Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, est réputé sur la scène internationale, pour son approche radicale et multidisciplinaire, explorant les frontières de la danse contemporaine, du cinéma, des arts visuels et de la performance.
Leur travail se distingue par une réflexion profonde sur le corps en mouvement, l’intégration de la technologie et l’exploration de nouvelles formes de narration. Sous leur direction, le Ballet National de Marseille est devenu un véritable laboratoire de création, attirant l’attention nationale et internationale grâce à leur capacité à réinventer et dynamiser les arts vivants, tout en restant profondément ancré dans la dynamique culturelle de la ville. Marine Brutti, artiste-chorégraphe revient pour nous sur ces cinq années de direction collective. Entretien.
Made in Marseille : Qu’est-ce qui vous a motivé à répondre à l’appel à candidature pour diriger le Ballet National de Marseille ?
Marine Brutti : On était tous les trois hyper-heureux que nos projets aient été compris et que les différents partenaires nous accordent leur confiance. Nous avons été attirés par l’ouverture de l’appel à la jeunesse et par le potentiel de Marseille comme ville dynamique et créative. Une ville des possibles où il y avait encore un espace pour les jeunes artistes.
Dans la première partie de l’appel, nous avons expliqué notre vision moderne du Ballet, et dans la seconde, nous avons pu détailler concrètement notre projet et la structuration du Ballet. C’était une belle surprise de voir notre proposition unanimement acceptée.
Comment avez-vous abordé la transition de collectif artistique à la direction d’une institution aussi prestigieuse que le BNM ?
Prendre la direction du BNM a été une chance unique de marier création artistique et gestion institutionnelle. Cela nous a permis non seulement de créer nos propres œuvres, mais aussi d’inviter d’autres artistes à collaborer avec nous.
On sait qu’il y avait des personnes avant nous, il y aura des personnes après nous. On essaye de prendre soin de cette institution. On en est responsable. Le but est aussi d’écrire notre vision et notre regard sur le monde, pour redéfinir des paradigmes, mais aussi inviter d’autres artistes à venir écrire pour le ballet ou à être en résidence pour pouvoir développer leur travail.
C’est là qu’on étend encore un peu plus notre vision artistique, lorsque l’on est à la tête de ce genre d’institution il faut être dans le partage et dans l’invitation. La présence de Clémence Sormani en tant que directrice déléguée a été essentielle pour structurer notre vision et gérer efficacement les multiples aspects du Ballet.
Nous maintenons toujours une ouverture sur la ville, avec par exemple des répétitions ouvertes.
En quoi Marseille et son environnement culturel ont-ils influencé et influence votre travail au BNM ?
Marseille est une ville avec une énergie unique et une scène culturelle vibrante. Nous sommes immédiatement rentrés en contact avec des acteurs locaux comme Actoral et Parallèle, et cela a renforcé notre intuition que Marseille est un lieu idéal pour l’innovation artistique.
On a essayé de voir à différents endroits la manière dont les gens s’étaient fédérés pour écrire une vie culturelle de la ville. Ici on sent une liberté et une flexibilité qui sont propices à la création et à l’expérimentation. On sent qu’il y a la possibilité de se réinventer, c’est très propre à Marseille en fait.
Comment gérez-vous l’équilibre entre vos projets internationaux (DA de Vogue USA, tournée de Madonna…) et vos responsabilités au BNM ?
La force de notre collectif réside dans notre capacité à nous diviser et à nous réunir selon les besoins. C’est un peu cette espèce de don d’ubiquité, comme on est trois Arthur, Jonathan et moi, accompagnés de Clémence Sormani avec qui on construit absolument toutes nos saisons.
Nous avons chacun des rôles complémentaires, et avec le soutien de notre équipe, nous pouvons mener à bien des projets à l’international tout en restant engagés dans notre travail au BNM. Cette flexibilité nous permet de porter notre vision collective tout en explorant de nouvelles opportunités.
La force du collectif, c’est la possibilité de se mouvoir et d’alterner les présences. On porte chacun en nous (La)Horde et on est un peu comme des ambassadeurs de notre propre collectif.
Parvenez-vous à vous rassembler pour les moments de création ?
Toujours. Nous nous réunissons à chaque moment de décision, que ce soit pour planifier l’année ou pour créer nos spectacles en studio. Ces moments où nous sommes tous ensemble sont essentiels et irremplaçables. Ce sont des moments de joie. Ça c’est la condition sine qua non.
Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés en dirigeant le BNM et comment les avez-vous surmontés ?
L’un des défis majeurs a été de maintenir l’équilibre entre tradition et innovation. Nous avons dû nous assurer que nos nouvelles idées respectent les valeurs fondamentales du BNM tout en introduisant des éléments contemporains. Nous avons surmonté ces défis grâce à une collaboration étroite avec notre équipe et à un dialogue constant avec la communauté artistique de Marseille.
Nous cherchons constamment des moyens de faire vivre nos œuvres à Marseille pour les Marseillais.
Est-il significatif pour vous de vous produire devant un public marseillais ?
Absolument. Il y a quelque chose de magique avec le Ballet National de Marseille : il fait rayonner Marseille à l’international. Nous ressentons également le besoin de reconnecter le Ballet avec les Marseillais.
D’ailleurs, la Ville a été très réactive pour nous permettre de nous produire gratuitement sur le Vieux-Port [l’année dernière dans le cadre de l’Eté Marseillais, ndlr] ainsi que l’invitation du Festival de Marseille pour performer à la Criée.
Ces moments sont précieux car ils nous permettent de rendre le Ballet aux Marseillais. Nous maintenons toujours une ouverture sur la ville, avec par exemple des répétitions ouvertes.
Justement, pouvez-vous nous parler de ces initiatives que vous avez mises en place pour rapprocher le BNM du public marseillais ?
Nous avons mis en place des répétitions ouvertes, des spectacles gratuits et des événements pour reconnecter le Ballet avec le public, comme des moments d’ouverture de studios. Il y a plein de moments où il y a une vie d’ouverture au Ballet, où l’on peut venir voir ce qu’il s’y fait, ce qu’il s’y crée et comment on travaille assez régulièrement.
On le communique toujours sur les réseaux sociaux, sur le site du Ballet également. Les places partent d’ailleurs très vite étant donné que c’est gratuit. Il faut être sur le qui-vive.
Pendant le confinement, lorsque les activités étaient limitées, nous avons même joué sur le toit du Ballet. Nous cherchons constamment des moyens de faire vivre nos œuvres à Marseille pour les Marseillais.
Comment voyez-vous l’avenir du Ballet National de Marseille sous votre direction ?
Nous envisageons un futur où le BNM continue de jouer un rôle central dans la scène artistique internationale tout en restant profondément ancré dans la culture locale.
Nous voulons créer un espace où les artistes peuvent expérimenter, collaborer et se développer. Notre objectif est de faire du BNM un laboratoire vivant de création, ouvert à toutes les formes d’expression artistique.
(Avec Narjasse Kerboua)