Niché dans l’anse du Pharo depuis 1956, le chantier Borg continue de faire vivre l’héritage des barquettes marseillaises. Repris l’an dernier par un nouveau directeur, l’atelier se tourne désormais vers la construction de modèles de bateaux en bois électriques.
Le hangar est « dans son jus », le grincement de la scie sauteuse est adouci par une lumière tamisée, la silhouette du palais du Pharo se dessine à contre-jour dans une ouverture donnant directement sur la mer.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’entrepreneur Michel Athénour est tombé sous le charme de l’atelier Borg, un chantier naval historique marseillais, niché dans la paisible anse du Pharo (7e). Plutôt issu du milieu de la tech’ que ceux de la charpente navale ou de la plaisance, il a repris la direction de cette entreprise familiale après en avoir fait l’acquisition il y a un an.
Le chantier a été fondé en 1956 par un autre Michel : Michel Borg, charpentier d’origine italienne et grand-père du précédent propriétaire, Denis. Arrivé de Sousse en Tunisie, il y construit au départ des barquettes, de petites embarcations en bois traditionnellement utilisées pour la pêche.
Avec l’essor des navires à coque en plastique, l’atelier a peu à peu évolué pour se spécialiser dans la rénovation et la remotorisation de ces petits bateaux typiques du pourtour méditerranéen.
À ce jour, « le chantier Borg fait partie de la petite dizaine d’ateliers pratiquant encore la réparation de barquettes, ou pointus, dans tout le sud de la France, selon une méthode qui n’a que très peu changé depuis 2000 ans », affirme Michel Athénour.
Un héritage en renouveau
Chaque hiver, le chantier voit encore défiler des dizaines de barquettes marseillaises nécessitant des travaux plus ou moins importants. Mais « aujourd’hui, elles sortent beaucoup moins en mer et sont plutôt utilisées pour la plaisance et le loisir, explique l’entrepreneur. Malheureusement, les propriétaires qui en héritent n’ont pas forcément les moyens de les entretenir ou de les rénover entièrement ».
En tant que nouveau propriétaire, Michel Athénour souhaite désormais élargir les horizons du chantier Borg, sans pour autant perdre de son authenticité. S’il a repris les rênes de ce joyau du patrimoine maritime marseillais, c’est aussi pour moderniser et « préserver un artisanat rare et noble, et une activité qui pourrait disparaître si on ne fait pas attention ».
Depuis son arrivée, l’homme d’affaires a recruté deux nouveaux charpentiers, portant l’équipe à sept personnes avec une stagiaire et l’architecte naval. « Ce sont des métiers difficiles, où on a froid l’hiver et chaud l’été, mais qui attirent par leur côté passion ».
« C’est un petit bout d’histoire »
Les jeunes détenteurs de ce savoir-faire perpétuent, dans leur hangar avec vue sur la mer, des techniques ancestrales comme le calfatage, mais aussi le bordé latté (strip-planking) ou le plus moderne bois moulé. Mais le chantier s’ouvre peu à peu à de nouvelles activités, comme la rénovation ou le refitting de bateaux de plus grande taille.
L’équipe de charpentiers se déplace aussi dans toute la région pour intervenir sur des bateaux en chantier ou à flot, à l’instar d’un yacht de 21 mètres datant de 1935 remis à neuf récemment à Port-Saint-Louis-du-Rhône.
« C’est un petit bout d’histoire qu’on vient rajouter à ce qui a déjà été fait avant, au travail de toutes les personnes qui ont déjà participé à ce grand projet », se réjouit Sonni Martel, qui a rejoint l’atelier il y a trois ans en sortant d’école de commerce.
Un Fifty en bois à moteur électrique
Michel Athénour prêche le retour aux sources du métier de charpentier naval et souhaite rendre ses lettres de noblesse au bois. Un matériau qui « permet des réparations plus durables, contrairement au plastique, qui se détériore et perd ses capacités mécaniques au bout de 50 ou 60 ans et finit souvent à la décharge. Une pièce en bois défectueuse peut être remplacée, ce qui prolonge la vie du bateau », souligne-t-il.
C’est pourquoi le chantier Borg met désormais le cap sur la construction de bateaux en bois neufs, plus écologiques et durables que les embarcations en plastique. L’équipe s’est récemment lancée dans la conception d’un « fifty », un voilier mixte équipé d’un moteur électrique.
Car, si « la propulsion électrique existe déjà, trouver un bateau qui soit aussi agréable à la voile qu’au moteur est un défi plus complexe », explique Michel Athénour. Un projet d’envergure innovant, que l’équipe commencera à construire dès cet été, et dont le premier modèle devrait sortir du chantier d’ici un an.
Bien qu’il soit plus durable, le travail du bois requiert des délais de travail plus longs et des travaux souvent plus onéreux. « Maintenant, c’est à nous de convaincre les clients que le bois représente l’avenir de la plaisance », conclut Michel Athénour.