En mettant fin à 30 ans de privatisation, la Ville de Marseille entame une transformation profonde du service de restauration scolaire. Elle lance des études pour la construction de « cuisines de proximité ». Les premières devraient être opérationnelles à l’horizon 2028.
La gestion des cantines scolaires est au menu des travaux de la Ville de Marseille depuis le début du mandat. Un thème souvent servi durant la campagne de 2020 par le Printemps Marseillais, qui souhaitait mettre un terme au « monopole de Sodexo » pour la restauration collective.
Trois ans plus tard, « nous posons le premier acte de ce que nous voulons pour les cantines marseillaises », annonce Pierre Huguet, adjoint en charge de l’Éducation et des cantines scolaires, au Domaine de Montgolfier (14e), futur pôle agricole, sur les hauteurs des quartiers Nord.
Avec la fin imminente de la délégation de service public (DSP) à Sodexo, prévue pour septembre 2025, la municipalité prépare une « remunicipalisation des cantines scolaires », annonce l’élu (Génération.s). La fin d’une privatisation de plus de trente ans.
Depuis les années 1990, Sodexo nourrit tous les écoliers de la deuxième ville de France. Une situation unique dans l’Hexagone où un seul prestataire gère l’intégralité des repas. Tous les jours, 140 personnes se mettent aux fourneaux de la cuisine centrale à Pont-de-Vivaux pour préparer près de 70 000 repas à destination des 320 cantines scolaires de la ville.
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Un marché public pour augmenter le niveau d’exigence
Pour réussir la transition en 2025 et, à une échéance plus lointaine, la remunicipalisation complète de ce service, la première étape consiste à sortir progressivement de la DSP en mettant en place un marché public structuré en plusieurs lots. « Ce qui nous permet de commencer à gérer des activités comme la facturation et la maintenance », précise Pierre Huguet.
Ces fonctions, auparavant déléguées au prestataire, seront désormais internalisées au sein de la Ville, avec notamment une régie spécifique pour la facturation. « C’était le délégataire qui faisait les travaux dans les cuisines et les offices des écoles. L’objectif est de pouvoir reprendre cette fonction et la facturation pour que les familles aient comme unique interlocuteur la Ville de Marseille », illustre l’élu.
Avec ce marché – qui devrait être rendu public fin juin – l’objectif est de créer les conditions d’une concurrence, favoriser une production locale capable de répondre aux besoins de la collectivité et de revoir le niveau d’exigences du cahier des charges « avec plus de bio, plus de local, d’avoir une cuisine avec des produits non-transformés, véritablement cuisinés (…) Nous avons organisé des ateliers avec des parents pour recueillir leur niveau d’exigence, ce qui a nourri notre réflexion. Il était aussi important de recueillir la parole des enfants, les premiers acteurs de leur alimentation, et de les accompagner dans une démarche alimentaire plus globale », poursuit Pierre Huguet, aux côtés de Michèle Rubirola et Aïcha Sif.
La première adjointe au maire, en charge de la Santé et l’adjointe à l’Agriculture urbaine sont directement impliquées dans cette réforme visant à créer un modèle plus vertueux, autour d’une alimentation plus durable et responsable, intégrant des aspects de santé publique, correspondant « aux marqueurs » du Printemps marseillais.
Réductions des additifs, augmentation de la part des produits bio, approvisionnement local, menus élaborés avec les nutritionnistes… En 2021, la société mettait sur la table « des marqueurs forts du cahier des charges [renouvelée en 2018 sous la précédente mandature, ndlr] que peu de collectivités possèdent ».
Contraintes supplémentaires ces derniers années, avec la loi Egalim qui a instauré différentes dispositions. Circuits courts privilégiés, part des produits de l’agriculture raisonnée augmentée, diversification des protéines combinés… Depuis janvier 2022, les services de restauration scolaires et universitaires sont aussi tenus d’utiliser au moins 50 % de produits de qualité et durables dont au moins 20 % de produits biologiques.
De 3 000 à 5 000 repas par jour dans les cuisines de proximité
La vision à long terme de la Ville inclut la construction de cuisines de proximité, pour concocter des repas frais chaque jour. Ces unités devraient produire entre 3 000 et 5 000 repas quotidiens, rapprochant ainsi les cuisines des assiettes des enfants.
« Les études de faisabilité technique vont être lancées prochainement, assure Pierre Huguet, sans dévoiler les sites identifiés. On va amorcer avec deux ou trois unités dans un premier temps. L’idée est d’avoir la première cuisine en 2028 et à terme un réseau de cuisines de proximité qui puisse couvrir l’ensemble de la ville ».
Le grand plan de reconstruction/rénovation des écoles résonne comme « une opportunité » pour la création de ces équipements. La présidente (DVD) de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Département des Bouches-du-Rhône « a pris l’engagement par écrit de prendre part au financement de ces cuisines », révèle Pierre Huguet, sans préciser le budget envisagé.
Du champ à l’assiette
La Ville entend créer les conditions nécessaires pour alimenter les cantines, en créant un réseau d’agriculteurs locaux, en lien avec son Projet Agricole Alimentaire Marseillais (PAAM), co-construit avec plusieurs partenaires et les collectivités que sont l’Etat, le Département et la Métropole.
Le Domaine de Montgolfier, plus connu sous le nom de parc de Montgolfier, a été identifié comme répondant « aux besoins de l’agriculture de proximité que la municipalité s’est fixé », ajoute Aïcha Sif.
La majorité municipale prévoit la remise en culture de six hectares (sur 12 ha) en maraîchage sur « ces terres nourricières de manière à relocaliser un certain nombre de productions et créer une filière en circuit court », poursuit l’élue EELV.
Si l’installation de trois maraîchers est prévue pour l’instant, tout reste encore à faire sur ce terrain en friche, notamment déterminer quels types d’agricultures et quelles plantes vont pouvoir pousser. La Ville explore, par ailleurs, la création d’une régie agricole pour mieux gérer l’approvisionnement en produits locaux et soutenir l’agriculture locale.
Une gouvernance solide pour la restauration scolaire
Pour reprendre en main la restauration scolaire, une commission « Filière de Demain » va être créée. Elle sera dédiée à la création de filières d’approvisionnement durables et locales. La commission « Menus Santé » va, quant à elle, être renforcée, sous la supervision de Michèle Rubirola.
L’élue écologiste a d’ailleurs insisté sur le fait que « beaucoup d’enfants ne mangent pas à leur faim » et sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. Le médecin est aussi revenue sur l’importance de l’éducation au goût, dès le plus jeune âge, « pour que les enfants apprennent à apprécier les produits locaux et non transformés ».
Autre point soulevé : la lutte contre l’obésité infantile, « premier marqueur d’inégalités sociales en santé ».
La Ville de Marseille planche activement à la mise en place d’une structure de gouvernance solide pour la restauration scolaire. Parmi les pistes envisagées, la possibilité de créer un établissement public dédié.