L’expérience de ressourcerie menée par l’association Amelior avec les biffins de Gèze pourrait conditionner la création d’autres recycleries dans toute la ville, notamment dans l’hyper-centre. Une alternative pour tenter de résorber un marché de la misère accentuée par la crise sociale, parmi d’autres solutions en réflexion.
Par là, une paire de chaussures usagées à 5 euros. Ici, une robe sur un cintre accroché à une grille trouvera acheteuse, moyennant 2 euros. Pour quelques pièces la plupart du temps, sur les trottoirs de l’avenue Cap-Pinède, les “biffins”, comme ils sont surnommés, installés depuis une dizaine d’années aux abords du marché aux puces, étalent leur marchandise collectée dans la rue, les poubelles de la ville ou provenant même quelquefois du recel.
Comme nous vous l’annoncions dans nos précédents articles, cette vente informelle doit basculer au mois d’octobre dans un grand marché organisé, dans les anciens entrepôts Casino à Gèze, en s’appuyant sur l’expertise de l’association Amelior. Elle a déployé un dispositif similaire de ressourcerie en Île-de-France, avec des résultats assez probants.
Cette initiative vise à apporter une réponse publique à une problématique générale, très ancienne dans la cité phocéenne, d’occupation de l’espace public, de précarité et de sécurité. Personnes âgées, isolées, en marge de la société… peinent à mobiliser des pans entiers de ressources par défaut d’accompagnement social, méconnaissance des droits, incapacité de les solliciter en raison de la fracture numérique, la barrière de la langue…
Raison pour laquelle la dimension sociale du dispositif est extrêmement importante, via le Centre communal d’action sociale (CCAS) pour apporter un accompagnement renforcé à ces personnes démunies. « Ça participe d’une réflexion plus globale de renforcer les conditions d’accompagnement social d’un certain nombre de public pour leur permettre d’accéder à leurs droits, ce qui est un préalable pour faire face aux besoins du quotidien » commente Audrey Garino, adjointe chargée de la solidarité.
200 stands pour commencer
Pour l’élue, la problématique des vendeurs informels est une réalité qui s’accompagne de celle des acheteurs qui n’ont pas plus de moyens de vivre décemment. Un phénomène aggravé par la crise sociale actuelle, conséquence de l’inflation. En témoignent les appels à l’aide retentissants lancés par les Restos du cœur, la Croix-Rouge et des banques alimentaires dans une situation critique.
Au total, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a triplé en 10 ans, selon une étude récente de l’institut CSA pour le premier réseau national d’aide alimentaire. « Des populations aux profils de plus en plus différenciés ont désormais recours à l’aide alimentaire ».
A Gèze, « environ 800 vendeurs informels ont été recensés et 400 ont déjà adhéré à l’association », souligne Samia Ghali. Dans un premier temps, seulement 200 devraient tenir un stand au sein de la ressourcerie. « L’ambition est d’en faire une structure qui puisse grandir et s’auto-gérer », poursuit la maire-adjointe.
« Une belle réponse de la Ville à Euroméditerranée »
En vue de cette expérimentation, les élus doivent voter, ce vendredi 15 septembre, en conseil municipal, l’attribution de ces locaux de 3 500 m2 inoccupés et appartenant à la Ville. Ils doivent aussi acter la gratuité du bail d’une durée de trois ans minimum ainsi qu’une subvention de 20 000 euros à l’association Amelior pour le fonctionnement du site, « au travers de la direction de l’économie », précise l’adjoint Laurent Lhardit.
Il souligne le caractère provisoire de l’opération, car ce « lieu fera l’objet d’un projet plus global, toujours à visée économique et de création d’emplois bien entendu. Nous voulons prendre le temps d’y travailler et pourquoi pas, passer par un appel à manifestation d’intérêt, mais il y avait une belle opportunité de créer cette ressourcerie à cet endroit-là pour une durée de trois ans », explique l’adjoint à l’économie.
Dans une zone en pleine mutation avec les projets tels que le campus Theodora, la transformation de l’usine Saint-Louis Sucre en studios de cinéma, le parc de la Zac Saint-Louis… « Il y a énormément de développement dans le nord, c’est important pour l’avenir de la ville » poursuit Laurent Lhardit qui voit en ce projet « une belle réponse de la Ville à Euroméditerranée ».
Tolérance zéro
Avec la création de cette ressourcerie, l’enjeu est bien sûr d’apaiser l’espace public, « redonner des couleurs de salubrité publique dignes dans ce quartier, le remettre en sécurité », assure Yannick Ohanessian.
L’adjoint au maire délégué à la sécurité a pris le sujet à bras le corps dès sa prise de fonction avec les services de la prévention de la délinquance, y compris dans la recherche du foncier. « Une fois que nous aurons opéré une forme de structuration, nous allons pouvoir nous attaquer durablement et avec beaucoup de fermeté à tous les autres qui profitent de la misère humaine et qui viennent en réalité, sur fond de filière de trafiquants, vendre des cigarettes, des médicaments, de la drogue », affirme l’élu.
Pour résorber ce marché de la misère et lutter contre la vente à la sauvette qui s’est intensifiée, l’adjoint promet que des moyens conjoints des polices municipales et nationales seront déployés pour saisir la marchandise, interpeller et traduire devant les tribunaux. « Un accord est d’ores et déjà préparé avec la préfète de police et avec le directeur départemental de la sécurité publique. On ne peut pas organiser la ressourcerie d’un côté et laisser la situation perdurer sur les trottoirs, la route… On sera intraitable là-dessus ! »
D’ailleurs, la délibération présentée ce jour, précise que la « vente de denrées alimentaires ainsi que les produits neufs sera formellement prohibée ».
« Marseille, asile de petits revendeurs, escale de gros tonnages »
Cette approche à la fois sociale, sécuritaire, économique et même écologique inspire la Ville pour mener d’autres projets à plus petite échelle « Nous devons attendre d’avoir le retour sur expérience, mais l’idée est de mettre en place des mini-ressourceries un peu partout dans la ville » nous confie Samia Ghali. Ce dispositif pourrait être déployé, entre autres, à Noailles, où un marché du même type envahit les trottoirs des rues Pollak et d’Aubagne.
La maire des 1-7, Sophie Camard, juge « intéressant de travailler sur cette solution de ressourcerie » pour faire « baisser la pression, mais ça ne peut pas tout régler ». Elle a en tête cet article de Michel Henry titré “Marseille, asile de petits revendeurs, escale de gros tonnages », publié dans Libération en 2003. « Difficile de connaître l’ampleur de ce trafic aussi visible que difficile à réprimer. Marginal, sans doute. À Noailles, la municipalité marseillaise a installé des caméras vidéo dans la rue. Ça ne change pas grand-chose » écrit le journaliste.
Si 20 ans plus tard, rien n’a changé, « c’est parce qu’on ne travaille pas sur la bonne qualification juridique, estime la maire. Nous avons un problème d’accès en justice. On attend que la police de la voie publique passe, dresse des amendes et on s’étonne que ça ne suffise pas. Cela permet d’endiguer le problème dans l’immédiat, mais pas sur le long terme. Ce n’est pas avec des amendes qu’on remonte un réseau ni qu’on fait des enquêtes judiciaires. La vente à la sauvette désigne ce qui se passe, mais pas les nuisances que ressentent les gens ».
Elle constate qu’en dehors des coups de gueule sur les réseaux sociaux, les plaintes sont marginales, sans parler des signalements. Accompagnée par un juriste, et bien qu’une mairie de secteur n’ait aucun pouvoir de police, Sophie Camard travaille à mener une action collective citoyenne. Un courrier à l’attention de la procureur de la République est en préparation, « pour étayer le contexte et pour obtenir, j’espère, plus de moyens d’enquête pour prendre le problème à la racine et sous un autre angle juridique ».
À Noailles, le phénomène est aussi accentué par la présence de locaux ou d’immeubles inoccupés. Un sujet de fond pour lequel la société publique locale d’aménagement d’intérêt national Aix-Marseille-Provence (SPLA-IN) pourra intervenir sur l’aspect réhabilitation de l’habitat dégradé, ainsi que la société foncière économique (commerce et tertiaire) de la Ville nouvellement créée sur la définition des usages des pieds d’immeubles.