À Marseille, les légionnaires de Carpiagne cohabitent désormais avec une meute de loups. Bienvenue dans le Parc national des Calanques, où l’armée tente aussi de défendre la biodiversité.
Un matin de printemps dans le 9e arrondissement de Marseille. Sur l’uniforme de Nicolas Rossignol, un écusson tricolore indique « Police », et précise « de l’environnement ». Pour lui, pas de radar de vitesse, mais une caméra à détecteur de mouvement. Elle enregistre chaque passage sur un petit chemin forestier.
Assis sur une pierre, ordinateur portable sur les genoux, il jette un coup d’œil aux dernières vidéos capturées : un renard dans un sens, un cavalier dans l’autre, puis des sangliers… jusqu’ici rien d’étonnant. Sur l’image suivante, le char d’assaut surprend un peu plus. Quand vient la séquence espérée : une meute de 7 loups.
Drôle de biodiversité que celle qui vit dans le massif de Saint-Cyr, en surplomb de la cité phocéenne. À cheval sur le Parc national des Calanques, se trouve le camp militaire de Carpiagne. La zone est donc doublement protégée. Et si le parc naturel accueille près de 3 millions de visiteurs par an, seuls un petit millier de légionnaires vivent sur ces 1 500 hectares.
Marseille : zone de présence permanente du loup
Les animaux, eux, « trouvent un lieu de quiétude unique pour se développer » analyse Nicolas Rossignol, chargé du suivi loups pour le Parc national. Depuis deux ans, il observe l’arrivée de ces canidés sauvages sur le territoire.
« En février 2021, un piège photo a saisi un premier individu. En juin, c’était deux ensemble. » L’analyse d’excréments a révélé qu’il s’agissait d’un mâle et une femelle. À partir de 2022, photo après photo, « on a vu le ventre de la femelle grossir ». Jusqu’au jour où elle réapparaît, « l’abdomen redevenu plat ».
L’agent du parc se souvient alors d’une période d’excitation. À chaque relevé d’images, il espère observer la portée. Mais rien durant un mois, presque inquiétant. Jusqu’en juillet, lorsque quatre louveteaux gambadent devant l’objectif avec leurs parents.
La caméra finit par en révéler six, portant le total de la famille à huit individus. Malgré la perte d’un individu, fauché par une voiture, c’est donc une véritable meute qui a pris ses quartiers dans la banlieue marseillaise. De quoi classer officiellement le territoire en « zone de présence permanente » du loup, d’après l’Office français de la biodiversité (OFB).
Le camp de Canis Lupus
Mais d’où viennent ces loups gris, que le grand public imagine parfois cantonnés aux massifs alpins et pyrénéens ? Nicolas rappelle que l’espèce protégée est « en pleine phase de colonisation de toute la France depuis plus de 10 ans. Elle s’adapte à tous les environnements ».
Pour la famille marseillaise, « elle arrive certainement du massif de la Sainte-Baume où ils vivent déjà depuis 2011. Mais il y a désormais deux meutes là-bas, c’est devenu trop petit ».
En effet, ces prédateurs sont gourmands en foncier. « Il faut compter 10 000 à 30 000 hectares pour un groupe ». À Carpiagne, avec « environ 8 000 hectares de territoire », les loups ont opté pour la qualité de vie plutôt que l’espace.
« Au-delà d’une certaine quiétude, grâce au camp militaire, ils trouvent surtout ici une abondance de proies. D’autant qu’il y a eu des lâchers de gibier durant des années sur le massif pour la chasse ».
Les militaires se mettent au vert
Les légionnaires quant à eux s’accommodent de leurs nouveaux hôtes. « Les loups ? Ça n’a aucun impact pour nous », pose le Lieutenant-colonel François, commandant en second du 1er REC (Régiment étranger de cavalerie). Il rappelle la vocation première du site : « un lieu de travail, d’entraînement ».
Toutefois, « c’est impossible de passer à côté des enjeux environnementaux dans ce joyau naturel », reprend l’officier supérieur. Ainsi, la protection de la nature fait partie des missions du camp. Espèces protégées, sécheresse, incendies… « Nous avons des programmes en partenariat avec le Parc national et l’Office national des forêts (ONF) ».
Des actions que Matthieu Wolff, technicien forestier, supervise en grande partie. Comme l’éco-pâturage des chèvres de Christelle. « Pour débroussailler naturellement et maintenir des milieux ouverts. Ça favorise la biodiversité et prévient les incendies ».
De son côté, l’agent de l’ONF gère la sylviculture pour « préserver les îlots de feuillus, comme les vieux chênes blancs séculaires ». Avec un patrimoine naturel boisé de 1 000 hectares, « la forêt est unique ici. Carpiagne est un beau résumé de tous les milieux naturels de Méditerranée ».
Un régiment de biodiversité
La biodiversité s’y déploie donc, « comme dans tous les camps militaires en réalité », précise Matthieu. Le massif de Saint-Cyr recèle des espèces rares, « une vingtaine de chauves-souris différentes », mais aussi des oiseaux remarquables comme « le rollier bleu », ainsi que des batraciens.
Ces derniers peuvent désormais barboter dans la mare écologique créée en 2016, avec un hôtel à insectes, au pied du château d’eau de la base. À quelques dizaines de mètres des premiers baraquements, « c’est devenu le rendez-vous de toute la faune du coin qui manque de points d’eau ».
Pour preuve, les nombreuses espèces saisies par des pièges photo. Chevreuils, libellules, renards, merles, chauves-souris, sangliers… Sans oublier la nouvelle guest-star du camp militaire : les loups.
La meute s’est d’ailleurs agrandie, nous apprend Nicolas Rossignol : « la femelle a mis bas à nouveau au printemps ». L’agent du Parc national explique que « la première génération de louveteaux va devoir se disperser vers la fin de l’été et trouver de nouveaux territoires ». Mais où ? « Impossible de savoir ». Rendez-vous à la rentrée.
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