La première Académie des jouets a ouvert ses portes dans les quartiers Nord de Marseille. Grâce à son système de location, cette ludothèque nouvelle génération rend accessible à tous quelque 500 références de jeux, parfois rares et venus du monde entier, dans une démarche socio-éducative et anti-gaspi. Découverte.
Il y a les tout-petits, installés sur leurs tables basses, qui tentent de construire leur mécano en bois. Les plus grands, friands d’un jeu de société presque introuvable en France à l’aube de la nouvelle année. Dans la petite pièce baptisée « la salle aux Merveilles », tous les sens sont mis en éveil…
À quelques rues de l’Hôpital Nord, il existe un lieu atypique encore méconnu du grand public. C’est au pied d’une résidence que la première Académie des jouets de Marseille a ouvert ses portes il y a quelques mois.
Bien plus qu’une ludothèque, cette structure de l’économie sociale et solidaire propose des jeux et jouets, de 0 à 99 ans, à la location dans une démarche responsable, pédagogique et éducative. Un concept unique et innovant imaginé par un jeune couple d’entrepreneurs, Nawel et Sadok Saadid.
Dans leur petite famille recomposée, comme nombre de parents, ils ont très vite fait le constat que les jouets avaient tendance à finir dans un coin ou relégués au fond d’un placard, après une durée d’utilisation très limitée. Désintérêt, lassitude, produit inadapté à l’âge malgré la mention sur l’emballage… Nawel s’est interrogée sur une manière de proposer à ses propres enfants une alternative correspondant à leurs envies, tout en contrant l’univers des écrans.
5 jouets/jeux pour 20 euros le mois parmi plus de 500 références
À l’ère de la seconde main et d’un marché de location de vêtements en plein boom, la jeune femme se dit que si ce modèle existait pour les jouets, « en tant que mère, ça m’intéresserait parce que j’aurais l’occasion de changer régulièrement, de tester au lieu d’acheter, parfois pour rien, raconte Nawel. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, parce que les mentalités évoluent aussi. L’économie circulaire parle à énormément de gens aujourd’hui et lorsqu’on a fait l’étude de marché on a vu que beaucoup de parents étaient prêts à louer des jouets ».
C’est durant la crise sanitaire que Nawel et Sadok mûrissent leur projet, avec l’impératif d’y mettre avant tout de l’humain et de la proximité. « On voulait vraiment faire quelque chose de différent, utile et responsable, et qui ait de l’impact sur l’éducation de nos enfants ».
Pour 20 euros, l’Académie des jouets propose la location de 5 jeux/jouets pour une durée d’un mois. « Un prix accessible, justifie Sadok, le président de la société. Lorsqu’on fait une sortie en famille, ça coûte bien plus cher alors que là on peut jouer 30 jours avec ses enfants ». Un service sans aucun engagement, aucune caution ou frais supplémentaires en cas de casse ou de perte. « Tout est prévu pour pouvoir remplacer les pièces manquantes ».
On n’est pas dans un magasin de jouets où l’on a des best-sellers, juste parce que ça se vend bien. « Ça se vend », ce n’est pas comme « ça se joue”, ce sont deux notions différentes »Nawel Saadid
Les parents peuvent sélectionner leur panier directement sur le catalogue en ligne parmi plus de 500 références, et se faire livrer gratuitement le jour de leur choix. Entre chaque location, les jeux sont scrupuleusement désinfectés grâce à un nettoyage professionnel virucide et bactéricide selon la norme Afnor.
Les parents peuvent aussi venir sur place avec leurs enfants et profiter de l’expertise de Nawel qui prodigue de précieux conseils pour un choix judicieux et pour apprendre à travers le jeu. « Les jeux de maths et de français, sont les jeux préférés des parents, assure Nawel, mais on essaye de les orienter en mettant de la variété dans la formule : un jeu de manipulation et de construction, un jeu de logique seulement pour ne pas sursolliciter l’enfant et selon les âges un jeu d’adresse, explique cette ancienne enseignante. On n’est pas dans un magasin de jouets où l’on a des best-sellers, juste parce que ça se vend bien. « Ça se vend », ce n’est pas comme « ça se joue”, ce sont deux notions différentes ».
« Le jeu est un outil pédagogique efficace et puissant »
Ici, le public peut ouvrir les boîtes, toucher, tester, jouer et « ça fait toute la différence. Non seulement, c’est un moyen de redécouvrir son enfant, mais aussi cela permet à l’enfant de se découvrir lui-même parce qu’il grandit et apprend à travers le jeu ». L’initiative de Nawel et Sadok s’inscrit, en effet, dans une démarche plus globale que la simple location de jouets.
Ces parents d’une petite fille atteinte d’une maladie rare ont décidé d’axer leur concept sur l’apprentissage et la pédagogie au service de l’enfant et comme soutien au développement cognitif et moteur. Certains des jouets en stock, utilisés par des psychomotriciens, sont accessibles à tout un chacun : d’un point de vue économique d’abord « car les jouets spécialisés coûtent très cher alors qu’ils ne sont utiles que sur une période courte du développement de l’enfant ». D’autre part, les enfants « peuvent venir ici et jouer dans le cadre d’ateliers », ajoute Sadok.
L’Académie des jouets reçoit d’ailleurs de nombreuses sollicitations de la part de milieux socio-éducatifs « qui ont senti que l’on pouvait répondre à ce besoin-là ». Des éducateurs viennent faire des ateliers ludo-pédagogiques avec les enfants, des psychologues scolaires ou des professeurs spécialisés en classes ULIS [pour la scolarisation d’élèves en situation de handicap, ndlr] viennent louer des jouets pour jeux pédagogiques en classe.
Des parents d’enfants atteints de troubles de l’apprentissage viennent chercher conseil… « Le jeu est un outil pédagogique efficace et puissant. La location rend possibles des expériences de jeu variées, ce qui participe aux progrès des enfants, que ce soit concernant les compétences motrices, cognitives, sociales ou émotionnelles », reprend Nawel, chargée de la sélection des jouets.
100 000 tonnes de jouets jetées chaque année
C’est d’ailleurs dans ce but qu’elle effectue une très fine sélection des produits qu’elle met en location. Parmi les plus de 500 références, certaines marques françaises ont disparu du marché. D’autres viennent du Canada, des États-Unis ou encore d’Allemagne choisis pour leur intérêt éducatif. Dans l’espace de stockage, de nombreux jeux en bois pour les tout-petits.
Le lieu abrite des produits dont la fabrication a été stoppée, alors qu’ils restent ludiques. « Notre particularité, c’est qu’ici on a même des références en rupture définitive de stock, parce que la logique des fournisseurs est de proposer toujours des nouveautés, alors qu’il y a des jeux qui marchaient très bien. On le voit, ici, parce qu’ils plaisent énormément ».
Des jeux qui ont un coût parfois bien plus élevé que l’achat d’occasion, mais qui valent qu’on y mette le prix pour le proposer dans leur circuit de prêt socio-éducatif. Un cercle vertueux, d’autant que dans un contexte de surconsommation mondiale et d’urgence climatique, le concept répond également à une problématique environnementale en luttant contre le gaspillage.
Selon l’Ademe, plus de 100 000 tonnes de jouets finissent à la poubelle chaque année. Plusieurs études sur le cycle de vie des jouets ont été menées. « Il apparaît que les ménages qui souhaitent se défaire de leurs jouets ont recours à la revente et au don auprès de l’entourage. Le phénomène de stockage des jouets, en moyenne de 10 ans, est également répandu ». Dans son étude préalable à la mise en place de la filière REP jouets, l’Ademe indique que seuls 4% des jouets sont réemployés.
Les quartiers Nord, une évidence
Nawel et Sadok ont le profil type des entrepreneurs « partis de rien », sourit Nawel. Doucement, mais sûrement, grâce à des dispositifs d’accompagnement à l’entrepreneuriat, comme Positive Planet au Carburateur, ils sont passés de l’idée à la concrétisation en bénéficiant également de prêts d’honneurs d’Initiative et de France Active. En 2021, ils gagnent le prix coup de cœur du Trophée du Créateur d’entreprise organisé par Châteauneuf-les-Martigues dans la catégorie « Entreprise Responsable ».
Des reconnaissances qui « donnent du crédit et du sens à notre projet », qu’il ne voyait pas ailleurs que dans les quartiers Nord. L’Académie des jouets répond d’abord à un besoin clairement identifié dans un secteur qui cristallise de nombreuses problématiques.
Plus encore, c’est un pied de nez à tous ceux qui leur ont déconseillé d’ouvrir leur petite entreprise dans cette partie de la cité phocéenne. « On nous disait que notre cible était plutôt dans les quartiers Sud, là où les revenus sont plus élevés, où les gens sont plus sensibles aux problématiques environnementales. De laisser tomber les quartiers Nord, ils ne sont pas intéressés par l’aspect pédagogique. Mais ce n’est pas du tout l’expérience que j’ai eue ici, bien au contraire, raconte Nawel, qui y a vécu quelques années. Il y a tellement de problématiques et peu d’offres, que les parents et les mamans, plus qu’ailleurs, sont conscients des dangers de ne pas s’occuper de l’éducation des enfants. Il ne faut pas stigmatiser. Aujourd’hui, des personnes des quartiers Sud, de Gardanne, d’Aix… viennent jusqu’ici ».
Allez, « Ramène ta fraise ! »
S’ils ont voulu commencer « petit », l’ambition de Nawel et Sadok est de renforcer l’existant avant de s’étendre lorsqu’ils en auront l’opportunité. Ils ne manquent pas d’imagination pour animer et faire découvrir le lieu. Le premier mercredi de chaque mois, l’opération “Ramène ta fraise” permet aux familles de venir avec leurs fruits de saison pour les mixer directement en boutique grâce au vélo smoothie et les déguster sur place. C’est aussi l’occasion de découvrir les jeux et partager un moment entre parents et enfants. Et si tout le monde ramenait sa fraise ?
La boutique est ouverte du lundi au vendredi de 10h à 18h.
Pour plus d’informations, rendez-vous ici