Avec son projet baptisé “Nous sommes la mer”, l’association Women for Sea embarque des femmes qui en sont éloignées pour des navigations où la sororité ouvre de nouveaux horizons. Cette initiative prend une dimension artistique, pour les JO 2024, avec la projection de portraits de femmes engagées sur 15 sites emblématiques de Marseille du 13 au 28 mai.
Un océan de bien-être flotte ce jour-là à bord du catamaran Bleu Evasion. Une vingtaine de femmes ont embarqué dans la matinée depuis le port de la Pointe-Rouge pour une traversée pas comme les autres jusqu’au Parc national des Calanques.
Toutes sont issues des quartiers prioritaires de Marseille. Si aucune n’a le pied marin, chacune a son histoire, ses peurs, ses traumatismes… Le temps de cette excursion en mer, à huis clos, elles ont mis entre parenthèses soucis du quotidien et vagues à l’âme pour s’autoriser à sourire, parfois à rire.
Avec l’accueil dans la cité phocéenne des épreuves de voile des Jeux olympiques et paralympiques, l’association Women for Sea a initié le projet “Nous sommes la mer”, en lien avec des associations sociales de la ville (HAS, AMPIL, Jeune et Rose et Solidarité femmes 13). Un programme labellisé et financé par Impact 2024, le Fonds de dotation de Paris 2024 pour l’innovation sociale par le sport, ainsi que le fonds de dotation OMNIS.
“Avec cet événement, c’était important pour nous que d’autres femmes puissent découvrir la mer et qu’elle ne soit pas seulement réservée à des sportives de haut niveau ou à des femmes qui évoluent déjà dans ce milieu. Nous avons imaginé ces navigations solidaires et inclusives pour qu’elles puissent se retrouver le temps d’une journée, expérimenter la mer, s’initier à la voile, être sensibilisées aux écosystèmes marins méditerranéens, exprime Nathalie Ille, présidente et fondatrice de Women for Sea. Je crois vraiment au pouvoir catalyseur de la navigation pour susciter de l’émotion, inspirer l’envie d’agir et créer cet esprit de sororité et de communauté.”
“Feel, learn, act”
C’est dans cet esprit qu’il y a maintenant dix ans, la capitaine décide de créer son association reposant sur le triptyque “feel, learn, act” (sentir, apprendre, agir). Une devise qui se traduit au travers des premières expéditions pluridisciplinaires dont les équipages sont 100% féminins, pour sensibiliser à l’impérieuse nécessité de protéger les fonds marins.
Parallèlement, la structure multiplie les initiatives pour que les usagers de la mer évoluent vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement et milite pour une juste place des femmes dans ce milieu très masculin. “Selon l’Organisation maritime internationale (OMI), seulement 2% des 1,2 million de marins sont des femmes ; dans la marine, elles sont 14%. Encore trop peu de femmes occupent les postes clés de gouvernance au sein de la navigation civile ou militaire, mais aussi dans le domaine scientifique ou simplement les emplois liés au maritime. Elles ne sont que 21,4%”, souligne l’ancien mannequin, n’hésitant pas à affirmer qu’elle est passée de “porte-manteau” à “porte-voix”.
Il faut dire qu’à la vingtaine, arpentant encore les podiums, Nathalie Ille n’avait alors pas conscience qu’un simple voyage en bateau entre les Açores et Marseille transformerait sa vie. “Une véritable révélation”, confie la navigatrice.
Malgré le mal de mer, elle découvre un monde régi par “ses propres codes et devoirs. La première leçon que j’ai tirée de cette expérience, c’est que c’est à l’Homme de s’adapter à la nature, à la mer et non le contraire”. C’est le fondement même de Women for Sea qui regroupe aujourd’hui plus de 200 membres dans toute la France.
Regards croisés
En mai dernier, une vingtaine de femmes aux profils et parcours différents, expertes dans leur domaine (océanographes, capitaines, plongeuses, historiennes, artistes, députées, juristes, entrepreneuses…) ont mis les voiles pour la première “Odyssée des Possibles”.
De Hyères à la Corse, en passant par Marseille, elles ont imaginé des solutions durables et innovantes pour protéger les océans. “L’idée était d’avoir un équipage pluridisciplinaire qui puisse représenter une micro-société pour créer le récit des possibles et ce que pourrait être le monde de demain vu par des femmes, explique la fondatrice. L’Odyssée des Possibles a été un outil puissant et transformateur, une aventure humaine unique qui a redonné confiance aux femmes, en leurs projets et en leurs engagements.”
Loin d’être une bouteille jetée à la mer, cette expédition les a menées jusqu’au Parlement européen pour exposer neuf propositions. Parmi elles, la création d’un Observatoire de l’égalité femmes/hommes dans le milieu marin porté par un consortium d’acteurs publics et privés.
Ou encore le développement d’un outil numérique au service des femmes embarquées qui, en plus d’être un centre de ressources, permettra de signaler toute violence sexuelle et sexiste à bord. “En 10 ans, nous avons créé la première expédition scientifique féminine, fondé le premier incubateur environnemental féminin maritime et inventé le premier think-tank féminin à la voile. Aujourd’hui, nous voulons que des actions concrètes soient mises en œuvre à plus grande échelle”, explique la figure de proue de Women for Sea.
La mer dans la ville
Pour prendre la parole durant la période des JO, l’association a ajouté un volet artistique au projet “Nous sommes la mer” avec la projection d’une série de portraits de femmes sur le fronton de certains sites emblématiques de Marseille du 13 au 28 mai.
Une initiative qui vise à faire apparaître les femmes dans l’espace public. “Projeter le portrait de quelqu’un, c’est lui donner une place de façon symbolique. Ce projet permet aussi de créer des flux dans la ville : avec la navigation, des femmes sortent des quartiers pour aller vers la mer, et inversement, les portraits sont une manière d’amener la mer dans tous les quartiers de Marseille”, explique l’artiste Mary Aymone G, fondatrice de YUMI studio et membre du conseil d’administration de Women for Sea.
Plongeuses, pêcheuses, mères… raconteront aussi le lien qu’elles entretiennent avec la mer et leur engagement dans un document audio. “L’idée est de créer des performances d’une heure environ dans chacun de ces lieux et créer des rencontres proches des endroits où l’on va projeter les portraits. Les voix vont s’élever à la tombée de la nuit pour que la parole des femmes soit entendue.”
Les dernières projections de portraits seront réalisées les 27 et 28 mai à Estaque Port de Saumaty et à Notre- Dame de la Garde.